24 heures dans les coulisses de l'aéroport de Roissy

D’un côté, les passagers, hôtesses, douaniers… De l’autre, moins visibles, des milliers de fourmis qui œuvrent jour et nuit. Nous avons passé 24 heures avec eux, dans les coulisses.

Roissy-Charles-de-Gaulle espère gagner la première place européenne en dépassant Heathrow, son rival londonien.
Roissy-Charles-de-Gaulle espère gagner la première place européenne en dépassant Heathrow, son rival londonien. LP/Olivier Corsan

    Entrer à Roissy, c'est mettre les pieds au coeur d'une zone mi-ville, mi-usine. Avec ses 65,93 millions de passagers en 2016, Paris-Charles-de-Gaulle est le 10e aéroport mondial le plus fréquenté, devancé notamment par Atlanta (Etats-Unis), Pékin (Chine) et Dubaï (Émirats Arabes Unis). Premier aéroport parisien avant Orly et Le Bourget, il vise la première place européenne devant Heathrow, à Londres (7e). Une ambition accessible, pas seulement depuis le Brexit mais grâce à son statut de « hub », plate-forme de correspondance. Actuellement, 30 % de ses passagers sont en transit. Roissy veut en capter davantage...

    Plus de 3 milliards d'euros d'investissement

    Pour le directeur des lieux, Franck Goldnadel, l'enjeu est donc à la fois de séduire les compagnies aériennes pour qu'elles s'installent et convaincre les passagers du monde entier de choisir Paris comme ville de correspondance. La meilleure façon de le faire, c'est encore et toujours d'améliorer l'expérience client à coups de services attractifs (boutiques, espaces de détente, hôtels, restauration, musée...). Cette mission revient notamment au groupe ADP (ex-Aéroports de Paris), son concepteur, constructeur et exploitant, dont l'Etat détient 50,6 % jusqu'à nouvel ordre. « Sur la période 2016-2020, le groupe va investir plus de 3 Mds€, explique le PDG, Augustin de Romanet. Nos passagers disposeront d'infrastructures plus modernes, avec plus d'espace, de services et de commerces. »

    Roissy a 43 ans. En plus des travaux de modernisation permanents, en coulisses, la maintenance quotidienne des lieux est assurée 24 heures sur 24 par des hommes et des femmes aux métiers variés, parfois surprenants. Beaucoup d'entre eux ont pris du temps pour nous expliquer leur mission.

    00h30 : les équipes de maintenance entrent en piste

    L'un des deux doublets (paire de pistes de décollage et d'atterrissage) de l'aéroport vient de fermer jusqu'à 5 heures du matin. Le temps pour les équipes de nuit chargées de la maintenance des pistes et des parkings avion d'intervenir sous la houlette des postes de commandement. Alexandre en dirige l'un des trois. Cette nuit, il faut fermer une piste pour y réaliser des réparations sur le système électrique. Tous les corps de métiers compétents vont se succéder. Les équipes se déplacent à bord des Flyco, ces véhicules jaunes autorisés à circuler sur les 100 km de pistes. Pour les conduire, chaque agent doit passer un permis spécial. À bord, un écran indique tous les avions au départ ou à l'arrivée et une liaison permanente est assurée avec les trois tours de contrôle. La nuit, le tarmac est étonnamment silencieux.

    Ils repeignent l'équivalent de 3 terrains de foot par an

    « Piste fermée, croix posée », lance Lofti, coordinateur d'exploitation, par talkie-walkie. Une grande croix de Saint-André matérialise la fermeture. À Cédric et son équipe d'intervenir. Électricien de formation, voilà deux ans qu'il travaille pour le groupe Aéroport De Paris comme responsable atelier de nuit. Il doit contrôler le travail des entreprises prestataires.

    « Quand j'arrive à 22 heures, je recense tous les problèmes relevés pendant la journée et j'interviens ou fait intervenir les entreprises selon l'ampleur et la gravité du problème, explique-t-il. Il y a 24 000 feux sur les pistes et on répare dès qu'il y en deux d'affilée hors service. » Pour lui, le pire scénario, c'est un problème électrique qui survient juste à l'heure de l'ouverture des pistes.

