En Belgique, les 3000 salariés de l'usine Audi de Bruxelles dans le flou
Le constructeur allemand Audi a annoncé en juillet 2024 son intention de restructurer son usine bruxelloise, qui fabrique le SUV haut de gamme Q8 e-tron. Malgré l’implication des autorités, la menace d’une fermeture pure et simple du site courant 2025 plane sur les 3000 employés.
«Audi est à nous !», scandent les employés de la marque allemande plantés devant leur usine bruxelloise. Mais pour combien de temps encore ? L’historique site industriel né en 1949, propriété d’Audi depuis 2007, est menacé de fermeture. La marque du groupe Volkswagen a indiqué le 9 juillet 2024 mettre en branle un projet de restructuration de son usine et envisage une fin prématurée de la production de l’unique modèle qui y est fabriqué, l'Audi Q8 e-tron. Initialement prévue pour 2026, la fin de vie du véhicule haut de gamme, dont les volumes sont relativement faibles (il est vendu entre 85 000 et 125 000 euros), pourrait être avancée à 2025.
Faute de nouvelle voiture à fabriquer, l’usine pourrait tout bonnement fermer ses portes dans quelques mois. Dans ce scénario catastrophique sur le plan humain, 1510 travailleurs pourraient être licenciés d’ici à la fin du mois d’octobre, puis 1110 au mois de mai 2025. Les quelque 300 employés restants seraient libérés avant la fin de l’année.
«Chercher des excuses»
Outre «une baisse globale des commandes dans le segment des véhicules électriques de luxe», Audi invoque des «difficultés structurelles de longue date sur le site de Bruxelles», telles que la proximité de l’usine avec le centre-ville et des coûts logistiques élevés. «On a toujours été une usine flexible, productive, avec un rendement plus que très bon, alors se chercher des excuses maintenant, c’est du n’importe quoi», rétorque Maurizio Sabatino, délégué du syndicat chrétien CSC, joint par L’Usine Nouvelle.
Après 40 ans passés dans l’usine de Forest, l’homme se dit pessimiste quant à l’avenir du site industriel. «Quand vous cherchez des investisseurs, c’est qu’il y a un problème. Quand vous annoncez la mise en place de la Loi Renault, c’est dramatique». La “Procédure Renault”, de son nom officiel, encadre les licenciements collectifs en Belgique. Elle a été établie en 1998, quelques mois après la fermeture subite de l’usine de Renault à Vilvorde, qui avait laissé plus de 3000 salariés sur le carreau.
Relations complexes avec les salariés comme les autorités
L’épée de Damoclès flotte au-dessus du site bruxellois depuis plusieurs mois. Après une décennie à produire le petit modèle à succès A1 (désormais fabriqué en Espagne), Audi Brussels s’est tourné vers le haut de gamme électrique à partir de 2018, produisant l’Audi e-tron puis la Q8 e-tron à partir de 2022. «On est inquiet depuis une grosse année, quand on a appris que la nouvelle version du Q8 serait produite au Mexique» (dans l’usine de San José Chiapa, sortie de terre en 2016), relate encore Maurizio Sabatino. Ces derniers mois, la production de l’usine de Bruxelles a largement décliné, passant de vingt voitures par heure à quinze. Le site, qui a produit 50000 véhicules en 2023, doit en produire près de deux fois moins en 2024, soit 22000 unités (dont 16000 ont déjà été livrées).
Les choses ont véritablement commencé à se gâter en février, lorsque la presse allemande a révélé qu’Audi réfléchissait à se séparer de son site d’assemblage belge. Les premières tensions sont apparues en avril, lorsque la firme a annoncé la suppression de 371 postes d’intérimaires après une mise à l’arrêt de la ligne de production pendant deux semaines. Quelques semaines avant les élections fédérales du mois juin, le Premier ministre – désormais démissionnaire – Alexander De Croo s’est personnellement emparé du dossier. Son objectif : «sauver un maximum de jobs».
Un groupe de travail a été mis en place par les autorités, qui ont fait parvenir en juin une lettre d’intention à Audi, visant à convaincre le constructeur de ne pas quitter le sol belge (possibilité d'octroyer des sillons de fret ferroviaire en journée, déduction fiscale des investissements, soutien à la formation du personnel, flexibilité du travail…).
Manque de transparence
Des propositions pour l’heure restées lettre morte. Depuis le début de la pause estivale, la situation tourne au vinaigre. Après l’annonce officielle d’Audi, les tensions avec les autorités ont été révélées au grand jour. «Si on a été trahi ? Disons que les choses se sont passées d’une autre manière que ce qu’Audi nous a expliqué», a lâché le locataire du 16 rue de la Loi. Nombreux sont ceux qui dénoncent le manque de transparence d’Audi dans sa communication. «Ils nous on menti depuis le départ. Ils disent qu’on doit travailler ensemble, avoir confiance… mais en qui ?», interroge Maurizio Sabatino. Lors d’une assemblée générale du personnel organisée vendredi 23 août, la direction de l’usine a été accueillie sous les huées et les invectives («menteurs !», «vendus !»).
La colère gronde chez les travailleurs, inquiets alors qu’aucun avenir concret ne se dessine pour eux. Audi Brussels peut-il rester un site d’assemblage ? Ou devra-t-il se tourner vers la production de pièces détachées ? Pourrait-il continuer à assembler des carters de batteries pour le groupe ? Audi a récemment investi dans un bâtiment hautement automatisé qui assemble des batteries grâce à des cellules produites par Samsung SDI en Hongrie. Mais cette production aurait-elle du sens si l’assemblage final des véhicules a lieu à plusieurs centaines de kilomètres de Bruxelles ?
«On veut fabriquer une voiture à Bruxelles»
«On veut un modèle, on veut fabriquer une voiture à Bruxelles. C’est complètement aberrant de fermer le site dans la situation actuelle [de transition électrique]», s'exclame Gregory Dascotte, du syndicat socialiste FGTB. Mais cette possibilité semble très improbable à l’heure actuelle, alors qu’Audi semble vouloir se séparer des installations. Une entreprise asiatique aurait récemment visité les lieux.
Cet épisode douloureux rappelle les difficultés de 2006, lorsque Volkswagen avait mis fin à la production de sa Golf sur le site avant de le céder à sa filiale Audi. Ce choix avait permis à Audi Brussels de trouver un second souffle, en produisant presque un million de modèles de l’A1. Un tel scénario peut-il être réitéré en 2024 ?
Rien n’est moins sûr, alors que le conglomérat allemand tend à réduire ses capacités de production avec le souci de réaliser des économies en raison de ventes en baisse (Audi a vendu près de 316898 véhicules en Europe sur les sept premiers mois de l’année 2024, soit 7,5% de moins qu’en 2023). En attendant une hypothétique sortie de crise, la production doit reprendre à partir du mercredi 4 septembre après une longue pause estivale.
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