« Chittamatra » : différence entre les versions

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'''Chittamatra''' ([[International Alphabet of Sanskrit Transliteration|IAST]] : '''{{Langue|sa-Latn|Cittamātra'}}'', sanskrit),{{littéralement}} « ''rien qu'esprit'' ») est l'une des écoles du [[bouddhisme Mahāyāna]]. Elle est parfois nommée ''Vijñānavāda'' ({{chinois|p=wéishí|c=惟識}})'', |l=voie de la conscience}}), ''Vijñāptimātra'' ({{chinois|court=o|p=wéibiǎo|c=惟表}})'', la conscience seule, ou encore '''Yogācāra''' ({{chinois|court=o|p=yújiāxíng|c=瑜伽行}}), pratiquants du [[Yogayoga]]. Le Cittamātra constitue avec le [[Madhyamaka]] l'une des deux principales écoles spécifiques du [[bouddhisme mahāyāna]].
 
== Origines ==
[[Fichier:Buddha in Sarnath Museum (Dhammajak Mutra).jpg|thumbvignette|300px|[[Bouddha]]. [[Sarnath]], époque [[Empire Gupta|Gupta]] vers 475.]]
 
L'école ''Cittamātra'' apparaît au {{IVe siècle}} ; ses fondateurs seraient [[Maitreyanātha]], [[Asanga]] et [[Vasubandhu]].
Le développement de l'école Cittamātra correspond à ce qui est considéré comme l'« âge d'or » de la culture indienne lorsque la dynastie [[Empire Gupta|Gupta]] était au pouvoir dans la majeure partie du sous-continent indien, âge d'or dans de nombreux domaines, en particulier la littérature, la sculpture et la peinture comme en témoignent les grottes d'[[Ajantâ]]. L'école Cittamātra avait son centre à l'université de [[Nâlandâ]] qui était alors le plus grand centre intellectuel de l'Inde et dont l'influence allait s'étendre sur une très grande partie de l'[[Asie]].
 
En ce qui concerne le [[Mahayana]], on peut dire qu'alors que le [[Madhyamaka]] se focalise sur [[Les Deux Vérités|la vérité absolue]] et n'insiste que sur le caractère illusoire de la [[Les Deux Vérités|réalité conventionnelle]], le Cittamātra donne, au contraire, une description très cohérente de cette dernière. Les deux écoles reposent sur la [[Coproduction conditionnée]] qui est l'enseignement central du [[Bouddha]]. Le [[Madhyamaka]] part de la [[Coproductioncoproduction conditionnée]] pour prouver la vacuité, [[Śūnyatā]], de tous les phénomènes, le ''Cittamātra'' décrit en détail le processus de la [[Coproduction conditionnée]] lui-même.
 
== Enseignement ''Cittamātrin'' ==
=== Idéalisme ===
L'enseignement du ''Cittamātra'' est dit « [[idéalisme (philosophie)|idéaliste]] » ou «  [[immatérialisme|immatérialiste]]  » : tous les phénomènes sont de la nature de l'esprit. Les phénomènes extérieurs (la matière) n'existent pas. Seule la conscience libérée de la dualité sujet/objet existe en [[Les Deux Vérités|vérité absolue]]<ref name="Dictionnaire Cornu">Dictionnaire Encyclopédique du Bouddhisme par [[Philippe Cornu]], Seuil, nouvelle éd. 2006.</ref>.
Une telle position philosophique est très rare dans l'histoire de la [[philosophie occidentale]]. Elle a été proposée par [[George Berkeley]] (au {{Dates-|12|mars|1685XVIII}} - {{Date|14|janvier|1753}})<ref>Cf. [[Jean-Marc Vivenza]], ''Tout est conscience. Une voie d'éveil bouddhiste'', Paris, Albin Michel, 2010, appendice V : « L'immatérialisme philosophique ».</ref>.
 
UneSelon cette forme d'idéalisme, une graine ne produit pas une pousse, mais à la perception d'une graine suit la perception d'une pousse. Le monde est compris selon les images du [[rêve]] et de l'[[illusion d'optique]].
 
[[Asaṅga]] proclame en ce sens :<br />
« ''Selon leur classe, dieux, hommes, animaux et démons faméliques ont, sur un même objet, des idées différentes. Donc, on en conclut que l'objet n'existe pas'' ». (Traduction [[Étienne Lamotte]])
 
{{double image|rightdroite|Ajanta Padmapani.jpg|155|Indischer Maler des 7. Jahrhunderts 001.jpg|167|[[Avalokiteśvara]] et [[Vajrapani]] peintures d'[[Ajantâ]] réalisées sous la dynastie [[Vakataka]], style [[Empire Gupta|Gupta]].}}
 
L'école Cittamātra prend ses sources surtout dans les [[Sutra|sutras]] classés selon la classification indo-tibétaine comme relevant du [[Trois tours de laroue du dharma|troisième tour de roue du Dharma]]<ref name="Dictionnaire Cornu"/>. Il s'agit, entre autres, du
[[LankāvatāraLankavatara sutra|Laṅkāvatāra sūtra]] ([[Sūtra]] de l'Entrée à Lankâ), du {{Lien|fr=Samadhiraja Sutra|lang=en|trad=Samadhiraja Sutra}} ([[Sūtra]] du Dévoilement du sens profond) du Sūtra Tathāgatagarbha ([[Sūtra]] du [[Tathāgatagarbha]]) et de l'[[AvatamsakaAvataṃsaka Sutrasūtra]] ([[Sūtra]] de l'Ornementation fleurie). En particulier, on trouve dans le {{Lien|fr=Samadhiraja Sutra|lang=en|trad=Samadhiraja Sutra}}:
[[Les Trois Roues du Dharma|troisième roue du Dharma]]<ref name="Dictionnaire Cornu"/>. Il s'agit, entre autres, du
[[Lankāvatāra sūtra]] ([[Sūtra]] de l'Entrée à Lankâ), du {{Lien|fr=Samadhiraja Sutra|lang=en|trad=Samadhiraja Sutra}} ([[Sūtra]] du Dévoilement du sens profond) du Sūtra Tathāgatagarbha ([[Sūtra]] du [[Tathāgatagarbha]]) et de l'[[Avatamsaka Sutra]] ([[Sūtra]] de l'Ornementation fleurie). En particulier, on trouve dans le {{Lien|fr=Samadhiraja Sutra|lang=en|trad=Samadhiraja Sutra}}:
 