    Bernard préfère la nuit que le jour : « Il y a une bonne ambiance ». Contrôleur de travaux et salarié d'ADP depuis vingt-six ans, lui aussi est en lien avec les entreprises prestataires, mais essentiellement sur la maintenance en peinture. Il s'agit d'entretenir la signalétique au sol sur les parkings avions et aérogares, de poser des dalles, etc. En extérieur, ce poste est tributaire des aléas météo. « Pas de chance, il pleut cette nuit. Personne ne peut travailler car la peinture ne tient pas », explique-t-il. L'équivalent de 3 terrains de foot sont repeints chaque année.

    08h00 : le centre névralgique de l'aéroport veille

    Rendez-vous dans un espace interdit : le poste de commandement intégré chargé de surveiller en temps réel les terminaux A, C et D (le B est actuellement fermé pour rénovation). Michel Gonzales en est le chef. Il est « REP », responsable d'exploitation de permanence. « C'est de là que je gère toutes les installations de l'aéroport, assure la relation entre le groupe Aéroport De Paris et les compagnies aériennes ou les entreprises sous-traitantes. Par exemple, une ampoule grillée dans un couloir ou un problème technique sur une aérogare et j'interviens », résume celui qui affiche vingt-six ans de carrière au compteur.

    Sur un écran géant, un plan de l'aéroport permet de visualiser facilement tous les dysfonctionnements. « Mes collaborateurs sont mes yeux, mes oreilles et mon tournevis » insiste Michel dont l'équipe compte une vingtaine de personnes.

    Dans ce grand open space garni d'une multitude d'écrans reliés aux caméras de l'aéroport, des pompiers aéroportuaires, se tiennent prêts à intervenir si une alarme incendie se déclenche. Les équipes de sûreté surveillent les postes d'inspection filtrage et leur fluidité. Christine Besse est agent coordinateur du poste de contrôle intégré. Ses yeux sont rivés sur six écrans et au moindre problème, elle contacte et fait intervenir les entreprises compétentes. Enfin, le poste des affectations secondaires gère les retards d'avions, leur placement, etc. « J'attends un avion de Madagascar depuis deux jours. On vient de me dire qu'il est arrivé... », explique Michel son téléphone à l'oreille.

    10h00 : le centre de tri du Terminal 2 va traiter 65 000 bagages dans la journée

    Jean-Pierre Debreyne est responsable de l'un des trois gros centres de tri des bagages de Roissy. Le sien est rattaché au Terminal 2. Dans son équipe, 100 personnes se relaient de 5 h 30 à 23 h 30. « Nous traitons plus de 65 000 bagages par jour, jusqu'à 90 000 les jours de pointe, début août », explique le responsable. 60 % d'entre eux sont ceux de passagers en correspondance.

    Hormis les bagages « hors format » comme les poussettes, meubles, violoncelles, traités à part, tous les autres atterrissent dans son trieur automatique, sur des bacs qui défilent jusqu'à 18 km/h sur 45 km de tapis roulant. Ils finiront, grâce à leur code-barres, dans le conteneur amené dans la soute de l'avion. Tout fonctionne grâce à un système d'aiguillage qui dirige les bagages selon leur provenance et leur destination, soit 760 mouvements par jour rien que pour le Terminal 2.

    Tous contrôlés

    Jean-Pierre a besoin de 2 heures, en moyenne, pour traiter les bagages en transit. « La logistique doit être prête. Si le premier vol est en retard, des mauvaises surprises sont possibles... » « Tous les grands hubs comme Londres, Amsterdam, Dubaï ou Pékin ont le même type de système automatisé », explique Jean-Pierre. Deux autres sont prévus à Roissy. Chacun coûte 100 M€.

    100 % des bagages sont contrôlés. Lors de la première barrière, ils sont scannés, puis un logiciel valide l'image à 70 %, voire 80 % pour les nouvelles machines. Les 20 % ou 30 % restants sont analysés par un agent de sûreté. Si le bagage est jugé douteux, il est écarté du circuit et la police prend le relais. Une dizaine par mois sont dans ce cas.

    11h30 : la course contre la montre pour préparer le vol Air France démarre

    Un Boeing 787 d'Air France vient d'arriver de Lyon et repart dans 2 heures à Montréal, au Canada. Pour la compagnie, premier client du groupe ADP, l'enjeu est de stationner le moins longtemps possible : chaque minute coûte. Tout est chronométré, aussi bien pour les prestataires comme les équipes de nettoyage, de maintenance des écrans vidéo installés sur les sièges, que pour les salariés d'Air France, qui s'affairent à l'extérieur autour de l'avion pour charger le carburant, les soutes, les plateaux-repas, vérifier qu'il n'y a aucune anomalie...

