Miss France 2024 : pourquoi Ève Gilles a fait la différence

    L’étudiante lilloise de 20 ans a apporté sa quatrième couronne de reine de beauté au Nord Pas-de-Calais depuis 2015. Mais elle ne ressemble guère à celles qui l’ont précédée. Pas seulement pour sa coupe de cheveux.

    Il faudra un jour arrêter de parler de ses cheveux courts. Même si, selon ses détracteurs (ils existent), elle-même en a aussi trop fait ce samedi soir à Dijon (Côte d’Or) lors de l’élection de Miss France, en réduisant la « différence » à la taille d’une mèche ou d’une frange. Ce n’est pas tout à fait vrai.

    Ève Gilles, 20 ans, étudiante en mathématiques (et plus précisément en statistiques) à Lille (Nord) après avoir grandi dans un village des Flandres, couronnée en direct sur TF 1 au bout de la soirée, voire à la première heure de ce dimanche, pourrait être à l’origine d’une petite révolution, pas seulement capillaire. On ne pouvait que la remarquer parmi les trente candidates dès leur embarquement pour la Guyane et la préparation collective du show, fin novembre. « Il me semble que je suis la première » à arborer une coupe si courte, avait confirmé la jeune femme brune, dont la mère est Réunionnaise. La mémoire associe les miss à des chevelures de princesses de films d’animation ou de contes. Ève a coupé les siens d’un coup comme on croque la pomme, sur un coup de tête, vers la fin du lycée. Pas d’interdit.



    Ce n’est pas tout. Si une Miss France se doit avant tout d’être consensuelle, la reine de beauté 2024 divise voire clive puisque c’est le jury qui l’a portée sur le trône alors qu’elle n’était pas la préférée du public selon les votes. Trop différente, aussi pour une autre raison. Lors de la conférence de presse qui a suivi l’élection à Dijon, vers 1h30 dans la nuit, Ève Gilles a parlé de ce « body shaming » dont elle a été victime comme beaucoup de femmes : en français, des critiques, voire insultes, sur un corps pas dans la norme sociale.

    La jeune femme tient d’une liane, ce qui pourrait être un compliment mais peut passer pour de la maigreur. La phrase la plus forte de son discours sur scène a été celle-ci : « La beauté, ce n’est pas les formes qu’on a… ou qu’on n’a pas. » Elle en souriait, lasse en même temps, et en a même perdu ses mots. Une phrase qui cloue le bec au regard que l’on porte sur les femmes et leurs courbes. Paradoxe pour cette étudiante de 1,70 m (1 cm de moins et elle n’aurait pas pu participer au concours) qui pratique (et même enseigne) la danse, dont chaque geste respire l’élégance. Eh oui, cela reste un concours et Ève Gilles n’a pas de leçon de maintien et de grâce naturelle à recevoir, certain(e) s savent mieux marcher, bouger, se déplacer que d’autres. Une sorte d’évidence de son corps. Qu’elle accepte tel qu’il est.

    Miss France 2024, Eve Gilles (Miss Nord-Pas-de-Calais), sur scène à Dijon samedi soir. AFP/ARNAUD FINISTRE
    Miss France 2024, Eve Gilles (Miss Nord-Pas-de-Calais), sur scène à Dijon samedi soir. AFP/ARNAUD FINISTRE AFP or licensors

    Scène vue en Guyane, le jour du fameux test de culture générale. Certaines miss stressent ou ne savent pas trop comment réviser. Sur la terrasse d’une île paradisiaque (malgré les anciens bagnes de sinistre mémoire juste derrière), un groupe de candidates qui a fini la séance photos en maillot se repose. Ça dure, l’une s’endort assise à une table. Ève, bardée de son écharpe de Miss Nord Pas-de-Calais, à l’énergie et la bonne humeur sans réplique, prend les choses en main et travaille pour le groupe, classeur en main : « Allez, on continue les questions. Il faut aller sur le site de l’Union européenne ».



    C’est vrai tiens, il y aura une question sur la Croatie qui vient d’adopter l’euro. Si elle parle de différence, la nouvelle reine de France est fédératrice. Déjà dans ce petit royaume d’opérette et de paillettes, mais aussi d’histoires secrètes de filles de 18 à 28 ans qui se cherchent une identité. Elle ne jouait pas que pour elle-même.

    Ève Gilles faisait déjà parler avant son élection et il y a de fortes chances que les Français « impriment » sa présence, son visage, son nom, ce qui n’a pas toujours été le cas ces dernières années. Miss France a peut-être besoin d’elle. Ses deux discours de la soirée n’ont pas été parfaits mais on ne demande pas à une étudiante de vingt ans d’avoir l’expérience d’un politique expérimenté, pour autant que cela soit vraiment un gage de crédibilité.

    Quatrième titre du Nord-Pas-de-Calais

    Dans les temps qui viennent, nous découvrirons Quaëdypre (oui, on a encore beaucoup à apprendre sur les noms de nos villages) où elle a grandi, dans les Flandres, et sur Hersin-Coupigny, la localité à peine plus grande où celle dont l’un des grands-pères est belge a décroché son premier titre de miss. Après Camille Cerf en 2015, Iris Mittenaere en 2016, Maëva Coucke en 2018, c’est le quatrième titre du Nord Pas-de-Calais. Pas de quartier.

    Le Nord ne s’abstient pas à cette élection-là, soutient ses élues, mais c’est un jury de sept femmes aux profils très variés et de toutes régions qui a décidé de faire mieux connaître Ève Gilles aux Français, et la France à la gagnante. Celle-ci avait coupé une énorme longueur de cheveux « pour ne plus ressembler à une petite fille ». Rapetisser pour grandir. Elle adore les maths « depuis toute petite ». Et les sports extrêmes comme le saut à l’élastique. Miss France, c’est carré comme organisation, et vertigineux. Les lignes, géométriques ou pas, pourraient bouger cette année.