{{citation bloc|Ô Fils des vainqueurs ! Ces trois mondes ne sont qu'esprit<ref>Traduit et cité par [[Stéphane Arguillère]] dans [[Nyoshül Khenpo Rinpoché]], ''Le chant d'illusion et autres poèmes'', commenté et traduit par [[Stéphane Arguillère]], 2000, Gallimard {{ISBN|2070755037}}.</ref> !}}
 
Ou le ''Laṅkāvatāra Sūtrasūtra'' :
 
{{citation bloc|Le monde extérieur n'est point, et c'est l'esprit qui voit la multiplicité des objets.<br />
Corps, expériences des sens, lieux de séjour - tout cela je l'appelle juste esprit<ref name="Dictionnaire Cornu"/>.}}
 
Les fondateurs du Cittamātra considèrent, en général<ref>Il faut dire ''en général'' car le fait qu'un [[sutra]] appartientrelève àde l'uneun des deux [[Les Trois Rouestours de roue du Dharmadharma|dernièresderniers rouestours de roue du Dharma]] ou à l'autre ou qu'un [[sutra]] est de sens définitif ou à interpréter dépend des auteurs bouddhistes majeurs même quand ils appartiennent à la même école comme le Cittamātra.</ref>, que les enseignements de la [[Les Trois Roues du Dharma|troisième roue du Dharma]] sont de sens définitif alors que ceux de ladu [[Les Trois Rouestours de roue du Dharmadharma|deuxième tour de roue du Dharma]] doivent être interprétés<ref name="Dictionnaire Cornu"/>.
Pour la deuxième école [[Mahayana]], le [[Madhyamaka]], c'est, en général, l'inverse.
 
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Cependant, l'école Cittamātra se réfère aussi à certaines paroles du [[Bouddha]] prononcées durant la [[Les Trois Roues du Dharma|première roue du Dharma]], entre autres, le célèbre premier verset du [[Dhammapada]]:
 
{{citation bloc|La pensée précède toutetoutes choses.<br />
Elle les gouverne, elle en est la cause<ref>[[Dhammapada]], verset 1, chapitre I, Le Dong, ''Dhammapada - La Voie du Bouddha'', Le Seuil (Points Sagesses), Paris, 2002 {{ISBN|9782020516501}}</ref>.}}
 
=== Ālayavijñāna ===
 
Alors que l'[[Abhidhamma]] (qui fait partieparite de ladu [[Les Trois Rouestours de roue du Dharmadharma|premièrepremier tour de roue du Dharma]]) ne distinguait que six consciences : les cinq consciences sensorielles et la conscience mentale, l'école Cittamātra en distingue huit. Elle rajoute aux six consciences précédentes la « conscience mentale souillée » et la « conscience base-de-tout » ou [[Ālayavijñāna]]. La conscience mentale souillée est celle qui pose problème pour les Cittamātra : c'est elle qui crée la dualité sujet/objet et crée du [[karma]]. Elle peut, cependant, être éduquée par les enseignements et son action peut être ralentie par la pratique de la [[méditation]], ce qui permet de ralentir la tendance de l'esprit à tout découper en sujet/objet. L'[[Ālayavijñāna]] est le réceptacle des traces karmiques (vāsāna). Lorsque ces traces karmiques mûrissent, cela active la « conscience mentale souillée » qui découpe la réalité de façon dualiste avec des objets et un sujet, un « soi », qu'elle identifie à l'[[Ālayavijñāna]]. Les semences mûrissent en objets apparents et les six premières consciences se déploient pour les appréhender<ref name="Dictionnaire Cornu"/>. La septième conscience est active, l'[[Ālayavijñāna]] est inactive. La septième conscience engendre les nouvelles traces karmiques (vāsāna) qui sont déposées dans l'[[Ālayavijñāna]].
 
La notion d'[[Ālayavijñāna]] et le découpage en huit consciences apparaissent dans le {{Lien|fr=Samadhiraja Sutra|lang=en|trad=Samadhiraja Sutra}} (Sūtra du dévoilement du sens profond) et le [[Lankāvatāra sūtra]] (Sūtra de l'Entrée à Lankâ).
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Le {{Lien|fr=Samadhiraja Sutra|lang=en|trad=Samadhiraja Sutra}} dit :
 
{{citation bloc|Les vāsanā nourrissent constamment la racine bien attachée au support, La conscience erre dans le domaine objectif comme le fer attiré par l'aimant (v. 14)<ref name="Aux Sources du Bouddhisme">{{Lien|fr=Samadhiraja Sutra|langlangue=en|trad=Samadhiraja Sutra}} dans ''Aux sources du Bouddhisme'', textes traduits et présentés par Lilian Silburn, Fayard, 1997.</ref>.}}
 
Et :
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{{citation bloc|À mesure que croissent les imprégnations variées, la conscience évolue en vagues : qu'elles soient supprimées, et le flot des vagues s'arrête<ref name="Aux Sources du Bouddhisme"/>.}}
 
Ce découpage en huit consciences prend son origine dans le [[Laṅkāvatāra sūtra]] qui dit :
 
{{citation bloc|De même que les vagues dans leur variété sont l'océan agité, de même la variété de ce qu'on nomme les consciences est-elle produite dans l'Ālaya. L'esprit pensant, le mental et les consciences sont distincts dans leurs aspects, mais en substance, les huit ne doivent point être séparés les uns des autres, car il y a ni qualifié ni qualifiant<ref name="Dictionnaire Cornu"/>.}}
 
Comme le dit le [[Laṅkāvatāra sūtra]], les huit consciences ne sont pas séparées, c'est justement l'illusion qui donne une fausse profondeur à la conscience et qui nous donne l'impression que les objets sont séparés de nous : c'est ce qu'explique les trois natures
(voir ci-dessous).
 