    Toutes ces fourmis sont identifiables par la couleur de leurs gilets. Celui d'Hassan Mouli est jaune. Il est « au casque », en liaison avec le commandant de bord jusqu'au décollage. Il vérifie ce qui se passe au sol. Formulaire de contrôle de l'avion dans une main et lampe torche dans l'autre, il s'assure qu'il n'y a ni rayures, ni bosse, ni écoulement de kérosène...

    Mais le chef d'orchestre, c'est Eric Vivies. Il est RZA, responsable de zone avion et porte un gilet rouge. Son écran tactile vissé à la main, il suit en temps réel l'arrivée des conteneurs (50 % fret, 50 % bagages), des passagers et rend compte au PC hub de l'avancée de toutes les opérations de préparation de l'avion. Il attend 283 voyageurs.

    43,6 t de kérosène

    Pas question de tout charger en vrac dans les soutes, il faut absolument répartir les conteneurs selon leur poids et leur contenu. Sur ce vol, pas de matière dangereuse mais deux chaises roulantes, deux animaux en cabine et un enfant voyageant seul.

    « Les conditions ne sont jamais les mêmes, c'est ce que j'aime », raconte celui qui a commencé en 2006 chez Air France comme manutentionnaire avant de passer le concours de RZA. À 12 h 45, le commandant de bord arrive avec son équipage. Il vérifie avec le RZA qu'ils ont les mêmes informations, puis monte s'installer. Il a dû faire un calcul savant pour fixer la quantité totale de kérosène et signer un bon de 43,6 t. Le départ de l'avion est retardé, car le ménage n'a pas été fini à temps. À 13 h 10, les passagers embarquent. Quelques minutes plus tard, Eric apprend qu'il doit décharger un bagage. « Sans doute une personne qui a un problème de passeport », devine le RZA. Heureusement, son écran lui indique sa position dans le conteneur. L'opération est rapide. À 13 h 30, la pression monte. L'embarquement est terminé. Il manque 40 bagages. « Au-delà de 20, on reste, sinon on part, explique Eric. Les derniers conteneurs arrivent mais 17 bagages manquent encore. Tant pis, ils seront recasés sur les vols suivants. Eric donne le top départ. L'avion est conduit sur la piste. En ligne avec le commandant de bord, Hassan réalise les dernières vérifications. Le vol AF344 peut décoller.

    12h00 : des profileurs en surveillance discrète

    Affectée à l'un des « PIF » - postes d'inspection filtrage- du Terminal E, Claudie Verheyden est agent de contrôle sûreté. Son employeur, l'entreprise de sécurité privée ICTS basée à Tremblay (Seine-Saint-Denis), est l'un des nombreux prestataires à qui le groupe ADP confie la sûreté de l'aéroport.

    Depuis plus de quinze ans, Claudie traque tout ce qui peut ressembler à une arme. Elle scrute les objets suspects dans les bagages à main qui défilent devant le scanner et les confisque si besoin. Elle s'appuie également sur l'expertise « des profileurs qui se baladent et signalent les personnes aux comportements louches ».

    13h00 : 126 pompiers spécialement formés

    Un camion rouge luisant quitte l'une des deux casernes de pompiers aéroportuaires de Roissy. Un exercice est prévu. Il s'agit d'éteindre un incendie sur le réacteur droit d'un avion. Même si cela arrive rarement, les équipes de Vincent Robert, chef du service de sauvetage et de lutte contre l'incendie des aéronefs de Paris (SSLIA), s'entraînent souvent.

    Pour respecter les deux minutes de délai d'intervention, le binôme arrive sur les lieux à 140 km/h au volant d'un des six camions de 48 t de l'aéroport, chacun d'une valeur d'1 M€. L'un des canons à eau est armé. Il projette les 30 000 litres de son réservoir à la vitesse de 6 000 litres par seconde. Le tout prend quelques minutes. Retour au garage.

    Spécialement formés à intervenir sur les avions en cas de moteur à l'arrêt, fumée à bord, fuite de kérosène, ces pompiers mènent 560 opérations de ce type par an contre 4 800 de secours aux personnes.

    Au total, 126 pompiers aéroportuaires, salariés du groupe ADP, sont répartis en quatre équipes sur 24 heures. Ils sont habilités à exercer la mission des pompiers de Paris en cas de besoin, y compris ailleurs qu'à Roissy. Leur concours d'entrée, organisé tous les 2 ou 3 ans selon les départs, est ouvert à la fois aux pompiers professionnels et aux militaires.

