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Afrique : Mélenchon drague le vote communautaire

DIASPORA. Panafricanisme, décolonialisme… Jean-Luc Mélenchon et ses amis de LFI appliquent une stratégie jusqu’auboutiste, à grand renforts d’électoralisme.

Camille Motais
Le Premier Ministre Sénégalais Ousmane Sonko et le leader de la France Insoumise, le 15 mai 2024, à Dakar.
Le Premier Ministre Sénégalais Ousmane Sonko et le leader de la France Insoumise, le 15 mai 2024, à Dakar. AFP / © Seyllou

L’éternelle cravate rouge sur son costume sombre, Jean-Luc Mélenchon ne boudait pas son plaisir à l’heure de prendre la parole aux cris de « Mélenchon, Mélenchon », à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, le 17 mai dernier, en compagnie du nouveau Premier ministre Ousmane Sonko.

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Normal, c’est au Sénégal, au cœur de cette « Françafrique » tant décriée que l’homme fort de la gauche radicale française trouve ses plus gros soutiens. Au passage, l’avocat d’Ousmane Sonko, lorsqu’il était en prison, n’était autre que Juan Branco, proche de LFI et ancien conseil de Mélenchon.

Très inspiré, celui qui se verrait bien Premier ministre, avait commencé sa diatribe anticolonialiste en Afrique ou à Gaza par un « Je suis des vôtres » aux accents gaulliens (« Je vous ai compris ! »). Ayib Daffé, secrétaire général des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), le parti au pouvoir depuis avril, avait donné le ton : « Souveraineté, panafricanisme et solidarité internationale contre l’impérialisme sont des valeurs que nous partageons avec LFI. »

Reçu comme un chef d’État, Mélenchon avait eu le droit à tous les égards de la part des nouvelles autorités sénégalaises, à la fois très à gauche et profondément attachées à la tradition musulmane. « On l’a présenté comme le messie progressiste, un trophée, c’était : ‘‘Voilà notre France’’ », ironise un ancien ministre du président sortant Macky Sall.

En échange, Jean-Luc Mélenchon aime bien rappeler qu’il est lui-même africain, né en 1951 à Tanger, surtout lorsqu’il caresse depuis des années dans le sens du poil une diaspora franco-africaine en métropole et des Français de l’étranger pour la plupart binationaux, au Maghreb et en Afrique de l’Ouest, véritable réserve de voix pour son camp…

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À Bamako comme à Alger, Mélenchon rafle la majorité 

Dans un sens, cela peut se comprendre, lorsque la fin de cette double nationalité est régulièrement agitée par le Rassemblement national, pas vraiment populaire, pour sa part, en Afrique… Pour preuve, lors des dernières élections européennes, dans la fameuse 9e circonscription des Français de l’étranger (Maghreb et Afrique de l’Ouest), Manon Aubry, candidate de LFI, a obtenu 41,39 % des voix, presque la moitié des votants, contre seulement 9,59 % pour Jordan Bardella.

Un résultat étonnamment très éloigné des réalités du scrutin en métropole. Pour rappel, dans ce même territoire, les électeurs avaient placé Jean-Luc Mélenchon (39,8 %) légèrement devant Emmanuel Macron (38,3 %) au premier tour de l’élection présidentielle 2022, avec des pointes à 47 % à Bamako, voire 57 % à Alger ou 54,5 % à Tanger, sa ville natale, selon les chiffres du ministère des Affaires étrangères.

Si Danièle Obono, Française d’origine gabonaise, députée de Paris, a permis certains rapprochements avec des personnalités africaines, Arnaud Le Gall, député du Val-d’Oise devenu conseiller aux questions internationales du groupe parlementaire LFI, laboure le terrain depuis quelques années pour tisser des liens et faire du chef de La France insoumise l’un des nouveaux leaders de cette jeunesse panafricaine en pleine expansion.

JLM était d’ailleurs venu à Ouagadougou en juillet 2021, en sa présence, se recueillir sur le site du mémorial du grand héros révolutionnaire Thomas Sankara : « Haute figure de l’insoumission ». C’est aussi Arnaud Le Gall qui l’aurait mis en contact avec Alioune Sall, ancien député sénégalais de la diaspora zone Enoc et coordonnateur de Pastef France. Une rencontre utile quand on sait les scores importants engrangés par LFI, en région parisienne notamment.

Forte du soutien parfois à peine dissimulé de certains journalistes des médias français de service public ou des chaînes de télévision et sites panafricains installés à Paris, la gauche radicale a lentement imprégné les esprits en Afrique. « Le discours de la ‘‘mélenchonie’’ a été relayé en Afrique par les réseaux syndicaux, comme Sud, infiltrés dans les instances de la CFE [Caisse des Français de l’étranger], les amicales des lycées, les réseaux consulaires », raconte sous couvert d’anonymat un ancien enseignant au Sahel, réfugié en France.

« Il y a toute une bourgeoisie franco-africaine multipropriétaire, adepte du ‘‘décolonialisme caviar’’, qui n’a cessé de critiquer la France ces dernières années, sous couvert d’un panafricanisme irréel. Le pire, c’est que beaucoup de ces gens sont aujourd’hui considérés par cette jeunesse tentée par l’autoritarisme comme des profiteurs dans leur propre pays. » Dans toute l’Afrique francophone, « révolution citoyenne », « dégagisme », ont longtemps trouvé un écho favorable du côté des Insoumis, jusqu’à ce que les démocraties dévoyées d’avant, trop alignées sur la France, soient remplacées par des régimes militaires plus proches de Moscou.

Au Mali, si la gauche radicale française bénéficie toujours d’une certaine sympathie parmi la population, les relations entre le leader de LFI et Bamako se sont distendues depuis l’arrivée au pouvoir du président Assimi Goïta, suite au coup d’État du 18 août 2020.

Pendant des années, le grand allié de Jean-Luc Mélenchon au Mali était le leader du parti de gauche Sadi, le docteur Oumar Mariko, surnommé « le Mélenchon malien », mais honni par l’actuel Premier ministre Choguel Maïga. « Mélenchon a beaucoup de relais au Mali qui sont d’anciens cadres du Parti socialiste français partis revivre au pays. Il répond en plus à certaines craintes de la population sur la double nationalité. Il est aussi le premier à avoir demandé le retrait des troupes militaires françaises au Sahel », explique Tiambel Guimbayara, secrétaire général de l’Union de la presse des communicateurs maliens de France (Upcom). « Mais le fait qu’Oumar Mariko ait été arrêté, puis exilé en France, lui a compliqué la tâche avec les autorités actuelles. »

La popularité de Mélenchon en Afrique connaît aussi ses limites à travers cette célèbre phrase du Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko, lors de la fameuse rencontre de Dakar : « La question liée aux mœurs et aux LGBTQ risque d’être le prochain casus belli », avait-il lancé, dénonçant un Occident qui essaie d’« imposer sa vision sur ces questions ». « Vous venez de dire ce sur quoi nous sommes en désaccord », avait rétorqué Mélenchon, avant d’être copieusement hué par la foule.

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