[[Philippe Cornu]] explique :
 
{{citation bloc|Tant qu'il y a des empreintes, l'[[Ālayavijñāna]] continue d'exister. Ni vertueuse ni non vertueuse en elle-même, elle est la continuité consciente qui relie tous les états de conscience : sommeil profond, évanouissements, conscience de veille, absorption méditative. À la mort, toutes les autres consciences s'y résorbent, mais comme elle est le support des empreintes karmiques, c'est elle qui constitue la conscience qui transmigre de vie en vie <ref name="Dictionnaire Cornu"/>.}}
Le Laṅkāvatāra Sūtra déclare :
 
{{citation bloc|La conscience n'est pas séparée des imprégnations, elle ne leur est pas non plus associée. Bien que recouverte par les imprégnations, elle est indifférenciée par nature [...] Les imprégnations issues de la conscience mentale sont comme des tâches, et l'unique conscience pareille à un blanc et pur vêtement ne resplendit pas en raison de [ces] imprégnations<ref>Laṅkāvatāra Sūtra dans ''Aux sources du Bouddhisme'', textes traduits et présentés par Lilian Silburn, Fayard, 1997.</ref>.}}
 
Le Laṅkāvatāra Sūtra dit aussi ceci qui résume bien la pensée Cittamatra :
 
{{citation bloc|La conscience est le spectateur, le théâtre et le danseur à la fois<ref name="Dictionnaire Cornu"/>.}}
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Le Cittamātra pousse plus loin la description du processus d'aliénation.
Pour cette école, dans les perceptions il n'y a rien qui soit hors de la conscience qui les éprouve. D'autre part,
l'école Cittamātra distingue trois aspects dans chaque perception : la nature ''entièrement imaginaire'', la nature ''dépendante'' et
la nature ''parfaitement établie''<ref name="Vocabulaire Arguillère">[[Stéphane Arguillère]], ''Le vocabulaire du bouddhisme''. Ellipses, [[Paris]], 2002 {{ISBN|272980577X}}.</ref>{{,}}<ref>[[Philippe Cornu]], ''Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme''. Nouvelle édition augmentée, Éditions du Seuil, [[Paris]], 2006. 952 p. {{ISBN|2-02-082273-3}}.</ref>. L'L’''entièrement imaginaire'' est l'objet de la perception en tant qu'il est vécu comme un objet extérieur par la conscience. Pour les Cittamātra, il n'y a pas d'objets matériels indépendants de la conscience. Le ''dépendant'' est le fait que l'on perçoit cet objet, qui est une expérience réelle qui provient de causes et conditions qui prennent leurs sources dans la conscience. Le ''parfaitement établi'' est l'inexistence de l'objet de la perception dans l'acte de perception, en tant qu'objet indépendant de la conscience.
 
Comme pour la notion d'[[Ālayavijñāna]], les trois natures apparaissent dans le {{Lien|fr=Samādhirāja Sūtra|lang=en|trad=Samadhiraja Sutra}} (Sūtra du dévoilement du sens profond) et le [[Lankāvatāra sūtra]] (Sūtra de l'Entrée à Lankâ).
 
[[Stéphane Arguillère]] l'explique :
 
{{citation bloc|Soit par exemple, un rêve, où l'on croit percevoir une montagne : [la montagne] n'est certes qu'une vue de l'esprit ; cependant, on peut discerner en lui d'une part la ''montagne'' qui paraît, dans son extériorité prétendue à l'égard de la conscience qui l'observe, et d'autre part l'l’''expérience'' comme telle, qui peut être réelle (c'est-à-dire réellement éprouvée) même en l'absence d'une montagne réellement existante. ''La montagne est illusoire'' ; ''mais l'expérience de cette montagne est réelle''.
L'expérience comme telle est produite au sein de la conscience en dépendance de causes et de conditions qui sont purement internes (traces des actes passés) ; ce processus de causalité est réel [...]. Bref, l'objet que l'on croit voir n'est point, en vérité ; mais la vision de cette chimère est effectivement vécue, et effectivement produite de causes et conditions. On nomme ''imaginaire'' la montagne elle-même, ''dépendante'' la perception de la montagne, et ''parfaitement établi'' l'inexistence de cette montagne imaginaire dans cette perception dépendante<ref>Nyoshül Khenpo Rinpoché, ''Le chant d'illusion et autres poèmes'', commenté et traduit par [[Stéphane Arguillère]], 2000, Gallimard {{ISBN|2070755037}}, p. 164. [[Stéphane Arguillère]] dit souvent ''hétéronome'' à la place de ''dépendante'' contrairement à la majorité des traducteurs.</ref>.}}
 
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{{citation bloc|l'Idéalisme [c'est-à-dire l'école Cittamātra], en tant que théorie de l'auto-production de la série psychique, fait profondément corps avec l'affirmation éthique fondamentale du [[bouddhisme]], celle du [[karma]], selon laquelle chacun est l'auteur des biens et des maux qui lui sont échus. C'est, en effet, la seule manière de comprendre que rien n'arrive qui ne soit le fruit de mes actes antérieurs<ref name="Vocabulaire Arguillère"/>.}}
 
Il explique le lien entre les trois nature et les huit consciences :
 
{{citation bloc|Selon l'idéalisme bouddhique [le Cittamātra], au moment même où nous sommes plongés dans le [[samsara]], seul existe conventionnellement notre conscience « dépendante », c'est-à-dire, l'[[Ālayavijñāna]] et les sept autres consciences, qui en sont le déploiement, et se produisent en dépendance les uns des autres [...] Mais, si la conscience illusionnée existe (conventionnellement), le dualisme sujet-objet que comporte son illusion, lui, est purement fictif [...] La conscience existe (en réalité superficielle), mais le dualisme sujet-objet n'existe pas ; ''l'absence de ce dualisme existe'', car elle est le vrai mode-d'être de la conscience <ref name="Rinpoché p166">.Nyoshül Khenpo Rinpoché, ''Le chant d'illusion et autres poèmes'', commenté et traduit par [[Stéphane Arguillère]], 2000, Gallimard {{ISBN|2070755037}}, p. 166.</ref>.}}
 
Mais il ajoute :
 
{{citation bloc|Dans le cas qui nous intéresse [l'esprit illusionné], ''la conscience est le sujet de la méprise en même temps que son objet''. Elle est ce qui se trompe en plus d'être ce à propos de quoi il y a erreur. C'est pourquoi elle ne peut pas reconnaître son erreur sans se transformer radicalement <ref name="Rinpoché p166"/>.}}
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[[Image:GuptaBuddha.jpg|thumb|250px|Corps de [[Bouddha]] provenant de [[Mathurâ]], période [[Empire Gupta|gupta]] ([[Musée national des arts asiatiques - Guimet]]).]]
 
