« Bouddhisme et mendicité » : différence entre les versions
Contenu supprimé Contenu ajouté
m →Pratique de la mendicité : Correction : Titre : niveau de section manquant |
m →Bibliographie : mef |
||
(18 versions intermédiaires par 8 utilisateurs non affichées) | |||
Ligne 1 :
La '''mendicité, dans le bouddhisme,''' ([[sanskrit]] et [[pāli]]: '''piṇḍapāta''', «aumône de nourriture » ou selon une autre étymologie « bol à aumônes » ou encore, par extension, « tournée d'aumône »{{Sfn|Buswell & Lopez|5=2014|p=645}}) est un aspect essentiel de la pratique du [[Monachisme bouddhiste|monachisme bouddhique]]. Le [[bouddhisme]] est l'une des traditions religieuses qui possède une pratique bien établie de la mendicité. La nécessité de mendier est liée à la recherche de [[Détachement (philosophie)|détachement]], qui est au cœur de cette pratique. Ce détachement se marque par l’interdiction, pour les moines et les nonnes, de posséder quoi que ce soit ou presque. La mendicité est aussi une importante occasion de contacts entre la communauté monastique et les laïcs (''[[Sangha (bouddhisme)|sangha]]''), dont la générosité permet d’acquérir des mérites pour leurs vies futures.▼
▲La '''mendicité''' ([[sanskrit]] et [[pāli]]: '''piṇḍapāta''', «aumône de nourriture » ou selon une autre étymologie « bol à aumônes » ou encore, par extension, « tournée d'aumône »{{Sfn|Buswell & Lopez|5=2014|p=645}}) est un aspect essentiel de la pratique du monachisme bouddhique. Le bouddhisme est l'une des traditions religieuses qui possède une pratique bien établie de la mendicité. La nécessité de mendier est liée à la recherche de détachement, qui est au cœur de cette pratique. Ce détachement se marque par l’interdiction, pour les moines et les nonnes, de posséder quoi que ce soit ou presque. La mendicité est aussi une importante occasion de contacts entre la communauté monastique et les laïcs (''[[Sangha (bouddhisme)|sangha]]''), dont la générosité permet d’acquérir des mérites pour leurs vies futures.
La mendicité est imposée et largement codifiée par les règles monastiques ([[Vinaya]]) qui expliquent pourquoi et comment elle doit se faire. Mais sa pratique a évolué, tant dans le temps que dans l’espace. Progressivement, les moines et nonnes se sont rassemblés autour de monastères qui ont commencé à acquérir des terres et des propriétés, si bien que la mendicité n’était plus nécessaire. Cela a été particulièrement marqué dans la tradition [[Bouddhisme mahāyāna|mahāyāna]] en [[Asie de l'Est|Asie de l’Est]]. En [[Asie du Sud-Est]], dans la tradition du [[theravāda]], la pratique de la mendicité se
== Mendicité dans le bouddhisme ==
[[Fichier:Watkung 01.jpg|gauche|vignette|Moines défilant devant des laïcs rassemblés pour leur faire l'aumône. [[Province d'Uttaradit]], Thaïlande. La mendicité est une occasion importante de contact entre moines et laïcs.]]
La pauvreté est un trait essentiel de la vie monastique dans le bouddhisme{{Sfn|Conze|5=1995}}. Le moine et la nonne bouddhistes sont respectivement un ''[[Bhikshu|bhiksu]]'' et une ''[[Bhikkhuni|bhiksuni]]'', termes sanskrits signifiant littéralement « [une personne] qui vit d’aumônes », ou encore les « religieux errants » ou « religieux mendiant »{{Sfn|Magnin|5=2003|p=85, note 4}}{{,}}{{Sfn|Harvey|5=1993|p=292}}{{,}}{{Sfn|Buswell
Mais il faut aussi voir que moines et nonnes ne sont pas des solitaires. Ils vivent au sein du sangha, qui doit donc organiser sa survie économique{{Sfn|Harvey|5=1993}}. En Inde, où le bouddhisme est né, on a toujours accepté la mendicité comme moyen de vivre{{Sfn|Conze|5=1995|p=65}}. Mendier n’était aucunement synonyme d’inutilité sociale. Moines et nonnes ne se voyaient pas comme des désœuvrés : au contraire, ils menaient une vie active, en méditant et en limitant leurs désirs. Loin de considérer ces mendiants contemplatifs comme des parasites, le bouddhisme voit en eux la justification de la société{{Sfn|Conze|5=1995|p=65}}.
