Russie : qui est Alexeï Navalny, l'homme qui rêve de chasser Poutine du Kremlin ?

Condamné ce lundi à quinze jours de prison, l'homme a construit son discours à la croisée du libéralisme et du nationalisme. Déjà épinglé pour des propos racistes, Alexeï Navalny est un jeune avocat ayant fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille. Portrait.

Alexeï Navalny prend un selfie lors d'une manifestation organisée le 27 février 2016, à Moscou, pour célébrer le premier anniversaire de l'assassinat de Boris Nemtsov.
 
Alexeï Navalny prend un selfie lors d'une manifestation organisée le 27 février 2016, à Moscou, pour célébrer le premier anniversaire de l'assassinat de Boris Nemtsov.   AFP/KIRILL KUDRYAVTSEV

    L'image a fait le tour du monde : Alexeï Navalny encerclé par la police, arrêté et emmené de force au poste, en plein milieu de sa manifestation contre la corruption du pouvoir. L'opposant russe numéro un, condamné ce lundi à 15 jours de détention, aura doublement réussi son pari : mobilier les foules contre Poutine et faire parler de lui.

    Ce jeune avocat de 40 ans et le Kremlin se livrent depuis quelques mois un étrange jeu dans lequel chacun tente de profiter des attaques de l'autre pour se renforcer. Portrait d'un opposant aussi gênant dans la rue que sur les réseaux sociaux.

    L'avocat ambitieux. Né en 1976 près de Moscou, Alexeï Navalny a étudié le droit à l'Université de l'Amitié des Peuples de Moscou, d'où il sort diplômé en 1998. Issu de la nouvelle génération russe ayant éclos après la chute de l'URSS, Navalny s'investit rapidement en politique. Dans les années 2000, il rejoint le parti d'opposition libéral «Iabloko», le Parti démocrate russe. Mais il en sera exclu en 2007 pour des prises de position jugées trop nationalistes. Toutefois, loin de l'isoler, cette exclusion lui donne des ailes.

    Trublion «inflitré» dans des groupes russes. La corruption est le cheval de bataille de Navalny, qui n'hésite pas à dénoncer les agissements du pouvoir, politique comme judiciaire, et des grands groupes russes. En 2007, le jeune avocat acquière des actions dans plusieurs entreprises semi-publiques : Gazprom, Rosneft, Bank BTB, Sberbank... Son idée : «infiltrer» ces groupes afin d'exiger, en tant qu'actionnaire, même minoritaire, la transparence. Libéral et chantre de l'anti-corruption, Alexeï Navalny s'envole ensuite en 2010 aux États-Unis, pour suivre des cours à la prestigieuse université de Yale, où il intègre le cercle des «World Fellows», un groupe mondial de jeunes «leaders émergents». L'avocat ne s'en cache plus : il est pro-occidental.

    Une percée inattendue dans les urnes. Les années suivantes, Alexeï Navalny concentre toute son énergie dans la politique. En 2011, il fonde le Fonds de lutte contre la corruption (FBK), avec une obsession : dénoncer les abus de Russie Unie, le «parti des voleurs et de la corruption». L'opposant franchit un cap en 2013, lorsqu'il se déclare candidat aux élections municipales, à Moscou. Pendant la campagne, il loue le libéralisme sans hésiter pourtant à tirer sur la corde d'un nationalisme dur, parfois raciste. «Je vois les statistiques et je constate que 50% des crimes graves sont commis par les migrants», déclare-t-il.

    L'avocat le sait : un discours nationaliste ne peut que le rendre crédible aux yeux d'une grande partie de la population. Et cela fonctionne. Navalny grimpe dans les sondages et termine deuxième de l'élection, avec 27% des votes. Le candidat marque alors les esprits, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays, en démontrant sa capacité à réunir. Lors de la campagne, il a reçu 3 millions d'euros de la part de 16 000 donateurs et des centaines de dirigeants de PME russes lui ont accordé son soutien.

    Le Kremlin contre-attaque. Mikhaïl Khodorkovski, Evgueni Ourlachov, Garry Kasparov... La liste d'opposants russes traînés en justice est longue et Alexeï Navalny n'échappe pas aux tentatives d'intimidation par voie judiciaire, une arme fréquemment utilisée par le pouvoir pour faire taire l'opposition. Dès 2012, l'avocat est condamné à quelques jours de prison pour avoir pris part à une manifestation hostile au pouvoir. L'année suivante, le voilà poursuivi pour sa première affaire de détournement de fonds, accusé d'avoir détourné 400 000 euros en 2009 au détriment de la société d'exploitation forestière Kirovles, alors qu'il était conseiller du gouverneur de la région de Kirov.