Le [[Tathagatagarbha]], littéralement la matrice ou le cœur (garbha) de l'état éveillé (Tathagata) signifie la « nature de bouddha » qui est présente en tout être sensible. Ce n'est pas une notion propre au Cittamātra, elle apparaît dans les [[Sutra|sutras]] de ladu [[Les Trois Rouestours de roue du Dharmadharma|troisième roue du Dharma]], surtout dans le Tathāgatagarbha Sūtra mais aussi dans le [[Laṅkāvatāra sūtra]].
 
Cependant, elle joue un rôle central dans le Cittamātra qui identifie souvent le [[Tathagatagarbha]] à l'[[Ālayavijñāna]]. Il est dit, en effet, dans le Laṅkāvatāra Sūtra :
 
{{citation bloc|Par [[Tathagatagarbha]], il faut entendre l'[[Ālayavijñāna]] qui transmigre, tandis que les sept autres consciences ne transmigrent pas<ref name="Dictionnaire Cornu"/>.}}
 
Le [[sutra]] explique aussi que le [[Tathagatagarbha]] ne doit pas être identifié à une entité substantielle, ce qui reviendrait au « soi » que l'on retrouve dans les autres religions (l'[[Âtman]] dans la [[philosophie indienne]]). Le [[sutra]] déclare que l'enseignement est ''intentionnel'' c'est-à-dire qu'il doit être interprété et n'est pas de sens ''définitif'' et qu'il a été enseigné pour les êtres effrayés par la notion de vacuité ([[Śūnyatā]]) enseignée dans lale [[Les Trois Rouestours de roue du Dharmadharma|deuxième tour de roue du Dharma]]. Cet argument sera repris systématiquement par les [[Madhyamaka]].
 
Le {{Lien|fr=Samadhiraja Sutra|lang=en|trad=Samadhiraja Sutra}} le dit aussi :
 
{{citation bloc|La conscience appropriatrice profonde et subtile, comme un courant impétueux, procède avec tous ses germes. Craignant qu'ils n'imaginent qu'elle est un Soi [ [[Âtman]] ], je ne l'ai pas révélée aux niais (v. 7)<ref name="Aux Sources du Bouddhisme"/>.}}
 
Le Tathāgatagarbha Sūtra le définit de la façon suivante :
 
{{citation bloc|Dans tous les êtres est cachée l'essence de Tathāga : comme au sein de la pauvre mère est caché l'enfant chéri, comme l'or dans un lieu impur<ref name="Dictionnaire Cornu"/>.}}
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L'identification du [[Tathagatagarbha]] à l'[[Ālayavijñāna]] dans le Cittamātra doit être fortement nuancée. En effet, les Cittamātra envisagent une cessation de l'[[Ālayavijñāna]] qui est appelée « révolution de support »<ref name="Dictionnaire Cornu"/>. [[Vasubandhu]] dit en effet « l'[[Ālayavijñāna]] prend fin au stade d'[[arhat]]<ref name="Dictionnaire Cornu"/> » c'est-à-dire quand le pratiquant s'approche de la Bouddhéité. En d'autres termes, quand le [[Tathagatagarbha]] mûrit, l'[[Ālayavijñāna]] prend fin justement. Dans le Bouddhisme chinois, pour bien distinguer l'[[Ālayavijñāna]] de ce qui apparaît lorsqu'il y a eu la « révolution de support », les auteurs cittamātrin, reprenant une idée du maître indien [[Paramārtha (moine)|Paramārtha]] (499 - 569), vont poser l'existence d'une neuvième conscience [[amalavijñāna]] ou « conscience immaculée ».
 
[[Asanga]] dit explicitement :
 
{{citation bloc|Qu'on sache que la disparition du faux est l'apparition du vrai. C'est le renversement du support et c'est la libération, car on agit alors à sa guise<ref>Mahāyāna-Sūtralamkāra dans ''Aux sources du Bouddhisme'', textes traduits et présentés par Lilian Silburn, Fayard, 1997.</ref>.}}
 
La notion de Tathāgatagarbha est développée dans le texte majeur du ''Mahāyānottaratantra-śastra'' qui est l'un des ''Cinq traités de Maitreya'' attribués à [[Asanga]]. Le ''Mahāyānottaratantra-śāstra'' dit précisément :
 
{{citation bloc|Du fait que la Sagesse de Bouddha pénètre la multitude des êtres vivants, que leur nature non duelle est immaculée et que dans la lignée des Bouddha la graine est désignée par le fruit, il est dit que tous les êtres vivants sont des embryons de Bouddha (I,27)<ref name="Chenique p98">''Le Message du futur Bouddha'' (''Mahāyānottaratantra-śāstra'') traduit et commenté par [[François Chenique]], Dervy, Paris, 2001, {{ISBN|2-84454-124-0}}, p. 98.</ref>.}}
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{{citation bloc|Tous les êtres sont en permanence des Germes de Bouddha car: a) Le corps du Suprême Bouddha pénètre tout ; b) l'Ainséité [la Nature absolue de la réalité] est par nature sans séparation aucune [donc la même pour les êtres ordinaires et les Bouddhas] ; c) La lignée des Bouddha est présente en tous les êtres (I,28)<ref name="Chenique p98"/>.}}
 
Dans le ''Mahāyānottaratantra-śāstra'', cette « nature de Bouddha » qui est en germe dans le Tathāgatagarbha est décrite très longuement en termes positifs. Par exemple, le texte dit :
{{citation bloc|La Bouddhéité possède deux catégories de qualités: a) elle est non composée, spontanément parfaite et non produite par des conditions extérieures ; b) elle possède la connaissance, la compassion et la puissance (I.5)<ref>''Le Message du futur Bouddha'' (''Mahāyānottaratantra-śastra'') traduit et commenté par [[François Chenique]], Dervy, Paris, 2001, {{ISBN|2-84454-124-0}}, p. 53.</ref>.}}
 