    17h00 : les effaroucheurs éloignent les intrus

    « Ce n'est pas la chasse, la lutte animalière », précise d'emblée Vincent. À 28 ans, il est effaroucheur au sein du service péril animalier de Roissy et du Bourget depuis trois années. Son rôle : repérer et éloigner tous les animaux susceptibles de gêner les avions.

    Sa journée démarre 30 mns avant le lever du soleil et s'achève 30 mns après son coucher. Elle se déroule au volant de son véhicule, ou posté sur un point de repli stratégique, jumelles à la main. Mouettes, étourneaux, hirondelles, corbeaux, échassiers... font partie des espèces à écarter. Attention, « effaroucher n'est pas tuer », insiste Vincent : les associations de protection animalière veillent.

    Des fusées et des haut-parleurs

    Ses méthodes sont variées. Lorsqu'il opte pour la solution acoustique, il diffuse par haut-parleur des bruits afin d'attirer les animaux jusqu'à un autre endroit. Il peut aussi choisir les moyens pyrotechniques. Avec un revolver, il envoie des fusées crépitantes ou détonantes. Pour repousser les cigognes, un pistolet lance des projectiles d'une portée supérieure.

    Seul le fusil tue. « On dit prélever », corrige Vincent, possesseur d'un permis de chasse mais dont la formation apprend surtout à reconnaître les espèces, les repérer, les approcher et les éloigner. L'essentiel, il l'a appris pendant plus de six mois, aux côtés de Franck, effaroucheur depuis 20 ans. Tous deux font partie d'une équipe de 15 personnes, dirigée par Lorie, 28 ans.

    C'est au décollage que le risque de voir un oiseau se jeter dans le réacteur ou les roues est le plus important. L'année dernière, un chevreuil a causé quelques frayeurs. Apeuré, il restait sur la piste alors qu'un avion s'apprêtait à décoller. La tour de contrôle a tout stoppé. « On n'a pas eu d'autre choix que de le tuer... », se souvient Lorie.

    Et aussi

    Le Service médical d'urgence. Pour le docteur Bargain, médecin à la tête de ce dispensaire de 48 personnes depuis 40 ans et salarié du groupe ADP, Roissy est une usine. Le SMU, situé Terminal F, assure entre autres les premiers stades d'urgence, vaccine et détecte les maladies infectieuses, soit 20 000 consultations par an. Malheureusement, on meurt plus souvent à Roissy qu'on y naît puisque le SMU déplore 33 décès par an pour 2 naissances. Ses patients arrivent du monde entier et offrent des cas bien différents de ceux d'un médecin de ville. Il faut parfois effectuer des radios pour démasquer les « mules », ces voyageurs qui ingèrent des boulettes de drogue pour passer leur marchandise. Une centaine de trafiquants par an sont ainsi repérés.

    Les objets trouvés. Deux tiers des objets perdus le sont lors du passage des portiques de sûreté. Christine Horvath, la responsable, et son équipe de 10 personnes récupèrent chaque jour ordinateurs, tablettes, sacs, manteaux, valises et plus rarement béquilles, dentiers, prothèses de jambes, etc. Pas loin de 40 000 objets par an sont récoltés. La perte d'un objet peut être signalée sur www.cdgfacile.com.

    La zone duty free. Son emplacement est devenu très stratégique pour le groupe ADP et les marques. Il faut capter 100 % des passagers. Les boutiques appliquent un taux de TVA réduit, variable selon les produits. Tout est fait pour que le passager reparte avec un article. Un camembert, du vin, un parfum et parfois des objets uniques. Situé autour de 18 EUR, le panier moyen par passager a doublé depuis 2006.

    Repères

    65,9 millions de passagers en 2016 (+ 0,3 %).

    3,6 millions de tonnes de fret par an.

    88 000 personnes travaillent dans l'aéroport.

    6 478 salariés appartiennent au groupe ADP (ex-Aéroports de Paris)

    3 257 ha de surface, soit le tiers de la superficie de Paris.

    700 entreprises présentes.

    150 compagnies aériennes.

    120 à 130 recrutements par an au sein du groupe ADP.

    Article issu de notre supplément Le Parisien Eco - à feuilleter en intégralité ici

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