La Cathédrale de Reims, La Fenice… avant Notre-Dame, comment elles ont été rebâties

Le défi de la reconstruction de Notre-Dame est au cœur de toutes les préoccupations. Voici comment d’autres lieux chargés d’histoire ont pu renaître de leurs cendres.

 Il a fallu vingt ans pour reconstruire la cathédrale Notre-Dame de Reims à l’identique.
Il a fallu vingt ans pour reconstruire la cathédrale Notre-Dame de Reims à l’identique. LP/Olivier Boitet

    Il y a un siècle, la reconstruction de la cathédrale de Reims, détruite par les bombardements de la Première Guerre mondiale, suscitait déjà la même émotion… et les mêmes questions que l'incendie de Notre-Dame de Paris. En 1996, pour la deuxième fois de son histoire, l'opéra de Venise était dévasté par les flammes. Pour le maire de l'époque, le seul moyen de panser les plaies était alors de reconstruire à l'identique. A Nantes, la toiture de la basilique a été détruite en 2015 et il faudra attendre le printemps 2021 pour rouvrir l'édifice.

    A l'heure où les dons affluent pour sauver Notre-Dame, retour sur ces chantiers titanesques qui ont offert une nouvelle vie à ces monuments.

    La cathédrale de Reims a misé sur le béton

    Après huit heures de bombardements, la cathédrale de Reims est dans un triste état au soir du 19 septembre 1914. C'est l'incendie de l'échafaudage, dressé le long de la tour nord, qui fait le plus de dégâts. Les pompiers ne peuvent rien faire. Le feu s'est attaqué aux énormes poutres de chêne de la charpente et elle est entièrement consumée. Il ne reste plus que les voûtes en pierre et les tours de l'édifice, tandis que toutes les verrières ont éclaté.

    Le journaliste Albert Londres écrit ces lignes pour décrire l'ampleur de la catastrophe : « Elle est ouverte. Il n'y a plus de portes. Nous pénétrons en retardant le pas. […]. L'instinct qui fait qu'on se découvre au seuil de toute église n'a pas parlé. Nous ne rentrions plus dans une église. »

    En 1914, le bombardement et l’incendie qui a suivi n’ont laissé de la cathédrale de Reims que les voûtes en pierre et les tours de l’édifice. Photo12
    En 1914, le bombardement et l’incendie qui a suivi n’ont laissé de la cathédrale de Reims que les voûtes en pierre et les tours de l’édifice. Photo12 LP/Olivier Boitet

    À la sortie de la guerre, la grande polémique consiste à savoir s'il faut reconstruire : « Certains anciens combattants souhaitaient laisser la cathédrale martyre en l'état », rappelle l'historien et spécialiste de la cathédrale de Reims, Patrick Demouy. Puis, rapidement, la reconstruction s'impose et c'est l'architecte Henri Deneux qui s'attaque à ce chantier hors-norme. « La question de la reconstruction à l'identique, avec les mêmes matériaux, s'est ensuite posée. Et c'est là que Deneux a proposé d'utiliser une nouvelle technologie », précise Patrick Demouy.

    Déjà à l'époque, « il était impossible de retrouver une forêt de chênes pour reconstruire la charpente, il a donc inventé ce système de charpente en poutrelles de béton », poursuit-il. L'architecte imagine alors des assemblages, à l'image d'un jeu de mécano avec des planches de béton reliées à l'aide de chevilles en bois. L'astuce était moins coûteuse, ininflammable et surtout esthétique. « Personne ne soupçonne que la charpente de la cathédrale de Reims est en béton; à l'époque, cette partie était inaccessible au public », précise l'historien.

