Guerre entre Prigojine, chef de Wagner, et l’armée russe : récit d’une longue escalade

    Evgueni Prigojine a-t-il lancé un putsch militaire contre le régime de Vladimir Poutine ce samedi matin ? Peut-être, car la tension montait depuis des mois avec le commandement en chef de l’armée russe.

    Evgueni Prigojine a franchi le Rubicon. Le chef du groupe paramilitaire Wagner Evgueni Prigojine est entré en rébellion contre le commandement militaire russe, après des mois de tension, et a affirmé ce samedi matin se trouver au quartier général de l’armée à Rostov, centre névralgique des opérations en Ukraine, et contrôler plusieurs sites militaires. Est-ce le début d’un putsch militaire contre le régime de Vladimir Poutine ?

    Toujours est-il que depuis des mois, le patron de la milice Wagner met en scène son opposition au commandement en chef de l’armée russe. Dès février, Evgueni Prigojine accusait l’état-major de l’armée russe de « trahison », affirmant que des ordres étaient donnés pour ne pas fournir d’armes, ni d’appui militaire aérien à la milice. « Si chaque Russe à son niveau - pour ne pas appeler qui que ce soit à manifester - disait simplement Donnez des obus à Wagner, ce qui est déjà en cours sur les réseaux sociaux, alors ce serait déjà important », déclarait l’homme d’affaires. Un appel inédit qui illustrait déjà l’ampleur des tensions entre les mercenaires et l’état-major russe. Une sortie ad hominem contre le chef d’état-major Valeri Guerassimov et le ministre de la Défense Sergueï Choïgou, deux des principales figures du pouvoir de Vladimir Poutine.

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    « Mises en scène impressionnantes »

    La situation n’a fait qu’empirer. La récurrence des attaques contre l’état-major russe, doublée de « mises en scènes impressionnantes, au caractère dramatique, et d’une colère exprimée librement, montre qu’il cherche à obtenir gain de cause », analysait Lukas Aubin, directeur de recherches à l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques) et auteur de « Géopolitique de la Russie », en mai dernier après une nouvelle sortie du maître à penser de Wagner.

    Le chef de la milice s’était exprimé en vidéo pour critiquer une nouvelle fois le commandement de l’armée russe. Sur Telegram, presque au moment même où Vladimir Poutine assistait à un défilé militaire à Moscou commémorant le « Jour de la Victoire » sur l’Allemagne nazie en 1945, il a accusé les soldats de l’armée régulière de fuir Bakhmout (sud-est de l’Ukraine). « Pourquoi l’État n’arrive-t-il pas à défendre le pays ? », s’était-il encore insurgé, pointant du doigt la responsabilité de l’état-major.

    « Si tout est fait pour tromper le commandant en chef, alors soit le commandant en chef vous déchirera le c*l, soit ce sera le peuple russe qui sera furieux si la guerre est perdue », a-t-il encore poursuivi, visant sans le nommer directement Vladimir Poutine, qui, en tant que président, est également chef des forces armées de la Fédération de Russie.

    « Il ne s’est jamais posé concrètement contre le régime russe. Toutes ses critiques sont centrées sur les corps intermédiaires sur le terrain, et l’état-major, mais jamais contre Poutine. Personne ne peut le faire de toute façon », rappelait aussi Lukas Aubin, directeur de recherche à l’IRIS, spécialiste de la géopolitique de la Russie.

    Attaques russes contre Wagner ?

    Mais ces dernières semaines, le ton a changé. Les accusations de collaboration secrète avec Kiev, et des incidents mettant aux prises armée russe et la milice Wagner ont semble-t-il été le déclencheur de la « rébellion » de Prigojine. Le 17 mai dernier, « des hommes du ministère (russe) de la Défense ont été aperçus en train de procéder au minage de routes à l’arrière des positions des unités Wagner », selon des déclarations d’Evgueni Prigojine rapportées par son service de presse, dans un rapport adressé à ce ministère. « Les combattants de Wagner qui ont procédé au déminage ont été attaqués par des tirs en provenance des positions du ministère de la Défense », assurait-il, avant de faire prisonnier un officier de l’armée régulière russe !

    Une escalade qui a pris un nouveau tournant ce vendredi. Evgueni Prigojine, le patron du groupe paramilitaire russe Wagner, combattant contre l’Ukraine, accuse l’armée régulière d’avoir bombardé des camps militaires de son propre groupe.



    Dans plusieurs messages audio publiés sur Telegram, Evgueni Prigojine promet de « répondre » à ces bombardements attribués à l’armée russe. « Le comité des commandements du groupe Wagner a décidé que ceux qui ont la responsabilité militaire du pays doivent être stoppés », a indiqué Evgueni Prigojine dans un message audio, en appelant à ne pas opposer de « résistance » à ses troupes et en affirmant que le ministre de Défense, Sergueï Choïgou, serait « stoppé ». « Ce n’est pas un coup d’État militaire, mais une marche pour la justice, nos actions ne gênent pas les forces armées », a-t-il précisé. Il est depuis entré en Russie et occupe Rostov ce samedi matin, et dit être prêt à rouler jusqu’à Moscou.