«Normal ou pas de jeter des pierres sur les forces de l’ordre» : ce qu’a vraiment dit Sibeth Ndiaye

La porte-parole du gouvernement s’est attiré les foudres d’un syndicat de police pour des propos tenus au sujet des forces de l’ordre. Mais ses propos n’ont pas été diffusés dans leur globalité.

 La porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye a été prise à partie pour des propos sur les jets de pierres sur les forces de l’ordre pendant les manifestations.
La porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye a été prise à partie pour des propos sur les jets de pierres sur les forces de l’ordre pendant les manifestations. REUTERS/Pool/Gonzalo Fuentes

    De l'aveu même de Christophe Castaner, dans les colonnes du Parisien, il y a un « moment de tensions » entre l'exécutif et les forces de l'ordre. Alors que celles-ci reprochaient au ministre de l'Intérieur son discours du 8 juin dans lequel il promettait de suspendre tout policier pour lesquels existerait un « soupçon avéré de racisme », c'est cette fois la porte-parole du gouvernement qui est l'objet de leur colère.

    Sibeth Ndiaye se trouve accusée d'avoir tenu des « propos indignes » dimanche sur le plateau de l'émission Dimanche en politique, sur France 3. Une attaque publiée dimanche dans la nuit par le Syndicat des commissaires de la police nationale sur Twitter, relayée par près de 3 000 personnes, y compris par des responsables politiques venus des rangs de la droite et de l'extrême droite.

    Mais l'extrait diffusé sur Twitter ne correspond pas à l'intégralité de ses propos, et la polémique relève du faux procès. Explications.

    Un très court extrait diffusé

    Pour appuyer ses affirmations, le syndicat a diffusé une courte vidéo, de quinze petites secondes, isolant des propos de la porte-parole au sujet de l'arrestation de l'infirmière Farida C., interpellée sans ménagement par les forces de l'ordre et dont les images ont fait le tour du pays. « Je comprends évidemment l'émotion suscitée par l'image qu'on a vue de son arrestation. Mais, en même temps, je ne saurai pas expliquer aujourd'hui à mes enfants par exemple est-ce qu'il est normal, ou pas, de jeter des pierres sur les forces de l'ordre. »

    Isolés ainsi, les propos semblent en effet prêter le flanc à ceux qui jugeraient l'exécutif un peu trop distant avec les forces de l'ordre. « Notre pays est foutu », s'indigne le maire RN d'Hénin-Beaumont. « Comment Sibeth Ndiaye peut-elle encore rester au gouvernement? », appuie l'eurodéputé RN Thierry Mariani. « Affligeant, honteux! », s'emporte l'avocat Szpiner, également candidat LR aux municipales dans le XVIe arrondissement de la capitale. Dans un second tweet, le syndicat national des commissaires de la police nationale en appelle « au président Macron ou au Premier ministre Édouard Philippe », estimant que « de tels propos tenus par des ministres du gouvernement sont contraires aux valeurs de la République et contribuent au désordre sécuritaire dans notre pays. »

    Appels au « limogeage »

    Les syndicats policiers se sont tout autant émus de la sortie de la ministre. Le syndicat majoritaire SGP Police (FO) y voit une « incongruité de plus » et un « manque de soutien ferme vis-à-vis des forces de l'ordre ». Alternatives police (CFDT) évoque des « propos indignes de ses fonctions ». Synergie (CFE-CGC, représentant les officiers), parle d'une avanie témoignant du mépris des policiers et de « l'affaissement de l'autorité de l'Etat ». Le syndicat Alliance demande désormais son « limogeage ».

    Des propos maladroits mais sans ambiguïté s'ils sont écoutés en entier

    Sauf qu'en réécoutant l'extrait dans sa globalité, la teneur des propos de Sibeth Ndiaye laisse entrevoir un discours radicalement opposé à celui qui est reproché par tous les syndicats policiers. La porte-parole du gouvernement revenait en effet sur l'arrestation de l'infirmière.

    Elle est alors interrogée sur une éventuelle clémence à accorder à celle qui a par ailleurs été filmée en train de lancer des pierres sur les forces de l'ordre et de faire des doigts d'honneur en leur direction. Réponse de l'intéressée : « La justice doit s'exercer de manière normale, comme pour n'importe quel citoyen. Quand je ne sais pas expliquer qu'on jette des pierres sur les forces de l'ordre, je ne vois pas en quoi il faudrait l'absoudre ». Sur cet extrait, Sibeth Ndiaye est donc très loin d'excuser les actes de l'infirmière.

    « La justice doit être la même pour tous »

    Relancée, elle poursuit son développement :

    - « Je crois simplement que la justice, qui est parfaitement indépendante dans notre pays, doit juger en droit ce qui s'est passé. »

    - « Elle risque la prison ! », lui rétorque le journaliste

    - « Ce n'est pas à la porte-parole du gouvernement de déterminer quelle doit être la décision de justice qui doit être prise. »

    C'est ensuite qu'arrive le fameux extrait polémique. Interrogée sur « l'émotion » que pourrait susciter la mise en détention de l'infirmière, Sibeth Ndiaye répond par cette phrase plus ambiguë que ses propos précédents. « Je comprends évidemment l'émotion qu'a suscitée l'image qu'on a vue de son arrestation, mais en même temps, je ne saurai pas expliquer à mes enfants par exemple s'il est normal ou pas de jeter des pierres sur les forces de l'ordre. »

    Cette sortie semble avant tout relever de la maladresse. Car la conclusion de Sibeth Ndiaye est on ne peut plus claire. « Il faut que l'on soit capable aussi de considérer que la justice doit être la même pour tous. Il peut y avoir des circonstances atténuantes ça ne m'appartient pas de le dire et c'est au juge de le faire. On peut tous être amenés dans des circonstances particulières à être à bout de nerfs. Est-ce que pour autant ça justifie qu'on jette des pierres sur les forces de l'ordre ? Que dirions-nous au fils ou à la fille du CRS qui reçoit cette pierre dans le visage ? Que ce n'est pas grave ? Non on ne peut pas le dire. »

    « Il n'y a pas de doute sur la position de la ministre »

    Contacté, David Le Bars, secrétaire général du SCPN, ne regrette absolument pas sa décision de poster cette vidéo. « Je rappelle tout d'abord que cet extrait n'est pas coupé. Les propos se suivent. La vérité, c'est que cette interview est remplie d'ambiguïtés. Je ne suis pas là pour demander la peau d'un ministre, on n'a jamais demandé de blanc-seing au gouvernement. En République, on ne lance pas de pierres sur les forces de l'ordre. Il suffisait de le dire ainsi, sans questionnement. »

    Dans l'entourage de Sibeth Ndiaye, on s'étonne de la façon dont cet extrait a été diffusé. « C'est une phrase rhétorique, entourée par des passages extrêmement clairs, nous indique-t-on. Elle s'exprime comme si elle parlait effectivement à ses enfants. Il n'y a pas de doute sur la position de la ministre, qui a toujours été en soutien des forces de l'ordre, et qui l'a toujours dit en conférence de presse. »

    Certains opposants au gouvernement n'ont pas voulu entrer dans le faux procès, à l'image de François-Xavier Bellamy. L'eurodéputé LR a pris la défense de Sibeth Ndiaye sur Sud Radio, expliquant bien que ses propos étaient déformés.