Hôpitaux : «La crise ne fait que commencer»

LE PARISIEN WEEK-END. Pour Antoine Vial, la pénurie de généralistes, le vieillissement de la population et l’explosion des besoins ont des effets dévastateurs.

 Concernant les urgences, «avant de refondre le système hospitalier, on pourrait déjà revoir le tri des patients», propose l’expert.
Concernant les urgences, «avant de refondre le système hospitalier, on pourrait déjà revoir le tri des patients», propose l’expert. LP/Arnaud Dumontier

    Engorgés et sans moyens, les services d'urgence de quelque 130 hôpitaux sont en grève. Antoine Vial, expert en santé publique et auteur de « Santé, le trésor menacé », paru en 2017 à L'Atalante, revient sur les raisons de la crise du système hospitalier, ses conséquences néfastes et les solutions immédiates envisageables.

    Comment en est-on arrivé à cette crise ?

    ANTOINE VIAL. Elle est multifactorielle. Cette crise concerne l'offre de soins, d'une part. On a bâti un système hospitalier en délaissant les médecins de première ligne : le nombre de généralistes est en chute libre depuis trente ans, et ils sont inégalement répartis sur le territoire. Ces médecins travaillaient quatre-vingt heures par semaine et assumaient des gardes obligatoires. Ce n'est plus le cas. La profession, qui s'est féminisée, aspire à autre chose après dix ans d'études. Les généralistes ne pratiquent plus les petits actes d'urgence, comme les sutures. D'autre part, les besoins ont explosé. En vingt ans, la fréquentation des urgences a doublé, passant de 10,1 millions de patients en 1996 à 21,2 millions en 2016.

    Si certains malades y vont car ils anticipent des examens complémentaires (radio, scanner…), beaucoup de cas ne sont pas des urgences réelles. Avec la pénurie de médecins combinée au vieillissement de la population, la crise ne fait que commencer. Encore plus de casse est à craindre.

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    Quelles sont les conséquences d'une telle situation ?

    L'effet est dévastateur pour les soignants des urgences, qui travaillent déjà dans une extrême tension. A cela s'ajoute la peur face à la violence qui s'exprime aujourd'hui. Elle s'est banalisée. Le mouvement a d'ailleurs commencé après une agression à l'hôpital Saint-Antoine, à Paris. N'importe qui péterait un câble devant des patients eux-mêmes stressés, parfois alcoolisés, agressifs. Les soignants sont usés, au niveau psychique et physique. Leur malaise risque de se répandre dans les autres services hospitaliers. Côté patients, les conséquences sont aussi dramatiques : la mortalité a augmenté de 9 % sur l'ensemble des malades et jusqu'à 30 % pour les cas les plus graves, d'après une étude de 2016.

    Quelles seraient les solutions immédiates ?

    Avant de refondre le système hospitalier, on pourrait déjà revoir le tri des patients. C'est le premier boulot de l'urgentiste, complexe, car il requiert de multiples compétences : psychologie, traumatologie, cardiologie… Aujourd'hui, le médecin urgentiste est seul quand un cas grave se présente. Il y a trente ans, une équipe réunissant un urgentiste, un chirurgien orthopédiste, un chirurgien général et les internes en médecine générale accueillaient les patients : ceux qui devaient l'être étaient dirigés immédiatement vers le bloc. La médecine se spécialise toujours davantage, alors qu'on a besoin de polyvalence.