Ligne 11 :
=== Pratique de la mendicité ===
Le Vinaya exige des moines et nonnes qu’ils réduisent leur attachement à la richesse et aux biens matériels, car ils sont le principal obstacle à [[Bodhi|l’éveil]]. En outre, mendier favorise l’humilité et aide ainsi à réduire l’attachement au faux soi (l'''[[ahaṃkāra]]'' ou le ''[[jīvātman]]'' de l’[[hindouisme]]). En plus, elle favorise les contacts entre communauté religieuse et laïcs, qui sont le principal soutien du sangha, et fournit à ces derniers l’occasion d’acquérir des mérites (''[[punya]]''). Enfin, tandis que les laïcs permettent aux membres du sangha de rester en bonne condition physique, ceux-ci offrent aux laïcs des bienfaits spirituels{{Sfn|Baroni|5=2002}}.
[[Fichier:Taiwanese Buddhist Monk Bamboo Hat.jpeg|gauche|vignette|Taiwan. Moine en train de mendier (le bol est remplacé par une boîte rouge qu'il tient dans ses bras). En Asie de l'Est, la mendicité est plus rare et se pratique souvent en solitaire.]]
Moines et nonnes ne peuvent posséder que très peu de choses. Le Bouddha a précisé que quatre choses sont nécessaires pour vivre. Quatre éléments fondamentaux (''Nishraya'') leur sont donc autorisés : la nourriture obtenue en mendiant, un vêtement (''[[chivara]]''), un lieu pour passer la nuit (le pied d’un arbre) et de l’urine de vache fermentée à titre de médicament (B 593). À cela viennent s’ajouter une série de huit choses indispensables (mais on trouve aussi des séries de treize, dix-huit et plus encore) : parmi eux, on relèvera un bol (''patra<ref> « Pātra » in ''[[Dictionnaire Héritage du Sanscrit|Sanskrit Heritage Dictionary]]'' {{Lire en ligne|lien=https://sanskrit.inria.fr/DICO/40.html#paatra|consulté le=23 février 2021}}</ref>'') — dans la série des huit — et un bâton (''khakkhara''<ref>{{Lien web |titre=khakkhara |url=https://sanskrit.inria.fr/DICO/23.html#khakkhara |site=sanskrit.inria.fr |consulté le=13 mars 2021}}</ref>) – dans la série des dix-huit{{Sfn|Buswell
Les besoins d'un bhiksu et la manière de les satisfaire sont largement traités dans la règle de grands codes monastiques (''Vinaya'')<ref>{{Ouvrage|langue=en|auteur1=Bhikkhu Ariyesako|titre=The Bhikkus' Rules. A Guide for Laypeople
▲Moines et nonnes ne peuvent posséder que très peu de choses. Le Bouddha a précisé que quatre choses sont nécessaires pour vivre. Quatre éléments fondamentaux (''Nishraya'') leur sont donc autorisés : la nourriture obtenue en mendiant, un vêtement (''[[chivara]]''), un lieu pour passer la nuit (le pied d’un arbre) et de l’urine de vache fermentée à titre de médicament (B 593). À cela viennent s’ajouter une série de huit choses indispensables (mais on trouve aussi des séries de treize, dix-huit et plus encore) : parmi eux, on relèvera un bol (''patra<ref> « Pātra » in ''[[Dictionnaire Héritage du Sanscrit|Sanskrit Heritage Dictionary]]'' {{Lire en ligne|lien=https://sanskrit.inria.fr/DICO/40.html#paatra|consulté le=23 février 2021}}</ref>'') — dans la série des huit — et un bâton (''khakkhara''<ref>{{Lien web |titre=khakkhara |url=https://sanskrit.inria.fr/DICO/23.html#khakkhara |site=sanskrit.inria.fr |consulté le=13 mars 2021}}</ref>) – dans la série des dix-huit{{Sfn|Buswell & Lopez|5=2014|p=636; 892}}.
