Plongée dans Nausicaa, le plus grand aquarium d’Europe

Pendant trois jours, notre reporter a enfilé le costume de soigneur à Nausicaa, qui inaugure ce vendredi à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) l’un des quatre plus grands bassins au monde.

 Nausicaa, un ballet impressionnant de poissons, de tortues, de pingouins, mais aussi de soigneurs plongeurs.
Nausicaa, un ballet impressionnant de poissons, de tortues, de pingouins, mais aussi de soigneurs plongeurs. LP/Olivier Arandel

    C'est un univers où l'on croise en quelques minutes des manchots d'Afrique du sud, des poissons lanterne du Pacifique et des requins léopard ondulant au milieu d'algues géantes de Californie et des caïmans assoupis dans une forêt immergée. Bienvenue à Nausicaa, un océan de poche à 2h30 de route de Paris. Ce vendredi, le Centre national de la mer de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) inaugure un nouvel espace aquatique où évoluent 5000 sardines, des raies manta, des poissons multicolores et un impressionnant requin-marteau. Ce qui en fait aujourd'hui le plus grand bassin d'Europe. Et nous avons eu la chance d'y plonger.

    Les visiteurs, qui sont de plus en plus nombreux à s'émerveiller dans autour des bassins, le découvriront pour la première fois ce samedi, au sec, derrière une immense baie vitrée de 20 m de long. Une sorte d'écran géant ouvert sur les profondeurs de la haute mer. Pendant trois jours, nous avons intégré l'équipe de soigneurs de l'aquarium. Nourrisage des poissons, toilette des animaux, nettoyage des bacs, pose de corail… dans les coulisses, on s'active sept jours sur sept pour sublimer les trésors du monde du silence.

    Mercredi, 14 heures : Nemo plus glouton que les dents de la mer

    Le poisson clown, rendu populaire par Disney et son dessin animé « Nemo », mange l’équivalent de 10 % de son poids par jour ! LP/Olivier Arandel
    Le poisson clown, rendu populaire par Disney et son dessin animé « Nemo », mange l’équivalent de 10 % de son poids par jour ! LP/Olivier Arandel LP/Olivier Arandel

    Tee-shirt noir estampillé aux couleurs de Nausicaa, un badge à mon nom avec la mention « stagiaire » en aquariologie, je délaisse ma tenue de « civil » pour m'engouffrer dans les entrailles de l'aquarium. Sur 10 000 m2 d'exposition, 60 000 animaux y sont présentés. Dans ce labyrinthe où l'on voit rarement la lumière extérieure, on passe son temps à marcher : jusqu'à 13 000 pas par jour !

    Ludwig, responsable du secteur tropical, m'accueille autour d'un café. Cet après-midi, on ira nourrir plusieurs espèces puis on se rendra au laboratoire pour cultiver du corail. BTS d'aquaculture en poche, mon guide a longtemps travaillé en Irlande dans les élevages de saumon. Il y a dix-neuf ans, il a intégré l'équipe des aquariologistes de Nausicaa où la préparation des repas est l'une des activités principales. Dans les frigos et congélateurs, l'aquarium stocke chaque année dix tonnes de nourriture.

    Chaque jour, il faut veiller sur le bonheur quotidien des pensionnaires de Nausicaa. LP/Olivier Arandel
    Chaque jour, il faut veiller sur le bonheur quotidien des pensionnaires de Nausicaa. LP/Olivier Arandel LP/Olivier Arandel

    Et il ne faut pas chercher bien loin pour faire son marché : Boulogne-sur-Mer est l'un des plus gros ports de transformation des produits de la mer. Tout ce qui n'est pas destiné à la nourriture humaine, comme les chutes de saumon ou les crevettes qui approchent de la date de péremption, sert à alimenter petits et gros poissons. « Mais contrairement aux idées reçues, le petit poisson clown mange tous les jours l'équivalent de 10 % de son poids alors qu'un requin ne mange qu'une à deux fois par semaine », précise Ludwig.