L'enseignement du Tathāgatagarbha va avoir un impact immense sur le [[Vajrayana]] et le [[Dzogchen]]. Il va permettre, comme beaucoup d'enseignements de ladu [[Les Trois Rouestours de roue du Dharmadharma|troisième tour de roue du Dharma]] de faire un pont entre les [[Sutra|sutras]] et les [[Tantrisme|tantras]] bouddhistes. Le [[Vajrayana]] va identifier le Tathāgatagarbha à la « sagesse primordiale », le [[Jñāna]] et dans son sens ultime [[Rigpa]], qui apparaît lorsque l'esprit ordinaire disparaît c'est-à-dire quand l'[[Ālayavijñāna]] est purifié de ses traces karmiques et s'évanouit<ref name="Dictionnaire Cornu"/>.
 
En effet, on trouve dans l'un des [[Tantrisme|tantra]] du [[Dzogchen]]:
Ligne 180 ⟶ 179 :
{{citation bloc|kāya désigne les différentes manifestations ou dimensions d'un être éveillé. [...] Il est essentiel de comprendre que les trois corps ne sont pas trois entités séparées mais trois expression de l'Éveil qui sont un en essence. Les deux corps formels procèdent ainsi du [[dharmakāya]], sans en être vraiment séparés<ref name="Dictionnaire Cornu"/>.}}
 
* Le [[dharmakāya]] est le corps d'essentialité unique. [[Philippe Cornu]] explique :
 
{{citation bloc|Il s'agit de la dimension de [[Śūnyatā|vacuité]] de l'[[Éveil spirituel|Éveil]], sans naissance ni mort, pure potentialité sans caractéristiques qui embrasse l'ensemble des corps et symbolise donc l'indivisibilité des trois corps. [...] Le [[dharmakāya]] est inconcevable et n'est perceptible qu'aux bouddhas. Sa nature parfaite est la même pour tous les bouddhas, mais il serait erroné de penser qu'il existe un seul et unique [[dharmakāya]] indifférencié pour tous les êtres éveillés. Chacun accomplit le [[dharmakāya]] pour lui-même, et bien qu'ils semblent indistincts à ce niveau, les éveillés se différencient par leurs corps formels<ref name="Dictionnaire Cornu"/>.}}
 
* Le [[sambhogakāya]] est le corps de jouissance. Seuls des êtres fortement avancés sur le plan spirituel peuvent le percevoir.
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* Le [[Nirmāṇakāya]] est « la sphère dans laquelle s'opère la cristallisation en une forme [un phénomène] ; c'est la dimension de la manifestation incessante. »
 
Le [[Trikāya]] développée par le Cittamātra sur les bases de ladu [[Les Trois Rouestours de roue du Dharmadharma|troisième tour de roue du Dharma]] va avoir un impact immense et va permettre comme la notion de [[Tathāgatagarbha]] de faire un pont entre les [[sutra]] et les [[Tantrisme|tantra]] bouddhistes.
 
Le [[dharmakāya]] va être compris comme le Bouddha primordial ou Adi-Bouddha indifférencié, à l'origine de tout, le [[Nirmāṇakāya]] le monde des phénomènes, le [[sambhogakāya]] est le rayonnement du [[dharmakāya]] en tant qu'il se déploie pour donner naissances aux formes, c'est-à-dire aux phénomènes. C'est la relation entre le [[dharmakāya]] et le [[Nirmāṇakāya]]. [[Sogyal Rinpoché]] décrit le [[sambhogakāya]] ainsi :
 
{{citation bloc|[le] rayonnement qui transmet, traduit et communique la pureté et le sens infini de l'absolu à ce qui est fini et relatif - qui, en d'autres termes, conduit du [[dharmakāya]] au [[Nirmāṇakāya]]<ref name="Rinpoché chapitre XXI"/>.}}
Ligne 200 ⟶ 199 :
Le plan de la réalité du [[sambhogakāya]] est inaccessible aux êtres ordinaires. Cependant, il est dit très clairement que les créateurs géniaux (artistes, scientifiques, etc.) vont chercher leur créativité dans le plan du [[sambhogakāya]]. Si un créateur arrive à produire quelque chose de totalement nouveau (une nouvelle théorie scientifique ou une œuvre d'art extraordinaire) que personne n'avait pu concevoir avant et donc qui n'était pas encore « cristallisée » dans le plan du [[Nirmāṇakāya]] c'est qu'il est allé le chercher dans le plan du [[sambhogakāya]]<ref name="Rinpoché chapitre XXI"/>.
 
Le [[Mahayana]] va ajouter une dimension encore supérieure au [[dharmakāya]]: c'est le [[Dharmadhatu]], tel qu'il apparaît dans l'[[Avatamsaka Sutra|Avatamsakasutra]] qui est le « domaine<ref name="Dictionnaire Cornu"/> », la « demeure », justement du Bouddha primordial, le [[dharmakāya]]. Le [[dharmakāya]] est inconditionné par rapport à tout contenu de ses manifestations mais il est encore considéré comme ce qui, dans le [[Dharmadhatu]], va donner naissance aux formes. Donc il est encore conditionné, d'un certain point de vue, et c'est pourquoi, il a été dit plus haut que chaque Bouddha avait son [[dharmakāya]]. Le [[Dharmadhatu]] est, lui, totalement inconditionné, indépendamment qu'il y ait manifestation ou pas. En d'autres termes, le [[Dharmadhatu]] est au-delà de toute séparation manifesté/non-manifesté, alors que le [[dharmakāya]] est encore conçu en référence à une manifestation précise : un Bouddha particulier ou les phénomènes manifestés dans leur totalité pour le Bouddha primordial.
 