▲Les besoins d'un bhiksu et la manière de les satisfaire sont largement traités dans la règle de grands codes monastiques (''Vinaya'')<ref>{{Ouvrage|langue=en|auteur1=Bhikkhu Ariyesako|titre=The Bhikkus' Rules. A Guide for Laypeople|passage=95|lieu=Kallista, Vic 3791, Australia|éditeur=Sanghàloka Forest Hermitage|date=1998|pages totales=331|lire en ligne=http://www.buddhanet.net/pdf_file/bhkkrule.pdf|consulté le=12 mars 2021}}</ref> (A95). Ceux-ci interdisent expressément aux communautés monastiques de posséder des terres (et aussi de les cultiver), de faire des réserves ou encore d’avoir de l’argent. Ils prescrivent au moine qu’il subvienne à ses besoins par la mendicité{{Sfn|Baroni|5=2002|p=19a}}. Le Vinaya définit même la mendicité comme « la bonne manière de vivre » pour les moines et les nonnes{{Sfn|Baroni|5=2002|p=19a}}. Dès lors, « tendre le bol » (traduction littérale de ''pindapâta,'' le terme sanskrit l’on traduit par ''mendicité'' est une activité incontournable{{Sfn|Magnin|5=2003}}. Et comme le moine et la nonne sont aussi décrits comme ceux qui mènent une « vie sans maison », ils se voient obliger de demander l’aumône non seulement pour la nourriture, mais pour tout ce dont ils ont besoin{{Sfn|Conze|5=1995|p=63}}.
Les aumônes des laïcs consistent essentiellement en nourriture, mais elles peuvent aussi se présenter sous forme de vêtements, de médicaments et d’autres produits de première nécessité.
==== Rituel ====
[[Fichier:Luang Prabang Takuhatsu ルアンパバーン 托鉢 DSCF7017.JPG|vignette|Une enfant [[Namasté|salue]] une file de novices en tournée d'aumônes à [[Luang Prabang]], Laos.]]
C’est
La nourriture est distribuée chaque matin par les laïcs aux moines et aux nonnes lors de leur tournée pour recevoir des aumônes{{Sfn|Buswell & Lopez|5=2014|p=645}}. En général, les moines se rendent en file dans les villes ou villages, le matin. Ils se déplacent avec
==== Bol et bâton ====
En pratique, moines et nonnes se munissent d’un
Quant au bol, il peut être de taille petite, moyenne ou grande{{Sfn|Buswell
==== Bol du Bouddha
[[Fichier:041 Tapussa and Bhallika give Food to Buddha who turns Four Almsbowls into One (9270765911).jpg|vignette|Trapusa et Bhallika (à gauche) offrent
L'histoire canonique du bol du Bouddha est rapportée au chapitre 24 du sûtra ''[[Lalitavistara|
À ce moment arrivent les quatre dieux gardiens des quatre directions ''([[Gardiens du monde|Lolkapala]])'' pour lui fournir un bol. C'est ce bol qui devra désormais servir au Bouddha dans ses tournées de mendicité, et on peut s'attendre qu’après la mort de ce dernier, il deviendra donc une relique vénérée<ref name=":1" />{{,}}<ref name=":2">{{Article |langue=en |auteur1=Leonardo Olschki |titre=The Crib of Christ and the Bowl of Buddha |périodique=Journal of the American Oriental Society |volume=70 |numéro=3 |date=Jul. - Sep. 1950 |lire en ligne=https://www.jstor.org/stable/596261 |pages=161-164 }}.</ref>. Les dieux lui offrent des bols en or, que le Bouddha refuse car l'or ne convient pas à un moine mendiant. Ils lui proposent alors successivement six autres matières (argent, jade, saphir, etc.) qu'il rejette à chaque fois. Finalement, ils apportent un bol de pierre, suivant en cela la règle monastique, et le Bouddha l'agrée. Mais il juge inutile d’avoir quatre bols. De crainte toutefois de peiner les trois autres dieux s'il n'accepte qu'un bol, il transforme les quatre récipients en un seul, qui garde cependant à son sommet la trace du rebord des trois autres<ref name=":1" />.
