Biélorussie : cinq minutes pour comprendre les manifestations contre Loukachenko

Au pouvoir depuis 1994 et réélu ce dimanche lors d’un scrutin très contesté, Alexandre Loukachenko fait face à une révolte historique depuis deux jours.

 Protestations à Minsk, en Biélorussie, après l’annonce des résultats des élections.
Protestations à Minsk, en Biélorussie, après l’annonce des résultats des élections. AFP/Sergei Gapon

    Manifestations, répression, arrestations… La Biélorussie est secouée par un mouvement de protestation sans précédent depuis dimanche et la réélection, dans des conditions très contestées, du président au pouvoir depuis 26 ans, Alexandre Loukachenko. On fait le point.

    Qui est Alexandre Loukachenko ?

    Le président biélorusse est un cas unique en Europe. Âgé de 65 ans et au pouvoir depuis 1994, il est considéré comme « le dernier dictateur d'Europe ».

    « Il est arrivé au pouvoir trois ans après la chute de l'URSS, quatre ans après l'indépendance de la Biélorussie, dans un contexte de catastrophe économique et désarroi, explique Anna Zadora, docteure en science politique. Le candidat Loukachenko a promis de restaurer la stabilité et cela a marché à l'époque. »

    Aujourd'hui, l'histoire est toutefois différente. Selon la politologue, la figure de ce président représente aux yeux d'une partie de la population un « passé trop dépassé, complètement déconnecté de la réalité actuelle et qui ne symbolise pas l'avenir ».

    Très autoritaire, défenseur d'une pensée anti-féministe et des idées néo-staliniennes, il nie catégoriquement l'existence d'une pandémie de Covid-19 et refuse d'introduire la moindre mesure restrictive contre le virus. « Le dernier clou dans le cercueil de la faible légitimité du régime », selon Anna Zadora.

    Pourquoi sa réélection est-elle contestée ?

    « Nous ne reconnaissons pas les résultats. Nous avons vu les protocoles de vote », a déclaré sa principale opposante, Svetlana Tikhanovskaïa, lors d'une conférence de presse dimanche soir, appelant ceux qui pensent que leur vote a été volé « à ne pas se taire ».

    De fait, les élections en Biélorussie font l'objet d'une défiance internationale depuis des décennies. « Dès le second mandat de Loukachenko, les observateurs - et non pas seulement l'opposition -, ont relevé des fraudes », assure Virginie Symaniec, autrice et éditrice de plusieurs ouvrages sur le pays. Le scrutin de 2020 pouvait-il alors être différent ?

    Depuis le blocage des candidatures des deux principaux rivaux de Loukachenko, Viktar Babaryka et Valery Tsepkalo, de nombreux observateurs doutaient déjà de la légitimité de cette élection comme de toutes les précédentes. Le résultat (80 % des voix pour Loukachenko) a fini de les convaincre.

    « Les élections après 1994 n'ont jamais été transparentes, mais il est plus facile de détecter les fraudes aujourd'hui, analyse Anna Zadora. 80 % des voix, c'est un mensonge trop grossier alors que le rejet du pouvoir n'a jamais été aussi fort en Biélorussie. »

    Que réclament les manifestants contre Loukachenko ?

    Depuis dimanche soir, les rues de Minsk sont le théâtre de graves émeutes. Les protestations, durement réprimées par l'appareil de sécurité de l'État, ont provoqué au moins un mort, des dizaines de blessés et plus de 3000 arrestations.

    Contrairement au discours officiel du gouvernement, accusant des « jeunes alcoolisés » de semer le chaos dans le pays, il s'agit plutôt de manifestations « pacifiques » où « des familles, des jeunes et des moins jeunes, des femmes et des hommes » défilent, selon Anna Zadora.

    « C'est vraiment le peuple qui ne veut plus que le pays aille dans le mur. Vingt-six ans de stagnation, c'est assez pour eux », assure-t-elle.

    Qui incarne l'opposition à Loukachenko ?

    Alors que pour le président réélu, « les femmes ne sont pas aptes à diriger le pays », sa principale opposante, lors des élections, était Svetlana Tikhanovskaïa, une professeure d'anglais sortie de l'anonymat pour défier l'homme qui a dirigé le pays plus d'un quart de siècle.

    Tikhanovskaïa, qui n'a jamais rêvé de diriger son pays de 9,5 millions d'habitants, a pris la décision de se présenter aux élections après que son mari, Sergueï Tikhanovski, un blogueur, a été emprisonné en mai après avoir présenté sa candidature en promettant d'écraser « le cafard » Loukachenko.

    Malgré son score officiel (9,9 % des voix), elle semble jouir d'une forte popularité dont attestent notamment ses meetings devant des foules importantes.

    « Pour la première fois, le peuple a vu une réelle alternative au régime. Les électeurs ont voté pour Svetlana pour qu'elle provoque un changement au pays », constate Zadora.

    L'opposante, âgée de 37 ans, a été placée en garde à vue et a dû quitter la Biélorussie pour la Lituanie, mardi, appelant ses partisans à ne pas manifester dans une vidéo réalisée « sous pression » selon ses soutiens.

    S'agit-il d'un mouvement historique dans le pays ?

    « C'est du jamais-vu », juge la docteure en science politique Anna Zadora. Loukachenko est en effet confronté à son plus grand défi puisqu'après une élection qui l'a vu affronter, pour la première fois depuis des décennies, une réelle opposition, il se retrouve désormais face à des foules de citoyens mécontents. Une situation qu'il n'a jamais eu à gérer.

    « Il y a eu d'importantes protestations par le passé, en décembre 2010 c'était très fort, mais personne ne s'attendait à deux nuits comme celles qu'on a vues », ajoute Anna Zadora.

    L'autrice Virginie Symaniec observe également que « ce qui se passe aujourd'hui est différent » et estime que « le moins que l'on puisse dire est que la violence à laquelle nous assistons est anormale et totalement disproportionnée ». Le comportement de Loukachenko devrait être scruté ces prochains jours, en Biélorussie comme ailleurs dans le monde.