    16 heures : « C'est du jardinage »

    Une sorte de jus couleur de goyave pour nourrir de petites crevettes. LP/Olivier Arandel
    Une sorte de jus couleur de goyave pour nourrir de petites crevettes. LP/Olivier Arandel LP/Olivier Arandel

    Au cœur du laboratoire, loin des yeux du public, Ludwig nourrit dans de petits bacs des poissons capturés à l'état de larves. Il élève notamment de petites crevettes danseuses qui se nourrissent d'anémones parasites. Elles se dandinent lorsque je leur verse leur nourriture, une sorte de jus couleur de goyave dont elles raffolent. Pour les poissons chirurgiens, ce sera des épinards agrémentés de vitamine en poudre. Vient le tour de la murène : elle déploie son long corps noueux et remonte en surface la gueule ouverte. « Surtout ne mets pas tes mains dans l'eau sans que je te le dise, me prévient Ludwig. Les murènes peuvent te mordre et les oursins te piquer ».

    Il est déjà 16h45. Ludwig me tend des lunettes de protection et des gants pour me protéger des brûlures de corail. Environ 90 % des coraux présents à Nausicaa ont été élevés sur place en pépinière. L'aquarium de Boulogne-sur-Mer est même l'un des plus gros producteurs européens de corail d'élevage. Sous de gros projecteurs à Led qui reproduisent la lumière du jour, poussent dans l'eau des dizaines de petits plants couleur jaune vif. Sécateur en main, je coupe en deux une branche, en prenant soin de ne pas abîmer l'extrémité vivante pour ne sectionner que le squelette calcaire.

    Pour recréer les fonds sous-marins, il faut bouturer avec grande précaution le corail. LP/Olivier Arandel
    Pour recréer les fonds sous-marins, il faut bouturer avec grande précaution le corail. LP/Olivier Arandel LP/Olivier Arandel

    Un peu de colle sur un support et me voilà avec deux morceaux de corail qui ne demandent plus qu'à pousser sur les parois du grand aquarium. « C'est du jardinage », sourit Ludwig qui joue aussi les paysagistes quand il faut concevoir la décoration d'un nouvel espace. « Pour être proche de la réalité du milieu naturel, j'aime recréer ce que j'ai vu au cours de mes voyages », explique l'aquariologiste, qui s'est inspiré de ses plongées aux Maldives pour concevoir les fonds sous-marins d'un bac tropical.

    Jeudi 7 heures : «Si l'iguane hoche la tête et se gonfle, sors vite»

    L’iguane, un reptile moins placide qu’il n’y paraît… LP/Olivier Arandel
    L’iguane, un reptile moins placide qu’il n’y paraît… LP/Olivier Arandel LP/Olivier Arandel

    Ludwig m'a donné rendez-vous dès potron-minet. Les portes de l'aquarium ouvrent à 9h30 et nous n'avons que 2h30 pour tout mettre en place. Je me frotte encore les yeux devant les aquariums, pendant que les poissons-perroquets sortent du récif où ils s'étaient abrités pour la nuit. Première étape obligatoire : la visite du local technique en sous-sol. Nausicaa compte 7 km de tuyauterie pour le traitement de l'eau et les soigneurs doivent impérativement vérifier si les pompes fonctionnent et si les bassins sont à la bonne température. Les requins nagent dans une eau à 22 °C au printemps et à 26 °C en été.

