Un ex-électricien et son épouse accusés d'avoir dérobé 271 Å?uvres de Picasso

    Les époux Le Guennec, qui avaient révélé, en 2010, détenir 271 Å?uvres de Picasso, seront bientôt jugés. Une affaire d'héritage contesté exceptionnelle à retrouver aujourd'hui dans « l'Heure du crime » sur RTL.

    Un ex-électricien et son épouse accusés d'avoir dérobé 271 Å?uvres de Picasso

    Ils reçoivent dans leur modeste pavillon, dont ils ont « posé à la main chacun des parpaings ». Danielle et Pierre Le Guennec, 72 et 75 ans, comparaîtront à partir du 10 février devant le tribunal correctionnel de Grasse pour recel de chose volée. Electricien de profession, Pierre Le Guennec fut homme à tout faire chez Pablo Picasso en ce début des années 1970, dans la vaste propriété de Mougins, où, au soir de sa vie, le maître s'était installé. A en croire les époux Le Guennec, c'est Jacqueline, sa dernière épouse, qui leur aurait donné 271 Å?uvres de Picasso. Oubliées près de quarante ans, elles ont ressuscité en 2010, lorsque le couple a souhaité faire expertiser ce trésor, déclenchant une tempête dont il n'imaginait pas l'ampleur. Défendus par M es Evelyne Rees et Charles- Etienne Gudin, ils témoignent en exclusivité avant leur comparution devant le tribunal.

    Comment abordez-vous ce procès ?

    DANIELLE LE GUENNEC.

    On a du mal à dormir, mais je suis confiante. Nous sommes sûrs de notre bon droit. Nous sommes victimes d'une injustice et nous avons confiance en nos avocats pour le prouver.

    PIERRE LE GUENNEC.

    Il y avait d'autres solutions pour la Fondation Picasso que d'en arriver à de telles extrémités en déposant plainte immédiatement contre nous. Jamais je n'aurais pensé que ces Å?uvres allaient nous entraîner là.

    Comment les avez-vous obtenues ?

    PIERRE.

    Un jour, avant la mort du maître, c'était en 1971 je crois, Madame (NDLR : Jacqueline) m'a appelé. Elle m'a dit : « Tenez, c'est pour vous. » Tout était en vrac, dans un carton. Je n'ai pas osé regarder devant elle ce que c'était. Dans ma voiture, j'ai vu qu'il s'agissait d'esquisses, d'ébauches, de choses d'atelier. J'ai tout mis dans un sac. Les gens imaginent que l'on cachait près de 300 tableaux chez nous. En fait, il s'agit de 271 Å?uvres, qui se répartissent entre 180 petites pièces, et un carnet de 100 pages avec 91 dessins (NDLR : datant de 1900 à 1932). Tout ça tenait dans un carton, que je gardais dans mon garage, puis dans ma chaufferie.

    Pourquoi avoir attendu 2010 pour prévenir les héritiers Picasso de leur existence ?

    PIERRE.

    J'allais être opéré d'un cancer de la prostate, qui pouvait mal se terminer. Je voulais m'expliquer sur la possession de ces Å?uvres, et que mes enfants n'aient pas de problèmes avec. J'ai envoyé un courrier à la Fondation, expliquant que j'avais travaillé pour la famille Picasso. Ils voulaient des photos, puis nous ont demandé de monter à Paris.

    DANIELLE.

    A la Fondation, on a rencontré Claude Picasso. Il nous a parlé comme à des valets. Nous, on n'est peut-être pas nés avec une cuillère en argent, mais on sait vivre. Je suis fille de gendarme, et tout ce que l'on a, on l'a honnêtement gagné. Avec cette histoire, les Picasso sont complètement dans l'erreur.

    PIERRE.

    Je n'y connais rien à l'art. On nous dit que ces Å?uvres valent 60 millions, mais ce n'est pas moi qui ai fait cette estimation ! Pour moi, ces pièces avaient une valeur sentimentale. D'ailleurs, si on avait voulu, on aurait pu les vendre sous le manteau pendant toutes ces années. On ne l'a pas fait.

    Pourquoi un tel geste de Jacqueline envers vous ?

    PIERRE.

    A l'époque, Jacqueline fut accusée par les enfants de Pablo de le séquestrer. Ils avaient envoyé un huissier à Mougins pour le vérifier, et M. Picasso avait été obligé d'aller au portail. Lui et Madame avaient été profondément blessés par cet épisode. On peut imaginer qu'ils aient voulu remercier ceux qui vivaient avec eux et montrer leur affection à leur entourage.

    Vous considériez-vous comme un proche ?

    PIERRE.

    Avant de travailler pour les Picasso, j'ai été au service de grands noms et sociétés, comme l'Aga Khan ou la Banque de France. J'ai été appelé à Mougins, un jour, par hasard, pour réparer un four. Ils m'ont ensuite demandé d'installer l'alarme, puis de gérer les petits travaux dans la propriété. Je suis resté quatorze ans au service de Madame, de 1971 à 1985. Le maître me faisait parfois appeler. Il avait beaucoup de respect pour les employés et leur travail. J'ai parfois bu le café en sa compagnie. Son regard et sa présence vous transperçaient.

    Il avait confiance en vous ?

    PIERRE.

    Complètement. Par exemple, au moment de ses 90 ans, on m'a envoyé chercher pour lui des bouteilles d'oxygène. Je les ai mises à mon nom pour ne pas que l'on sache qu'il était gravement malade. Les premiers mois, son secrétaire, M. Miguel, m'avait mis à l'épreuve. J'aurais commis le moindre écart, il m'aurait licencié sur-le-champ. J'étais surveillé, et c'était normal. C'était pareil lorsque je travaillais à la Banque de France. A Mougins, il y avait des milliers de tableaux de Picasso mais aussi d'autres artistes. Si je suis resté aussi longtemps à leur service, c'est bien que je devais être considéré. C'était un honneur, une reconnaissance de travailler pour eux. Cette période était merveilleuse.

    Quels étaient vos liens avec Jacqueline ?

    DANIELLE.

    Notre amitié a commencé en octobre 1973, à la naissance de mon fils. Elle était venue me voir à la maternité. Pendant quatorze ans, Jacqueline est régulièrement venue chez moi. Elle parlait de son mari, de son amour incommensurable pour lui. On s'écrivait beaucoup, et j'ai conservé tout ce courrier. La veille de sa mort, elle m'avait appelée. J'ai pu assister à ses obsèques avec le reste de sa famille. Roland Dumas était là. Je sais ce que j'ai vécu avec elle. Mon plus beau cadeau, c'est de l'avoir connue.

    Espérez-vous récupérer ces Å?uvres, saisies par la justice ?

    DANIELLE.

    Bien sûr. Si on les récupère, elles seront destinées à nos enfants. Ce serait bien, aussi, que nous puissions les montrer dans la région au plus grand nombre. Mais au train où ça va, nous ne serons peut-être plus là pour le voir.

    VIDEO. Le témoignage des époux Le Guennec