Le [[Bouddhologie|bouddhologue]] John Strong relève que cet épisode est à la source de plusieurs « premières » dans l'histoire du bouddhisme, parmi lesquelles on retiendra {{Citation|(...) les premiers disciples laïcs du Bouddha à prendre refuge en lui et en ses enseignements ; la première offrande de nourriture méritoire au Bouddha après son illumination ; le premier bol de moine bouddhiste (...)<ref>{{Ouvrage|langue=en|auteur1=John S. Strong|titre=Relics of the Buddha|passage=74|lieu=Delhi|éditeur=Motilal Banarsidass|date=2007|année première édition=2004|pages totales=290|isbn=978-0-691-11764-5}}</ref>.}}▼
[[Fichier:Stone statue of the Buddha seated with moss-covered stone alms bowl in Ryōan-ji Zen Buddhist temple Ukyō-ku Kyoto Japan.jpg|gauche|vignette|Bouddha assis avec, à ses pieds, un bol à aumônes en pierre, couvert de mousse. Temple [[Ryōan-ji]], [[Kyoto|Kyôto]].]]
Ce bol deviendra donc une relique conservée dans un grand monastère de [[Peshawar]] où il était montré aux fidèles deux fois par jour (vraisemblablement sur un trône abrité par un dais), et où le célèbre pèlerin chinois [[Faxian]] le vit lorsqu’il passa par cette ville au début du {{S-|v}}; il affirma même que l'on y remarquait les rebords des trois autres bols<ref name=":1" />. On lui rapporta en outre que lorsque le roi [[Yuezhi]] qui envahit cette région voulut emporter le bol, huit éléphants ne parvinrent pas à déplacer la précieuse relique<ref>Leonardo Olchski, 1950. On peut lire la narration de Faxian dans ''Foé Koué Ki, ou Relations des royaumes bouddhiques, par Chi Fa Hian'', traduit du chinois et commenté par [[Jean-Pierre Abel-Rémusat|Abel Rémusat]], Paris, Imprimerie royale, 1836, p. 76-77. {{Lire en ligne|lien=https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6124536k/f153.item|consulté le=15 mars 2021}}</ref>. Deux siècles plus tard toutefois, le moine [[Xuanzang]], autre grand pèlerin chinois, trouvera le « monastère du bol » en ruines et le vase disparu<ref name=":1" />{{,}}<ref group="Note">[[Marco Polo]] évoque aussi le bol du Bouddha dans sa description de Ceylan: {{Citation|Il y avait encore dans cette montagne les cheveux, les dents et l'écuelle de celui qui y vécut, et on l'appelle Bouddha Sakyamouni, ce qui veut dire saint Sakyamouni.}} ''La description du monde'', édition, traduction et présentation par P.Y. Badel, Paris, Le Livre de Poche, 1998, {{ISBN|978-2-253-06664-4}} p. 411.</ref>.
