Face à l’offensive ukrainienne en Russie, comment Vladimir Poutine et le Kremlin tentent de sauver les apparences

Alors que l’incursion de Kiev début août a pris de court le monde entier, la Russie comprise, le Kremlin tente de masquer sa déconvenue par tous les moyens.

Vladimir Poutine, ici lors d'une visioconférence ce jeudi. Sputnik/Gavriil Grigorov/REUTERS
Vladimir Poutine, ici lors d'une visioconférence ce jeudi. Sputnik/Gavriil Grigorov/REUTERS

    La Russie fera tout pour cacher ses difficultés. Pris au dépourvu par une offensive audacieuse qui a permis à l’Ukraine de s’emparer de centaines de kilomètres carrés de territoire russe, le Kremlin oublie ses traditionnelles envolées menaçantes et se fait très discret désormais.

    Et comme dans ses habitudes, elle minimise les mauvaises nouvelles. Vladimir Poutine voit dans la plus grande incursion militaire étrangère sur le sol russe depuis la Seconde Guerre mondiale un simple « développement ». « C’est sa réaction habituelle en de telles circonstances : il disparaît jusqu’à ce que la situation se calme, puis fait comme si tout était normal », décrypte l’experte Ekaterina Schulmann.

    Sur le recul depuis des mois face à l’avancée des troupes russes dans l’est de son territoire, l’Ukraine a porté le combat en Russie le 6 août avec une offensive d’une ampleur sans précédent et toujours en cours contre la région frontalière de Koursk. Face à cette attaque surprise, le président russe a réservé ses commentaires les plus durs à un public improbable : trois mères qui ont perdu des enfants lors du massacre de l’école de Beslan, en 2004, dans le Caucase du Nord.

    « Ces ennemis (…) poursuivent leur tâche en tentant d’ébranler notre pays », a-t-il dit cette semaine lors d’une visite commémorative. Comparant l’incursion ukrainienne au terrorisme islamiste qui avait endeuillé Beslan et choqué la Russie, il a promis de « vaincre ces criminels ».

    « Nous saurons tôt ou tard comment Poutine se vengera »

    Assurant s’être emparée de près de cent localités et de plus de 1 250 km2 en territoire russe, l’Ukraine dit espérer que son offensive renversera le cours de la guerre et forcera la Russie à négocier pour tenir compte de la lassitude de sa population. La réalité risque d’être différente. Depuis que Vladimir Poutine a ordonné l’invasion de l’Ukraine en février 2022, le Kremlin ne tolère plus aucune critique.

    Habitués aux hauts et aux bas du conflit, les Russes, expliquent des experts, ne se laisseront pas décourager par la perte de villages frontaliers, quand même si cela devait durer des semaines, voire des mois.

    « Oui, c’est douloureux, on le voit aux réactions » des responsables, déclare Alexander Gabuev, directeur du Centre Carnegie Russie Eurasie. Avant d’ajouter qu’« il y a une différence (…) entre la perte d’un territoire russe et la perte d’un territoire conquit ». Mais « je ne pense pas que pour l’élite ou la population russe, ce genre d’échec soit une info importante ».

    Le Kremlin est-il pris en étau ? La situation est difficile sur le plan militaire pour la Russie qui dispose actuellement de peu d’options. « Poutine ne bombardera pas la région de Koursk comme il a bombardé Bakhmout », ville ukrainienne prise par la Russie au printemps 2023 au terme de mois de bombardements intenses et au prix de lourdes pertes, déclare l’analyste Tatiana Stanovaïa.

    Difficile de dire combien de temps les Ukrainiens pourront tenir le terrain conquis mais il est probable que leur incursion en terres russes durera « des mois », ajoute-t-elle. Moscou a une « chance » de reprendre ses territoires perdus mais cela « prendra du temps », abonde Alexander Gabuev. « Nous saurons tôt ou tard comment Poutine se vengera », souligne-t-il.

    Cacher les failles militaires russes à la population à tout prix

    La télévision d’État russe se concentre pour l’heure sur la dimension humanitaire du conflit : les populations déplacées de la région de Koursk et les bénévoles qui leur viennent en aide. « La colère soulevée par la facilité avec laquelle les troupes ukrainiennes ont pénétré en territoire russe et la lenteur de la réaction du gouvernement sont, à l’inverse, restées contenues et essentiellement confinées aux familles touchées », observe Alexander Gabuev.

    Les régions frontalières russes sont « statistiquement les plus favorables à l’invasion russe et il est peu probable qu’elles se retournent contre le Kremlin », précise-t-il. Quant à Moscou, le choc s’y estompe rapidement après deux ans et demi de montagnes russes continuelles. « Ce n’est pas ressenti à l’échelle nationale et c’est simplement perçu comme un aspect de la guerre », note Tatiana Stanovaïa.

    Les experts disent voir des signes montrant que le soutien à des négociations de paix est en hausse. « Dans les enquêtes réalisées ces six derniers mois, on relève une situation paradoxale. Les personnes interrogées disent à la fois : Nous soutenons tout, l’opération militaire spéciale (appellation officielle de la guerre) était justifiée mais il faut y mettre fin », note Ekaterina Schulmann. Tatiana Stanovaïa tempère. Pour elle, l’épisode de Koursk n’a « rien changé » à la « position radicale » du Kremlin pour qui Vladimir Poutine n’arrêtera le combat « qu’à ses conditions ».