[[Chögyam Trungpa Rinpoché]] explique :
 
{{citation bloc|Le [[dharmakāya]] est [...] différent du [[Dharmadhatu]]. Lorsqu'on y fait référence en tant que ''dharma'' et ''kaya'', il est, dans une certaine mesure, conditionné. Il est conditionné parce qu'il est déjà fécond [...] Le [[dharmakāya]] est déjà l'expérience. Le [[dharmakāya]] est désigné en tibétain comme ''tangpo sangyé'', autrement dit le « bouddha primordial », celui qui n'est jamais devenu bouddha par la pratique, mais qui est réalisation sur-le-champ. C'est la non-dualité du [[dharmakāya]]. Alors que le [[Dharmadhatu]] est une sorte d'accueil total dépourvu de toute identité propre. Voyez-vous, le [[dharmakāya]] est, pour ainsi dire, une espèce de référence. Quelqu'un doit posséder une sorte de référence pour être le [[dharmakāya]]. C'est pourquoi il est fécond. Mais on ne doit nullement considérer cette notion de référence d'une façon péjorative ou négative. Les phénomènes captivants qui se produisent dans le monde samsarique font partie de cette manifestation<ref>[[Chögyam Trungpa Rinpoché]], ''folle sagesse'', éditions du Seuil, points sagesse, 1993.</ref>.}}
Ligne 208 ⟶ 207 :
Cette construction va prendre sa forme ultime dans le [[Dzogchen]] où le [[Dharmadhatu]] est assimilé à [[Dzogchen#La Base primordiale|la Base primordiale]].
 
[[Philippe Cornu]] explique :
 
{{citation bloc|Selon le [[Dzogchen]], les trois corps sont déjà spontanément présents au sein de [[Dzogchen#La Base primordiale|la Base primordiale]] sous l'aspect des trois sagesses de [[rigpa]] : l'essence vide, la nature lumineuse, et l'énergie de compassion incessante et embrassant tout. Dans la base, ils ne sont pas manifestés<ref name="Dictionnaire Cornu"/>.}}
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Le fait qu'il n'y ait pas d'accès à l'objet en soi de nos perceptions et que nous reconstruisons toujours une représentation des phénomènes a été comparé très souvent à ce qui est dit dans la philosophie d'[[Emmanuel Kant]] et dans le [[Néokantisme]]. Cependant, comme le fait remarquer [[Stéphane Arguillère]]<ref>Nyoshül Khenpo Rinpoché, ''Le chant d'illusion et autres poèmes'', commenté et traduit par [[Stéphane Arguillère]], 2000, Gallimard {{ISBN|2070755037}}.</ref> cette comparaison tourne court car à part cela, il n'y a rien de commun entre la pensée de [[Kant]] et l'école [[Sautrāntika]].
 
Néanmoins, cette idée pose déjà la question de la nature de l'objet extérieur qui est prétendument être la cause de nos perceptions puisque nous n'y avons jamais véritablement accès. L'« autre » de la conscience qui serait la cause de nos perceptions est ce qui est appelé communément la [[matière]]. L'école Cittamātra pousse plus loin l'analyse de l'école [[Sautrāntika]]. Puisque l'esprit n'a jamais un accès direct à cette matière, celle-ci existe-t-elle vraiment? A-t-elle-même un sens cohérent? Comme le dit [[Stéphane Arguillère]]:
 
{{citation bloc|La doctrine idéaliste Cittamātra [...] montre ''l'illogismel’illogisme de toute conception de la matière en général''<ref name="Arguillère Cahiers Bouddhiques n°2"/>.}}
 
C'est tout l'objet du ''Vimśatika'' (Les vingt versets de la pensée unique / La Vingtaine) de [[Vasubandhu]]. La critique de la notion de la matière n'est pas étrangère à la philosophie occidentale car comme le dit [[Stéphane Arguillère]]:
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[[Critique de la raison pure#Les antinomies|deuxième Antinomie]] de la [[Critique de la raison pure]] de [[Kant]]<ref name="Arguillère Cahiers Bouddhiques n°2"/>.}}
 
Les écoles [[Hinayana]] comme les [[Sautrāntika]] et [[Vaibhashika]] avaient posé l'existence d'atomes (on dirait [[particule élémentaire|particules élémentaires]] maintenant) pour expliquer de quoi était fondéfondée la matière.
[[Stéphane Arguillère]] résume la démonstration de [[Vasubandhu]]:
 
{{citation bloc|Il en ressort l'impossibilité d'une matière composée soit de partieparties simples étendues, soientsoit de parties simples inétendues [les parties simples sont les atomes]. Dans le premier cas, ces parties prétendues simples seraient en fait elles-mêmes composées des diverses parties que l'on peut distinguer dans leur étendue (et de deux choses l'une : ou bien l'argument peut être répété à l'infini, par récurrence ; ou bien on aboutit à des parties simples inétendues, ce qui nous amène à l'argument suivant) ; dans le second, les parties simples étant inétendues, leur addition en nombre aussi grand que l'on voudra ne saurait produire la moindre étendue [...] Et l'on ne peut échapper à cette difficulté en posant une matière continue, non faite de parties atomiques : en quoi cela nous ferait-il sortir de l'aporie? Quelle différence entre un continuum et une somme infinie de parties, soit étendues soit inétendues<ref name="Arguillère Cahiers Bouddhiques n°2"/> ?}}
 
[[Matthieu Ricard]] a exposé les arguments de [[Vasubandhu]] dans un contexte beaucoup plus moderne, dans le cadre de ses discussions avec le physicien [[Trinh Xuan Thuan]]. [[Matthieu Ricard]] critique la notion de [[particule élémentaire|particules élémentaires]] (cela s'applique aux [[atome]]s mais aussi aux [[quarks]] par exemple comme [[Matthieu Ricard]] le dit explicitement):
 