▲Selon l'[[Indologie|indianiste]] [[Alfred Foucher]], cette histoire vise à montrer les premiers hommes qui firent au Bouddha la première aumône de nourriture et qui devinrent ainsi le modèle des [[Fidèle|fidèles]] laïques. Mais l’histoire n’est pas terminée : en échange de cette offrande, le Bouddha leur fait don de son enseignement sur l’éveil. Il leur donne en outre des bouts de ses cheveux et de ses ongles, pour lesquels les frères érigèrent deux stupas<ref name=":1" />. Le [[Bouddhologie|bouddhologue]] John Strong relève que cet épisode est donc à la source de plusieurs « premières » dans l'histoire du bouddhisme,
Plus tard, on trouve le même phénomène avec les bols d’anciens maîtres, qui sont aussi parfois devenus des reliques<ref>{{Lien web |langue=en |titre=Relic |url=https://www.britannica.com/topic/relic#ref268426 |site=britannica.com |consulté le=13 mars 2021}}</ref>. Enfin, dans certaines traditions, et tout particulièrement dans le [[Chán (bouddhisme)|chan]] et le zen, le maître remet son bol (avec son ''kesa'') au disciple, en signe de transmission de la lignée{{Sfn|Buswell & Lopez|5=2014}}{{,}}<ref group="Note">[[Marco Polo]] évoque aussi le bol du Bouddha dans sa description de Ceylan: {{Citation|Il y avait encore dans cette montagne les cheveux, les dents et l'écuelle de celui qui y vécut, et on l'appelle Bouddha Sakyamouni, ce qui veut dire saint Sakyamouni.}} ''La description du monde,'' édition, traduction et présentation par P.Y. Badel, Paris, Le Livre de Poche, 1998, {{ISBN|978-2-253-06664-4}} p. 411.</ref>.▼
==== ...et bol des maîtres ====
Les images dans la galerie ci-dessous montrent également que, à côté des bols employés au quotidien, on en trouve qui pouvaient aussi être de véritables objets d'art destinés à des cérémonies pour des divinités<ref>{{Lien web |langue=en |titre=Buddhist Ceremonial Alms Bowl |url=https://www.metmuseum.org/art/collection/search/53623 |site=metmuseum.org |consulté le=14 mars 2021}}</ref>{{,}}<ref>{{Lien web |langue=en |titre=Alms Bowl with Celestial Design |url=https://www.clevelandart.org/art/1986.94 |site=clevelandart.org |consulté le=14 mars 2021}}</ref>.▼
▲Plus tard, on
▲Les images dans la galerie ci-dessous montrent également que, à côté des bols employés au quotidien, on en trouve qui pouvaient aussi être de véritables objets d'art destinés à des cérémonies pour des divinités<ref>{{Lien web |langue=en |titre=Buddhist Ceremonial Alms Bowl |url=https://www.metmuseum.org/art/collection/search/53623 |site=metmuseum.org |consulté le=14 mars 2021}}</ref>{{,}}<ref>{{Lien web |langue=en |titre=Alms Bowl with Celestial Design |url=https://www.clevelandart.org/art/1986.94 |site=clevelandart.org |consulté le=14 mars 2021}}</ref>, ce qui fait écho à la remarque de Foucher, ci-dessus, sur la présentation du bol du Bouddha à Peshawar.
<gallery perrow="6" caption="Bols à aumônes">
Ligne 49 ⟶ 54 :
=== Mendicité et rapports entre moines et laïcs ===
[[Fichier:Luang Prabang Monks Alm Dawn 01.jpg|vignette|Jeunes moines théravada recevant l'aumône à l'aube (sous forme de riz gluant), à [[Luang Prabang]], Laos.|gauche]]Le don (''[[Dāna|dâna]]'') est la première vertu bouddhiste (''[[paramita]]'') et elle est un facteur essentiel du progrès spirituel et moral{{Sfn|Harvey|5=1993|p=268}}. Cette générosité du don s’exerce en premier lieu envers le Sangha, et elle est étroitement liée à un autre concept très important : celui de mérite (''[[punya]]''). Les mérites s’acquièrent par des actions vertueuses qui porteront leurs fruits sous forme de bonheur dans une vie ultérieure{{Sfn|Buswell & Lopez|5=2014|p=681}}. Par ailleurs, les mérites acquis peuvent s’accumuler au cours de nombreuses vies, permettant des renaissances heureuses et l’atteinte de la [[Buddhatva|bouddhéité]]. Or le don est le premier moyen (à côté de la moralité (''[[Śīla|sîla]]'') et de la méditation (''[[Bhavana|bhâvana]]'')) d’accumuler ces mérites, tout particulièrement en se montrant généreux et charitable envers le sangha, et cela en fait une pratique centrale bouddhisme{{Sfn|Buswell & Lopez|5=2014|p=861}}.
