LE PARISIEN MAGAZINE. Le théâtre, pour surmonter le drame

Au festival d’Avignon, nombre de spectacles abordent les thèmes de la violence et du terrorisme. Un acte de résistance pour les artistes. Et un moyen pour les spectateurs de conjurer la peur.

Guillaume Gallienne (à dr.) et Eric Génovèse dans Les Damnés, l’histoire d’une famille d’industriels allemands à l’heure du nazisme.
Guillaume Gallienne (à dr.) et Eric Génovèse dans Les Damnés, l’histoire d’une famille d’industriels allemands à l’heure du nazisme. Christophe Raynaud de lage

    Nuit du 14 au 15 juillet, 1 h 30. Dans la cour d'honneur du palais des Papes, à Avignon, s'achèvent Les Damnés, noire épopée d'une famille d'industriels allemands à l'heure du nazisme. Martin, jeune héros maléfique incarné par le comédien Christophe Montenez, vise la foule avec une kalachnikov factice. Rafale de balles, bruit assourdissant, fin du spectacle. Les 2 000 spectateurs sont saisis. Dans les minutes qui suivent l'ovation réservée aux acteurs, une voix claque dans un micro : « Mesdames, messieurs, suite à l'attentat de Nice, nous vous demandons de ne pas vous rassembler mais de vous disperser rapidement. » Sidération. Chacun rallume son portable et apprend la nouvelle, avant d'être invité à quitter les lieux par des soldats.

    Avignon, grand théâtre du monde... Souvent – dans des salles où les sacs sont désormais fouillés et les spectateurs passés au détecteur –, ce qui s'est joué sur scène ces derniers jours a résonné avec l'effroyable réalité. Des spectacles qui explorent les thèmes de la violence, du terrorisme. Dans le In – la programmation officielle, qui s'achève ce dimanche –, l'Espagnole Angélica Liddell s'est ainsi saisie des attentats du 13 novembre avec sa pièce choc, Que ferai-je, moi, de cette épée ? Dans 20 November, la metteuse en scène suédoise Sofia Jupither aborde la fusillade d'un lycée en Allemagne (2006), à travers le témoignage de son auteur, âgé de 18 ans. Le comédien interroge le public : « Avez-vous quelque chose à me dire ? » « Reste avec nous », lance une spectatrice le jour de la première, le 14 juillet. Glaçant. Dans le cadre d'un programme au Moyen-Orient, nombre de pièces abordent aussi la violence. « Nous réaffirmons qu'un spectateur est une femme, un homme, un enfant engagé. Sa seule présence fait mentir les ténèbres », clame la direction du festival emmenée par Olivier Py.

    « Le public vient chercher des réponses »

    Dans le Off (jusqu'au 30 juillet), Eric-Emmanuel Schmitt, dont le prochain roman traitera du terrorisme, joue son texte Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran. Une histoire d'amitié entre un enfant juif et un vieux musulman, écrite en 1999. « L'islam suscitait alors de l'indifférence. Aujourd'hui, il inspire inquiétude et crispation. Face à un discours de haine, j'ai plus que jamais envie de réaffirmer ce discours de tolérance. Les artistes, les intellectuels sont là pour ça. »

    Franck Berthier, lui, met en scène L'Attentat, tiré du roman de Yasmina Khadra. La quête d'un homme qui veut comprendre pourquoi sa femme s'est fait exploser. Le spectacle affiche complet depuis le troisième jour du festival. Paradoxal ? Le public n'a-t-il pas davantage envie de mettre la réalité à distance ? « Peut-être qu'il vient chercher des réponses », commente le metteur en scène. Au lendemain du drame de Nice, il a pris la parole après la représentation. « J'ai lu un texte et demandé au public d'être diablement vivant en applaudissant la vie. C'est un acte de résistance pour nous de continuer. » Dans les jours qui ont suivi, d'autres acteurs du Off ont exprimé leur émotion sur scène ou en distribuant les tracts. Et partout ont fleuri de nouvelles affiches. Les pimpantes lettres multicolores du Off sont désormais barrées d'un trait noir avec les mots « Nous sommes solidaires. »