« S’il vous plaît, écrivez-moi » : 80 ans après, la lettre de la mère d’un GI résonne encore en Normandie

Un an après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la mère d’un soldat américain tué en Normandie a voulu savoir si quelqu’un veillait sur la tombe de son fils. Le début d’une longue histoire.

    « C’est comme une bouteille à la mer. » Dans ses mains, Ludovic Adeline tient une lettre jaunie par le temps. Elle date du 23 mai 1946, vient de Pennsylvanie aux États-Unis, et a pour simple destinataire le « chef de la poste » de Saint-Laurent-sur-Mer (Calvados). À l’intérieur, les mots de Lillian Stevens, une femme qui a perdu deux de ses fils pendant la Seconde Guerre mondiale : William, tué en Allemagne en 1945, et Paul, l’aîné, mort en 1944 et enterré en Normandie. « Ce serait formidable de recevoir une lettre de quelqu’un qui se rend sur sa tombe. Paul avait 20 ans (…). Vous comprendrez que cette guerre a profondément endeuillé notre foyer. En espérant avoir des nouvelles de quelqu’un (…). S’il vous plaît écrivez-moi. »

    C’est là qu’une histoire commune de 80 ans commence. Les grands-parents de Ludovic, qui gèrent la poste du village, héritent du courrier. « Ils ont trouvé la tombe, l’ont fleurie, et de là est née une amitié qui s’est transformée en un lien plus que familial », raconte le sexagénaire, qui vit sur place, et dont la famille perpétue la tradition. La semaine dernière, l’une de ses cousines est venue déposer quelques fleurs au pied de la croix de marbre gravée du nom de « Paul T. Stevens ».

    Cette tombe fait partie des 9 388 que compte le cimetière américain de Colleville-sur-Mer (Calvados), situé juste au-dessus d’Omaha Beach, l’une des plages du Débarquement du 6 juin 1944. Membre de la 2e division d’infanterie de l’armée américaine, Paul y a débarqué le 7 juin. Il sera tué douze jours plus tard près de Saint-Lô (Manche). « Je ressens toujours une grande émotion », explique Sylvie Laillier, petite fille du couple de postiers, qui a notamment raconté cette histoire au site de généalogie MyHeritage.fr. « J’ai toujours une pensée pour notre famille aux États-Unis et pour tous ces soldats, qui sont venus périr pour nous ici. »

    « Ma mère a décidé d’aller les rencontrer »

    Cartes de vœux, échange de colis… dans les années d’après-guerre qui suivent le courrier de Lillian Stevens, une correspondance se noue, « essentiellement entre les deux femmes : ma grand-mère et la maman des soldats », poursuit Ludovic. Lillian Stevens décède en 1959, mais la relation amicale entre les familles perdure et prend même un tour nouveau en 1975. « Ma mère a décidé d’aller les rencontrer et à partir de là, il y a eu une fusion des deux familles. L’année suivante, ils sont venus chez nous, celle d’après, c’est moi qui suis allé chez eux », se souvient-il.



    Dans cette amitié franco-américaine, Ludovic Adeline tisse un lien particulier avec Donald, le troisième des fils Stevens. En vertu de la « politique du seul survivant » mise en place pour éviter que des fratries entières ne soient décimées, « Don », prêt à partir combattre dans le Pacifique, avait été renvoyé à la maison par la Navy. Il est aujourd’hui âgé de 97 ans et revient sur le lien particulier qui le lie à cette famille normande. « Certains jours, je suis Français, d’autres jours, je suis Américain… mais je ne peux plus faire de différence », sourit-il depuis la Virginie (États-Unis), avant de s’adresser directement à Ludovic. « Ludo, tu es devenu très tôt un fils, mais notre amitié n’a cessé de grandir. Et pendant toutes ces années, l’attention que les gens en Normandie ont porté à mes frères les a maintenus en vie. Et cela a été très important ».

    Venu à plusieurs reprises en Normandie, Donald Stevens a légué à Ludovic les effets personnels de son grand frère Paul : son yoyo, son calot, sa cravate, mais aussi le drapeau américain qui avait été plié et posé sur son cercueil. Et Donald de résumer ainsi leur relation : « Nous ne sommes plus deux familles. Nous avons pris le rouge, le blanc et le bleu des deux drapeaux et nous les avons enveloppés ensemble. »