    Condamné à cinq ans de colonie pénitentiaire, sa peine est finalement commuée en sursis, mais en 2016, saisie, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) condamne à son tour la Russie au motif que les droits des accusés pour «un procès équitable» avaient été bafoués. Un nouveau procès a lieu, mais, en février dernier, Navalny est de nouveau condamné à cinq ans et demi de prison avec sursis ainsi qu'à une peine d'inéligibilité. De quoi mettre des bâtons dans les roues de cet ambitieux qui ne cache plus son désir de défier Poutine en 2018.

    Par ailleurs, Navalny a également été condamné en 2014 dans une autre affaire de détournement de fonds, écopant d'une peine de colonie pénitentiaire avec sursis, alors que son frère a terminé sous les verrous. Que leur reprochait-on? D'avoir surfacturé une filiale russe du groupe français Yves Rocher, à l'origine de la plainte. Or, «il y a eu rapidement des soupçons que ce soit sous la pression de Moscou», écrivait Le Monde à l'époque. Quoi qu'il en soit, Yves Rocher a fini par retirer sa plainte, mais Oleg Navalny dort toujours en prison à l'heure actuelle.

    Objectif Kremlin. Alexeï Navalny a annoncé, le 13 décembre dernier, sa candidature à l'élection présidentielle russe de 2018. Utilisant au maximum le potentiel des réseaux sociaux, l'opposant s'adresse aux Russes moyens, aux entrepreneurs et aux jeunes, déjà séduits par son discours en 2013 lors des municipales. Son message n'a pas changé, mais son nationalisme s'est adouci. «Il n'y a pas eu de véritables élections en Russie depuis 1996, déclare-t-il. Ceux qui sont au pouvoir depuis dix-sept ans ne réagissent plus à aucune critique, trop occupés à résoudre leurs propres problèmes financiers. Ils ne permettent aucune concurrence».

    Navalny s'appuie aujourd'hui sur son Fonds de lutte contre la corruption (FBK) pour faire campagne, d'autant plus que son parti politique, la Parti du Progrès, a été interdit en 2015 dix jours après qu'il eut intégré la principale force d'opposition, la Coalition démocratique, au côté notamment du mouvement «Open Russia» du dissident Mikhail Khodorkovski.

    12 millions de vue sur YouTube

    Le 2 mars 2017, Navalny frappe un grand coup en publiant sur Internet une vidéo dont il est le héros. Mêlant investigation et accusation, le documentaire politique d'une cinquantaine de minutes cherche à dévoiler l'étendu de la corruption du Premier ministre Dmitri Medvedev.

    VIDEO. Alexei Navalny dénonce la corruption de Dmitri Medvedev (sous-titres en anglais) :

    Selon le calcul du FBK, la valeur totale des biens acquis par le fidèle bras droit de Poutine atteindrait les 45,5 milliards de roubles (environ 730 millions d'euros), sous la forme de villas, vignobles et autres biens immobiliers de luxe situés en Russie comme à l'étranger. La porte-parole de Dmitri Medvedev, Natalia Timakova, rétorque avec mépris que «commenter les attaques propagandistes d'un opposant et d'une personne condamnée est absurde». Trop tard, le coup est parti, et voilà Navalny qui lance avec fracas sa campagne - tout du moins sur les réseaux sociaux.

    Forces et faiblesses. Opposant numéro un à Vladimir Poutine depuis la mort en 2015 de Boris Nemtsov, Alexeï Navalny est passé maître en l'art de mobiliser sur les réseaux sociaux, alors que les grands médias russes l'ignorent. La popularité de sa vidéo publiée début mars, vue par plus de 12 millions de fois, semble le prouver.

    Mais mieux encore, l'avocat se montre souvent capable de retourner les attaques dont il est la cible contre leurs auteurs. Récemment, en Sibérie, il s'est ainsi retrouvé asperger de zelyonka, un antiseptique de couleur verte et très tachant, une «coutume» réservée aux opposants politiques en Russie. Quelques heures plus tard, son visage barbouillé de vert devenait sur Internet un nouveau symbole de résistance et de lutte contre la corruption.

    Un opposant utile pour Poutine ? Mais certains analystes estiment qu'Alexeï Navalny pourrait jouer le rôle d'opposant... salutaire à Vladimir Poutine en vue de l'élection présidentielle à venir. En effet, la mobilisation des électeurs envers le parti poutinien «Russie Unie» se dégrade année après année. En atteste le taux de participation très faible – inférieure à 50% – des dernières législatives en septembre 2016. La présence d'un opposant sérieux, mais pas suffisamment toutefois pour le battre, rendrait alors plus solide et légitime l'éventuelle victoire de Poutine en 2018.

    De son côté, Navalny préfère ménager le président russe et a évoqué par le passé une stratégie «à la Eltsine». Sûr de lui, l'opposant n'a ainsi pas hésité à proposer l'immunité à Vladimir Poutine et sa famille pour l'inciter à quitter le pouvoir, comme l'avait fait en 1999 envers Boris Elstine un certain... Poutine. Le maître du Kremlin n'a pour l'heure pas cru bon répondre à son offre.