Le jour où... L'affaire Grégory a rebondi

Toute la semaine, nous revenons sur des faits divers qui ont marqué l'année. Aujourd'hui, les développements inattendus dans l'enquête sur le meurtre du petit Grégory.

    Ce jour-là, l'actualité s'emballe. Le 14 juin au matin, à Londres, un gigantesque incendie dévore une tour d'habitation, laissant augurer d'un effroyable bilan. A Paris, les soupçons d'emplois fictifs au MoDem rattrapent le nouveau garde des Sceaux François Bayrou. Mais c'est une affaire judiciaire vieille de plus de trente ans qui va faire les gros titres des chaînes d'info en continu.


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    Il est environ 8h30 lorsque le téléphone sonne au cabinet de Me Laure Iogna-Prat à Epinal (Vosges). Un gendarme la sollicite pour une garde à vue à Dijon (Côte-d'Or) «dans le dossier Grégory Villemin». «Je n'ai pas immédiatement fait le rapprochement, avoue l'avocate. D'abord parce que je ne m'attendais absolument pas à ce que cette affaire ressurgisse. Ensuite parce que, sur l'instant, ce nom de famille ne m'évoquait rien. Pour moi, c'était l'affaire du petit Grégory...»

    L'avocate prévient son associé, Me Stéphane Giuranna, un pénaliste aguerri, tout aussi «abasourdi» mais qui fait le lien. Elle annule ses rendez-vous et file vers Dijon. «Je n'ai pas grandi dans les Vosges donc je ne connaissais pas l'arbre généalogique des Villemin par coeur, précise-t-elle. En arrivant, j'ai compris que je devais assister le grand-oncle de l'enfant.» Stéphane Giuranna, lui, est retenu à la cour d'assises des Vosges où il assiste un homme accusé de viol. Après avoir été informé de la garde à vue par son associée, il la rejoint deux jours plus tard pour l'interrogatoire de première comparution de leur client.

    Ce coup de théâtre judiciaire ne pouvait rester confidentiel longtemps. Vers 13 heures, «l'Est républicain» révèle les auditions en cours, parmi les proches du garçonnet. Dont Marcel et Jacqueline Jacob, grand-oncle et grand-tante de l'enfant.

    Tentaculaire

    Les journalistes affluent vers la Vologne, ce qui rappelle de vieux souvenirs à Me Teissonnière. De mauvais souvenirs... Dans son cabinet parisien, au dernier étage d'un immeuble haussmannien, près de l'avenue de l'Opéra, cet avocat historique des Laroche comprend ce qui se prépare. Me Jean-Paul Teissonnière est entré dans le dossier en 1986. Il sait que sa cliente, Murielle Bolle, de nouveau traquée par la presse, sera la prochaine à être entendue par les gendarmes.

    Dès lors, il lui téléphone chaque matin pour la rassurer et s'assurer qu'elle ne se trouve pas (encore) en garde à vue. «Quelques semaines plus tôt, Murielle m'avait appelé pour m'annoncer que les gendarmes étaient passés chez elle en vue de nouveaux prélèvements génétiques, prétextant avoir perdu les échantillons précédents, se souvient le pénaliste. A l'époque, je ne me suis pas inquiété.»

    Tentaculaire, le dossier Grégory a en effet été rouvert en 2008 pour effectuer de nouvelles analyses ADN. Mais après l'échec de ces expertises, les gendarmes de la section de recherches de Dijon se sont remis au travail, misant cette fois sur les recoupements du logiciel AnaCrim. Une besogne titanesque débouchant sur une synthèse de 591 pages. Les enquêteurs bourguignons ont avancé pas à pas dans un cloisonnement total.

    A l'autre extrémité de la France, à Marseille (Bouches-du-Rhône), un homme, un seul, est mis dans la confidence : l'ex-capitaine de gendarmerie Etienne Sesmat, très marqué par l'affaire. Le 16 octobre 1984, celui-ci retirait le bonnet de l'enfant, qui venait d'être retrouvé pieds et poings liés dans la Vologne et «semblait dormir». «A l'automne 2016, les enquêteurs sont venus me trouver pour vérifier certains éléments, dévoile l'ancien militaire. Ils m'ont confié, sans entrer dans les détails, qu'il y aurait certainement du neuf avant l'été.» Dès lors, Sesmat compte les jours. Au fur et à mesure que ceux-ci s'allongent, il finit par se persuader qu'il s'agissait d'un faux espoir.

    Ces rebondissements, Christine et Jean-Marie Villemin — les parents de Grégory — les ont appris de la bouche de Claire Barbier, la juge chargée de l'enquête. Le tête-à-tête a lieu ce fameux 14 juin. «La convocation datait de deux semaines, raconte Me Thierry Moser, l'un de leurs avocats historiques. Je n'imaginais pas qu'on apprendrait autant de choses. Ils ont pris conscience que le crime n'était sans doute pas un acte isolé mais l'oeuvre d'une cellule familiale. Ils n'ont pu retenir leurs larmes. La satisfaction des progrès de l'enquête était contrebalancée par la douleur morale engendrée par ces révélations.»

    L'affaire Grégory est alors relancée, coup d'envoi d'une longue séquence estivale, marquée par le suicide du juge Lambert, presque un mois plus tard. La vérité semble à portée de main. Mais, pour l'heure, elle se dérobe toujours aux enquêteurs.

    Trois mises en examen