    Malgré l’eau chaude de leur bassin, les requins donnent parfois aux visiteurs quelques sueurs froides. LP/Olivier Arandel
    Malgré l’eau chaude de leur bassin, les requins donnent parfois aux visiteurs quelques sueurs froides. LP/Olivier Arandel LP/Olivier Arandel

    Comme tous les matins, les soigneurs font ensuite le tour des 70 bassins de Nausicaa pour un contrôle visuel des animaux avant de s'attaquer au nettoyage des bacs. Les deux requins zèbre sont bientôt en période de reproduction. Une morsure sur le flanc ? C'est bon signe. « Ce sont des traces d'accouplement » me précise Ludwig. Un peu plus placide que les autres, le gaterin nous toise derrière la vitre avec ses grosses lèvres charnues. Il a trente ans et c'est le plus vieux poisson de Nausicaa. Au-dessus de lui, un monstre de 3,20 m et 200 kg fait des allers-retours : c'est le plus vieux requin taureau d'Europe.

    Il est 8 heures et c'est l'heure de la douche pour les iguanes. « Hochement de tête + se gonfle = sors vite. Hochement de tête fou : je vais t'attaquer », prévient une affichette. Pas vraiment rassuré, je pousse la porte de la cabane où un mâle et une femelle de bonne taille attendent que je les arrose, alanguis sur une branche. Pas de coup de queue cette fois. Ludwig me tend un chiffon et de l'eau : les tortues aussi ont droit à leur toilette. Je les ai si bien frottées que leur carapace brille.

    Jeudi 10h30 : «Ne mets pas tes mains dans l'eau»

    Nourrir des centaines de poissons, une expérience unique. LP/Olivier Arandel
    Nourrir des centaines de poissons, une expérience unique. LP/Olivier Arandel LP/Olivier Arandel

    Le voilà enfin le plus grand bassin d'Europe. 10 000 m3 d'eau, soit l'équivalent de quatre piscines olympiques. Des raies manta, 5000 sardines, des maquereaux espagnols, des chinchards des Açores, des carangues et le clou du spectacle : un requin-marteau de 2 m de long qui a longtemps vécu à quelques kilomètres de là dans une réserve. Il a été transféré la semaine dernière sur une civière en convoi spécial escorté par la police. 4 km de route sous haute surveillance car le prédateur, anesthésié et le ventre à l'air, est resté 45 minutes hors de l'eau avec un tuyau chargé d'oxygène dans la gueule.

    Dans les « cuisines » de Nausicaa. LP/Olivier Arandel
    Dans les « cuisines » de Nausicaa. LP/Olivier Arandel LP/Olivier Arandel

    Un peu groggy, l'animal ignore les morceaux de calmar que je lui ai préparé dans la cuisine attenante au bassin et que je lui tends maintenant au bout d'une perche. Mais lorsque je plonge ma main dans le bassin pour nourrir les raies, le requin, piqué par la curiosité, frôle mes phalanges à quelques centimètres. Je n'ai pas vu son aileron arriver. Immédiatement me revient en boomerang la consigne du premier jour : « Ne mets pas tes mains dans l'eau ».

    14 heures : un requin-marteau à 3 m de mes palmes

    A quelques mètres du requin-marteau, le cœur de notre reporter «bat la chamade»/LP/Olivier Arandel
    A quelques mètres du requin-marteau, le cœur de notre reporter «bat la chamade»/LP/Olivier Arandel LP/Olivier Arandel

    Aux côtés de Renaud, le responsable du secteur océanique, j'enfile une combinaison de plongée, j'écoute les consignes de sécurité et je m'immerge dans l'aquarium. Privilège unique car pour pouvoir exercer leur métier, les plongeurs de Nausicaa ont tous obtenu une qualification de scaphandrier professionnel. Moi je ne dispose «que» de 120 plongées loisir. Une fois à 8 m de fond, la sensation est incroyable. Le bassin est si grand que l'on se croirait en pleine mer. Les raies manta planent au-dessus de moi dans une sorte de ballet aérien sous-marin.