{{citation bloc|Admettons que des particules élémentaires servent à construire la matière. Pour ce faire, il faut que les particules s'associent. Deux particules supposées indivisibles peuvent-elles entrer en contact? Imaginons donc que deux particules indivisibles entrent en contact. Est ce que toutes les parties entrent en contact simultanément ou graduellement? Dans ce dernier cas, le côté ouest d'une particule, par exemple, touchera tout d'abord le côté est d'une autre. Mais si les particules ont un côté ouest et un côté est, elles ont des parties et on ne peut plus parler d'indivisibilité. Si l'on répond qu'elles n'ont pas de dimension. Dans ce cas, le seul moyen pour ces particules d'entrer en contact est de fusionner. Si deux particules fusionnent, pourquoi pas trois? Une montagne et l'univers tout entier pourrait fusionner avec une seule particule. La réalité grossière ne pourrait alors ni s'agréger ni se déployer. Ce raisonnement par l'absurde a conduit les bouddhistes à dire que des particules ponctuelles et indivisibles ne peuvent pas construire l'univers<ref name="L'Infini dans la paume de la main">''L'Infini dans la paume de la main,'' (avec [[Trinh Xuan Thuan]]), Nil, 2000, Éditions Pocket, 2001.</ref>.}}
 
[[Trinh Xuan Thuan]], avec qui il dialogue, lui répond :
 
{{citation bloc|On répondra que des particules n'ont pas besoin d'entrer en contact pour former de la matière<ref name="L'Infini dans la paume de la main"/>.}}
 
[[Matthieu Ricard]] répond :
 
{{citation bloc|Dans ce cas, poursuivent ces philosophes, il y a un espace vide entre deux particules et, du fait qu'elle n'ont pas de dimension, une infinité de particules et finalement l'univers tout entier pourraient se loger dans deux particules. Réfuter ainsi la notion de particule indivisible brise dans notre esprit l'idée que des particules insécables, permanentes, indépendantes et n'ayant d'autre cause qu'elles-mêmes pourraient former la réalité<ref name="L'Infini dans la paume de la main"/>.}}
 
On peut dire que les [[atome]]s sont faits de [[protons]] et de [[neutrons]] et que ces derniers sont faits de [[quarks]] et que les [[quarks]] sont probablement faits de particules encore plus petites, ou que l'ensemble n'est qu'un continuum d'[[énergie]]<ref>Comme l'a expliqué [[Matthieu Ricard]], il ne s'agit en aucune façon de nier l'efficacité pratique des concepts d'[[énergie]] ou de [[particule élémentaire|particules élémentaires]] dans le domaine scientifique. Ce n'est pas du tout là la question. Il est à noter, que depuis la [[Relativité restreinte]] où [[Albert Einstein|Einstein]] a prouvé l'équivalence de la masse et de l'énergie, c'est exactement l'énergie qui joue le rôle en [[physique]] moderne de ce qui est appelé matière ici (tous les objets matériels sont des formes de l'énergie). Mais il s'agit de savoir ce qu'est exactement l'énergie et les particules et de voir s'il y a bien là quelque chose que l'on peut vraiment comprendre et saisir. Comme la matière a été posée comme l'l’''autre'' de la conscience et de l'esprit, il n'est pas étonnant qu'au final on ne puisse rien en dire du point de vue intellectuel qui est justement le point de vue de l'esprit. Il s'agit seulement d'une notion qui a été posée par parti pris métaphysique: on suppose qu'il y a un ''autre'' de la conscience et on pose que l{{' }}''autre'' de la conscience et la conscience elle-même sont ultimement séparés. Mais pour les bouddhistes du Cittamātra, indépendamment de toutes applications pratiques, c'est notion est inutile et incohérente. Tous les bouddhistes du [[Mahayana]] nient la séparation ultime de la conscience et de cet ''autre'' de la conscience. Le Cittamātra nie, en plus, cette séparation sur le plan relatif.</ref>, etc. Mais comme l'a expliqué [[Stéphane Arguillère]] ci-dessus, cela s'applique de façon récursive et quand pourra-t-on s'arrêter pour trouver ce dont est vraiment faitfaite la matière, pour expliquer ce qu'est cette matière? Dans tous les cas, on ne trouve rien d'intrinsèque qui pourrait nous dire vraiment qu'il y a bien quelque chose correspondant à ce qu'on appelle la matière.
 
Un autre angle d'attaque des Cittamātra contre l'existence de la matière comme cause de nos perceptions est la relation entre la matière et la conscience qui sont posésposées, ''par définition'', de nature radicalement différente (la matière est par définition l'« autre » de l'esprit et donc de la conscience). [[Stéphane Arguillère]] le résume de la façon suivante :
 
{{citation bloc|Il n'est pas exagéré de dire que tout l'idéalisme [dont l'école Cittamātra] naît du doute, de la profonde perplexité qui ne peut manquer de saisir celui qui se demande avec rigueur comment les perceptions, modes de la conscience, peuvent être produites par des causes extérieures à la conscience et appartenant, par hypothèse à un autre genre d'être (la matière inerte)<ref name="Arguillère Cahiers Bouddhiques n°2"/>.}}
 
Toutes les écoles [[Mahayana]] et [[Vajrayana]] vont donc en conclure que :
 
I. On ne perçoit jamais des objets en soi mais que l'esprit joue toujours un rôle actif dans l'acte de percevoir.
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Ce qui différencie très précisément l'école Cittamātra, c'est qu'elle va en conclure que si les phénomènes extérieurs ne sont que des vues de l'esprit ils sont donc ''identiques à l'esprit''.
 
Ce qui revient à dire qu'il n'y a pas de différence entre les perceptions à l'état de veille et durant les rêves<ref>Il s'agit, ici, de la thèse Cittamātra telle qu'elle est présentée par les auteurs ultérieurs, en particulier, les auteurs tibétains. Il est possible qu'il s'agit d'une reconstruction de la pensée Cittamātra et que ce n'était pas, en fait, ce que pensaient exactement [[Asanga]] et [[Vasubandhu]] (c'est ce que dit explicitement [[Stéphane Arguillère]]). En effet, cette thèse, qui identifie perceptions du rêve et perceptions à l'état de veille, fait tomber dans le piège du [[Solipsismesolipsisme]] qui peut rendre toute communication impossible entre les êtres sensibles. Il est possible que la thèse développée par [[Shantarakshita]] et présentée ci-dessous était déjà celle d'[[Asanga]] et [[Vasubandhu]].</ref>.
 