    La charpente en béton a remplacé le bois dans la cathédrale de Reims. AFP/François Nascimbeni
    La charpente en béton a remplacé le bois dans la cathédrale de Reims. AFP/François Nascimbeni LP/Olivier Boitet

    Quant aux fonds pour la reconstruction, ils sont rapidement rassemblés car l'incendie de l'édifice suscite une grande émotion dans le monde entier. Rockefeller prend en charge toute la reconstruction du toit, pour un coût qui correspondrait aujourd'hui à plusieurs millions d'euros. L'argent récolté sert également dans les années 1930 et 1950 à restaurer les vitraux de la cathédrale. Certains avaient explosé pendant l'incendie ou à cause des bombardements. Le maître verrier Jacques Simon restaure notamment la Grande Rose à l'identique. « Son atelier disposait de toute la documentation, puisque la Grande Rose avait été restaurée avant guerre. »

    Mais le symbole de la cathédrale et de sa ville, c'est l'ange au sourire, rappelle Patrick Demouy : « Cette statue, située sur le portail nord de la façade de la cathédrale, avait perdu son visage lors de l'incendie. C'est devenu, après la reconstruction, l'emblème d'une ville qui a retrouvé son sourire. » La cathédrale a été rendue au culte le 18 octobre 1937, après vingt ans de travaux.

    La Fenice, à Venise, reconstruite à l'identique

    Détruit par un incendie en janvier 1996, l’opéra de Venise a rouvert en décembre 2003. SIPA/Barbazza
    Détruit par un incendie en janvier 1996, l’opéra de Venise a rouvert en décembre 2003. SIPA/Barbazza LP/Olivier Boitet

    Le 29 janvier 1996, alors que les pompiers de Venise ont lutté toute la nuit contre les flammes qui ont ravagé La Fenice, l'opéra de la Sérénissime, le maire Maurizio Cacciari promet : « La Fenice sera reconstruite exactement telle qu'elle était, où elle était. » Il poursuit alors : « La Fenice est un symbole de Venise, le seul moyen de panser la plaie est de la reconstruire pierre par pierre, fresque par fresque. » D'autant que le prestigieux opéra a déjà été détruit par le feu à la fin du XVIIIe siècle. Par ailleurs, le maire craint que l'élaboration d'un nouveau projet et la reconstruction totale d'un nouveau théâtre requièrent un temps infini, « connaissant l'administration italienne ».

    À l'époque, le calendrier des travaux est très serré. Le comité chargé de la logistique a prévu 29 mois pour remettre à neuf le théâtre dévasté, une fois l'enquête sur les causes du sinistre bouclée. Il faut alors un peu plus d'un an pour mettre la main sur les coupables, deux électriciens qui, voulant éviter de payer une amende pour les retards générés par leur entreprise, ont projeté de mettre le feu à l'édifice pour simuler un cas de force majeure. Pressé par le temps, parce qu'il sait que Venise sans la Fenice est juste un grand corps malade, Massimo Cacciari fait des pieds et des mains pour orchestrer sa reconstruction.

    L'Etat italien met alors en place un Comité dédié à la reconstruction avec un super commissaire chargé de contrôler l'avancement du chantier. Un marché public, procédure d'ordinaire réservé aux ponts et aux autoroutes, est publié, de premiers fonds récoltés. Malgré ces précautions, les couacs se multiplient, retardant le début des travaux. Certaines entreprises, écartées, font des recours.

    Les flammes ont ravagé La Fenice dans la nuit du 28 au 29 janvier 1996. SIPA/Barbazza
    Les flammes ont ravagé La Fenice dans la nuit du 28 au 29 janvier 1996. SIPA/Barbazza LP/Olivier Boitet

    Si le projet prévoit une reconstruction à l'identique sur la forme, toutes les infrastructures doivent être modernisées et l'acoustique améliorée. Il faut attendre l'an 2000 et le mandat d'un nouveau maire, Paolo Costa, pour que les travaux, au point mort, reprennent. La SACAIM, sommée de finir l'œuvre, boucle le chantier en 630 jours. Le travail est titanesque.