    Le spectacle majestueux d’une immense raie manta. LP/Olivier Arandel
    Le spectacle majestueux d’une immense raie manta. LP/Olivier Arandel LP/Olivier Arandel

    Soudain, comme sorti du grand bleu, le requin-marteau passe à trois mètres de mes palmes. Placide. Pas du tout agressif. C'est la première fois que je vois un prédateur de cette espèce en pleine eau. J'ai le cœur qui bat la chamade. Pas par peur, non. Juste parce que cet animal est incroyablement beau et que je le côtoie dans son univers. Renaud me fait signe de ne pas oublier ma mission : les plongeurs ont prévu de planter 10 000 boutures de corail dans le grand bassin. Il faut creuser des trous à la perceuse, sous l'eau, le long de la paroi en béton. Au bout de quatre boutures, j'ai les bras en compote.

    Vendredi : on apprend aux pieuvres à ouvrir un bocal

    Les pieuvres, ici une ophiure, ont parfois des facultés étonnantes. LP/Olivier Arandel
    Les pieuvres, ici une ophiure, ont parfois des facultés étonnantes. LP/Olivier Arandel LP/Olivier Arandel

    Ce matin, c'est Thomas, le responsable du secteur tempéré, qui m'accueille. Dans un bassin en forme de grosse machine à laver tournent des centaines de méduses translucides. A Nausicaa, on peut en admirer onze espèces différentes, élevées sur place. Je les nourris d'une soupe à base de broyat de moules. Sous l'aquarium des hippocampes, Thomas m'apprend à changer la cartouche de filtration qui s'est encrassée. « Les petits chevaux de mer ont besoin d'une eau d'une qualité parfaite », me précise-t-il. Comme tous les soigneurs, Thomas a ses animaux fétiches. Son hippocampe préféré est la guttulatus. Avec sa crête sur la tête, il l'appelle la « punk ».

    Mais il adore aussi les pieuvres qui ont la mémoire des formes et à qui il fait faire des exercices plusieurs fois par jour. « Pour les stimuler, nous les faisons passer dans des tubes labyrinthiques et leur apprenons à ouvrir un bocal avec leurs tentacules », explique le soigneur qui ne manquerait pour rien au monde d'aller saluer ses amis Opale, Chili Coco, Boulder et Zulu. Dans leur tenue de smoking noir et blanc et d'une démarche claudicante, les manchots nous accueillent chaleureusement… d'un coup de bec. « C'est pour jouer » me rassure Thomas qui les attire en faisant cliqueter ses clés.

    Les manchots se laissent caresser comme des petits chiens. LP/Olivier Arandel
    Les manchots se laissent caresser comme des petits chiens. LP/Olivier Arandel LP/Olivier Arandel

    Au bout de quelques minutes, l'oiseau marin me laisse lui caresser l'arrière de la tête comme un petit chien. « Si j'aime ce métier, c'est parce qu'on a la chance en une journée de nourrir des requins de Californie, de caresser des manchots d'Afrique du Sud et de côtoyer des espèces que certaines personnes ne verront jamais de leur vie », me glisse Thomas. Comment lui donner tort. Chaque année, Nausicaa reçoit 1200 demandes de stages pour le service aquariologie. Seuls douze chanceux sont retenus pour des stages découverte et cinq ou six pour des immersions de plus longue durée.

    COMMENT DEVENIR SOIGNEUR ?

    Des formations courtes (Bac + 2) comme celle de technicien de la mer et du littoral (université du littoral de Calais) ou de technicien spécialisé en aquaculture (Université de Montpellier) permettent de devenir soigneur. Il existe aussi une licence professionnelle spécialisée en aquaculture et aquariologie (Bac + 3) à l'université de Nancy. Au bout de 20 ans d'expérience, un soigneur d'aquarium peut gagner autour de 2000 euros net par mois, en fonction de son niveau de qualification.

    Nausicaa est ouvert de 9h30 à 20 heures ce samedi, jusqu'à 22 heures dimanche, 19 heures lundi (en mai et juin en général jusqu'à 18h30). Entrée pour les plus de 12 ans : 25,90 euros (multitudes de tarifs, voir sur www.nausicaa.fr), gratuit pour les moins de 3 ans.