Cette position sera réfutée par l'école [[Madhyamaka]] car elle va montrer qu'elle implique une multitude de paradoxes insoutenables.
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=== Cittamātra et Madhyamika ===
 
Le Cittamātra s'opposa très rapidement à l'autre grande école du [[bouddhisme mahāyāna]], le [[Madhyamaka]] qui était plus ancienne. Le [[Madhyamaka]] professe la vacuité ([[Śūnyatā]]) de tous les phénomènes sans exception et donc refusait catégoriquement le fait que le Cittamātra considère que la conscience libérée de la dualité sujet/objet ait une existence absolue. L'opposition entre les deux écoles eut pour principal lieu l'université de [[Nālanda]] elle-même où de très grands maîtres [[Madhyamaka]] « tardifs<ref>Tardifs pour le Bouddhisme indien.</ref> » allaient y enseigner : [[Candrakîrti]] ({{VIIe siècle}}), [[ShantidevaŚāntideva]] (vers [[685]]-[[763]]). Un très long débat public fut même organisé dans l'université entre [[Candrakîrti]] et {{Lien|fr=Candragomin|lang=ensa|trad=Candragominचन्द्रगोमिन्}}, un représentant du Cittamatra, sans qu'aucun des deux adversaires ne l'emporte<ref name="Dictionnaire Cornu 2001"/>.
 
Au {{VIIIe siècle}}, c'est-à-dire juste avant que le [[Vajrayana]] prenne la place du [[mahāyāna]] en [[Inde]], même dans les grandes universités du nord du pays, [[Shantarakshita]] et son disciple Kamalashila fondent l'école Madhyamaka svatantrika [[Yogācāra]]<ref name="Dictionnaire Cornu 2001"/>. Celle-ci est une synthèse « hiérarchisée » des écoles [[Madhyamaka]] et Cittamātra : le Cittamatra sert pour décrire la [[Les Deux Vérités|réalité conventionnelle]]. Le [[Madhyamaka]] est déclaré supérieur mais sert surtout pour décrire la [[Les Deux Vérités|réalité ultime]]. En outre, cette école commence à utiliser le Cittamātra pour faire des ponts entre [[Sutra|sutras]] et [[tantrisme|tantras]] bouddhistes. Ces derniers commencent à se diffuser dans de grandes proportions dans le sous-continent indien.
 
Comme [[Shantarakshita]] va aller longtemps enseigner au [[Tibet]], l'école Madhyamaka svatantrika [[Yogācāra]] y jouera un rôle très important surtout pour l'école des anciens [[Nyingmapa]] mais aussi chez les [[Sakyapa]] et les [[Kagyupa]]. Même dans l'école [[Gelugpa]] qui, à la suite de son fondateur [[Tsongkhapa]] ([[1357]]-[[1419]]), va suivre l'approche [[Madhyamaka]] stricte de [[Candrakîrti]], l'école Cittamātra sera très étudiée dans les écoles philosophiques.
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== Développement au Tibet ==
 
Bien que tous les [[sutra]] Cittamātra aient été traduits très tôt en tibétain (dès le {{VIIIes-|sVIII}} siècle), l'école Cittamātra n'a jamais fait souche au [[Tibet]] en raison de l'absence de maîtres importants de cette école <ref name="Dictionnaire Cornu 2001">Dictionnaire encyclopédique du Bouddhisme, Philippe Cornu, 2001, Éditions du Seuil.</ref>. C'est la philosophie Yogācāra [[Madhyamika]] qui va faire autorité au Tibet avec la venue de [[Shantarakshita]] et [[Kamalaśīla]] lors de la première diffusion du [[Bouddhismebouddhisme tibétain|bouddhisme]] au [[Tibet]]
({{VIIIes2-|VIII|IX}} et {{IXe}} siècles). Lors de la deuxième diffusion ({{XIes2-|XI|XII}} et {{XIIe}} siècles), c'est la [[Madhyamaka]] prāsangika qui servira toujours de référence bien que les textes Cittamātrin soient toujours très étudiés mais réinterprétés dans l'optique [[Madhyamaka]].
Cependant, les plus grands maîtres [[nyingmapa]] comme [[Longchenpa]] ou [[Jamgon Ju Mipham Gyatso|Mipham RinpocheRinpoché]] utiliseront la pensée Cittamatrin pour décrire la vérité relative et ainsi articuler clairement les enseignements du [[Mahayana]] avec ceux du [[Dzogchen]]<ref>[[Stéphane Arguillère]], ''Profusion de la vaste sphère, Longchenpa, sa vie, son œuvre, sa doctrine''. Peeters Publishers, [[Louvain]], 2007 {{ISBN|978-90-429-1927-3}}.</ref>. Le Cittamātra jouera aussi un rôle très important chez certains maîtres [[Kagyüpa]] de ladu [[Mahāmudrā]]. Enfin l'école [[Jonangpa]] avec son [[Madhyamaka]] [[Shentong]] se rapprochera très fortement du Cittamātra mais cette école sera en grande partie éradiquée et taxée d'hérésie au début du {{XVIIe|s-|XVII}} siècle surtout pour des raisons politiques avec l'arrivée des [[Gelugpa]] au pouvoir au Tibet à cette époque<ref name="Dictionnaire Cornu 2001"/>.
 
== Bibliographie ==
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=== Études ===
* {{Cornu}}
* Dominique Trotignon, [[Paul Magnin]], Stéphane Arguillère, [[Françoise Bonardel]], ''La co-production conditionnée'', in [http://www.bouddhismes.net/LCB_2 Les cahiers bouddhiques n° 2], [[Université Bouddhique Européenne]], {{numéro|2}}, {{date-|décembre 2005}}.
* [[Georges B.J. Dreyfus|Georges Dreyfus]], ''Les deux vérités selon les quatre écoles'', éd. VajraYogini, Marzens, 2000.
* David J. Kalupahana, ''The Principles of Buddhist Psychology'', Delhi: Sri Satguru Publications, 1992.
* Dan Lusthaus, ''Buddhist Phenomenology'', [[Routledge]], 2002. {{ISBN|0700711864}}
* [[Lilian Silburn]] (en collaboration), ''Le bouddhisme'', éd. Fayard, Paris, 1977.
* [[Jean-Marc Vivenza]], ''Tout est conscience : une voie d'éveil bouddhiste. L'école du Yogâcâra ([[Cittamātra]])'', Albin Michel, col. "Spiritualités vivantes", 2010.
 
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