    Elisabetta Fabbri, architecte, se souvient : « Nous avions les meilleurs artisans de Venise mais la demande centrale était : comment recréer l'émotion au-delà de la technique ? Comment recréer le lien entre le spectateur et le lieu ? »

    Interviewé dans un journal local, le scénographe Mauro Carisi, appelé en renfort pour participer à la reconstruction, se souvient : « Je me suis retrouvé avec un plan géométrique vierge où j'ai dû reconstituer toutes les décorations telles qu'elles étaient avant l'incendie. On m'a fourni 4 000 photographies, la plupart abîmées et pleines de grain car elles zoomaient sur des détails. Il a fallu tout interpréter, soupeser pour coller au plus près au style original. »

    Rebâtir sans trahir. Parfois, il faut repartir de zéro, car il ne reste plus rien. D'autres fois encore, des vestiges, épargnés par le feu, servent de point de départ à ce délicat chantier. En tout, 300 personnes sont mobilisées : des ouvriers, des restaurateurs et des décorateurs pour un coût de 54,8 millions d'euros.

    La Fenice est finalement inaugurée le 14 décembre 2003, avec un concert dirigé par le célèbre chef Riccardo Muti. Une belle revanche pour ce théâtre dont le nom signifie phénix – qui renaît de ses cendres — qui n'a pas hésité à souligner dans un message plein d'espoir adressé à Paris après l'incendie de Notre-Dame : « Nous avons été assaillis deux fois par le feu, mais nous en sommes sortis toujours plus forts. Ne craignez rien. »

    Victime des flammes en 2015, la basilique Saint-Donatien de Nantes est encore en travaux

    La toiture de la basilique Saint-Donatien de Nantes a brûlé en juin 2015. PHOTOPQR/«Ouest France»/Franck Dubray
    La toiture de la basilique Saint-Donatien de Nantes a brûlé en juin 2015. PHOTOPQR/«Ouest France»/Franck Dubray LP/Olivier Boitet

    À Nantes aussi, l'incendie de Notre-Dame de Paris a ravivé de douloureux souvenirs. Particulièrement celui de la basilique Saint-Donatien. Cet édifice de style néoroman, situé à l'est du centre-ville, avait vu en juin 2015 sa toiture détruite aux trois quarts. Comme l'avait expliqué la police à l'époque, le sinistre s'était déclaré après des réparations d'un chéneau en plomb à l'aide d'un chalumeau…

    L'assurance de la ville de Nantes, propriétaire de l'ouvrage, a alors été mise à contribution : une première phase de travaux a nécessité le déblocage de 3,4 millions d'euros. Celle-ci a démarré quinze jours après le sinistre, avec la désignation d'un architecte spécialisé, puis par des expertises pour évaluer l'étendue des dégâts. Les « travaux de mise en sécurité et de réparation » n'ont débuté qu'en octobre 2015.

    Cette première phase a ainsi pris fin en avril 2017. « L'objectif était de protéger l'édifice des intempéries et de stabiliser les ouvrages », explique-t-on aujourd'hui à la mairie de Nantes. Des analyses ont au passage permis de faire apparaître « des caractéristiques physiques très faibles sur la pierre de tuffeau, dues aux eaux d'incendie et aux intempéries ». Toutes les pierres de voûte ont donc été remplacées et les bois ont été traités contre un champignon de type mérule.

    La première phase des travaux a permis de sécuriser et de protéger le bâtiment des intempéries. PHOTOPQR/«Presse Océan »/Olivier Lanrivain
    La première phase des travaux a permis de sécuriser et de protéger le bâtiment des intempéries. PHOTOPQR/«Presse Océan »/Olivier Lanrivain LP/Olivier Boitet

    Une deuxième phase, plus longue, a par la suite démarré : celle de la reconstruction proprement dite. Et la facture est bien plus conséquente : 9,6 millions d'euros. Cette somme prévoit la reconstruction de la charpente, à l'aide de 200 m³ de bois, mais aussi la restauration des vitraux ou encore la remise en état de l'orgue de la basilique.

    Quelque 70 000 ardoises vont devoir être posées, pour prendre petit à petit la place du « parapluie » de 900 m² destiné à protéger temporairement l'édifice. Une cinquantaine de personnes travaillent en permanence sur le chantier, évalue-t-on à la ville de Nantes, sans compter la trentaine d'autres qui œuvrent en atelier ou en bureau d'études.

    La réouverture de la basilique est prévue pour « le printemps 2021 », soit six ans après le début des travaux.

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