Il y a donc une réciprocité qui s’installe entre donataires et donateurs. Les premiers ont besoin pour vivre du don et des offrandes qu’ils reçoivent en pratiquant la mendicité. Les seconds ont besoin du sangha pour acquérir des mérites. Mais ce don ne va pas sans contre-don : le sangha offre en effet aux laïcs quelque chose de bien plus élevé : le don du Dharma qui, selon le Bouddha, « surpasse tous les dons »<ref>''Les Dits du Bouddha: Le Dhammapada'', Paris, Albin Michel, 2004 {{ISBN|978--222-615172-8}} p. 354</ref>{{,}}{{Sfn|Harvey|5=2002|p=268}}. Ainsi, on peut aussi considérer que faire l'aumône est une manière, pour les donateurs, de remercier les religieux de consacrer leur vie à pratiquer et enseigner le [[dharma]]<ref>Paul Reps & Nyogen Senzaki, ''Le zen en chair et en os'', Paris, Albin Miche, 1993 [1957], p. 63-64 (n° 53, « Le donateur devrait être reconnaissant »).</ref>.
Cette réciprocité est un aspect essentiel de la relation entre le sangha et la communauté des laïcs, car les uns et les autres y trouvent une des principales occasions de contact et d’interaction
p. 81</ref> très fertile sur lequel les dons semés poussent avec vigueur{{Sfn|Harvey|5=1993|p=268}}. C’est là une des principales occasions de contact et d’interaction entre moines et laïcs.
Ligne 66 ⟶ 71 :
La mendicité est une pratique fondamentale du bouddhisme monastique qui trouve son origine dans l'[[Inde ancienne]] : [[Siddhartha Gautama]] lui-même mendiait, mais il n’était pas le seul à le faire. Des groupes issus de différents courants religieux, parmi lesquels ceux qui se rattachaient au Bouddha, trouvaient leur subsistance en mendiant auprès des laïcs{{Sfn|Baroni|5=2002}}. C’est le cas en particulier des [[Shramana|shramaṇes]] [[Hindouisme|hindous]] ou [[Jaïnisme|jaïns]] ainsi que des [[Samnyâsin|sannyasin]]{{Sfn|Martin|5=2003|p=85, note 4}}{{,}}{{Sfn|Baroni|5=2002|p=19a}}.
Elle est devenue une pratique de base du bouddhisme : les premières règles monastiques exigent des moines et des nonnes qu’ils vivent dans la forêt, sans autre abri que la cime d’un arbre. Pour le Vinaya, résider dans un lieu abrité (maison, temple, monastère, maison) est un luxe dangereux{{Sfn|Conze|5=1995|p=68}}. D’autre part, il était interdit de creuser et travailler la terre ainsi que de posséder or ou argent : il s’agissait d’empêcher les moines de devenir auto-suffisants et de se couper ainsi des laïcs{{Sfn|Harvey|5=1993|p=309}}.
Aujourd'hui, même si les communautés bouddhistes continuent à dépendre des dons des laïcs, on peut cependant dire que la mendicité reste une activité monastique seulement dans quelques parties du monde bouddhiste{{Sfn|Baroni|5=2002|p=19a}}. C'est surtout en [[Asie du Sud-Est]], dans les pays où le bouddhisme [[Theravāda|théravada]] s'est développé, que cet usage s'est maintenu jusqu'à nos jours: [[Cambodge]], [[Laos]], [[Birmanie|Myanmar]] ([[Birmanie]]), [[Thaïlande]], [[Viêt Nam]]<ref group="Note">C'est principalement le cas dans le sud du Viêt Nam, où, pour des raisons historiques et du fait de la proximité du Cambodge, le Théravada s'est surtout développé — tandis que dans le nord prévaut le courant du [[Bouddhisme mahāyāna|Mahayana]].</ref>, ainsi qu'au [[Sri Lanka]]{{Sfn|Mather|5=1981|p=418b}}{{,}}<ref name=":0" />. Cela s'explique en partie par le fait que les monastères y sont souvent de taille réduite<ref group="Note">Sur cette question, voir ci-dessous la partie sur l'Asie de l'Est.</ref>, si bien que la mendicité reste indispensable à la vie du sangha<ref name=":0" />.
=== Asie de l’Est : le mahâyâna ===▼
Toutefois, avec le développement de la communauté monastique, les règles s’assouplirent peu à peu et la vie monastique se développa<ref name=":0">Philippe Cornu, ''Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme,'' Paris, Seuil, 2006 {{ISBN|978-2-020-82273-2}} p. 386b</ref>. Les donations de terres augmentèrent, temples et monastères se transformèrent en propriétaires terriens, mettant en place des systèmes de fermage qui conséquents{{Sfn|Harvey|5=1993|p=309}}. Et de fait, en [[Asie de l'Est|Asie de l’Est]] — où domine le bouddhisme du courant [[Bouddhisme mahāyāna|mahâyâna]] — la mendicité n’est pas pratiquée partout comme un élément de base de la vie monastique régulière. Et quand on la trouve, ce n'est pas en suivant les règles traditionnelles du Vinaya de tournée quotidienne pour quêter des aumônes{{Sfn|Baroni|5=2002|p=19b}}.▼
▲=== Asie de l’Est : le mahâyâna ===
▲Toutefois, avec l'expansion de la communauté monastique<ref group="Note">Initialement, le
[[Fichier:Sungtseling.jpg|vignette|Peinture du [[Monastère Ganden Sumtseling]]. [[Yunnan]], Chine. Les monastères se développèrent grandement, rendant caduque la pratique de la mendicité.]]
Ainsi, les monastères grandirent jusqu’à accueillir plusieurs milliers de moines, comme cela avait été le cas à [[Nâlandâ|Nalanda]]<ref name=":0" />. En outre, progressivement ces monastères acquirent des terres. Ainsi, aux {{s2-|xi|xii}}, les grands monastères du Sri-Lanka possédaient de vastes domaines, qui intégraient des systèmes étendus d’irrigation ainsi que des villages dont la population devait en partie travailler pour leurs propriétaires{{Sfn|Harvey|5=1993|p=309}}.
Ligne 78 ⟶ 85 :
==== Chine ====
[[Fichier:Mendicant Monk Sitting on Xindong Street, Taipei 20140103.jpg|gauche|vignette|Moine mendiant seul à [[Taipei]], Taïwan.]]
D’autre part, en Chine, on note aussi le développement d’une tradition d’auto-suffisance{{Sfn|Buswell & Lopez|5=2014|p=645}}. Le maître chan {{Lien|langue=en|Baizhang Huaihai}} ({{S-|viii}}) joua un rôle important dans cette évolution. Son code de vinaya, le ''Baizhang chinggui'' (« les règles pures de Baizhang »), devint très important et prit le dessus sur les codes traditionnels de Vinaya{{Sfn|Harvey|5=1993|p=309}}. Dans l’emploi du temps des moines dans les monastères, ce code assigne une place considérable au travail manuel et agricole – qui était donc en principe interdit par le Vinaya classique. Une de phrases les plus connues de Baizhang est « qui ne travaille pas ne mange pas » (ou « un jour sans travail, un jour sans manger ». Cette promotion de l’autarcie des monastères visait à détourner les critiques des [[Confucianisme|confucéens]] qui voyaient précisément dans les moines des parasites de la société<ref>Philippe Cornu, ''Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme'', Paris, Seuil, 2006, p. 69</ref>{{,}}{{Sfn|Harvey|5=1993|p=309}}.
==== Japon ====
[[Fichier:Mendicant at Nagoya Station, Nagoya, Aichi (2016-07-18).jpg|vignette|Moine zen mendiant devant la [[gare de Nagoya]].]]
Au Japon aussi, la mendicité a disparu. Elle reste cependant en vigueur à titre de formation des futurs moines et nonnes [[zen]], et elle est alors connue sous le nom de ''Takuhatsu'' ''([[japonais]]: 托鉢)
</ref>.
Ligne 89 ⟶ 97 :
=== Hors de l'Asie ===
La mendicité est parfois pratiquée par des communautés bouddhiques en Europe, en Amérique ou encore en Australie, mais cela reste des exceptions{{Référence souhaitée|date=15 mars 2021}}. On relèvera ainsi qu'en 2017, sur les onze villages des Pruniers fondés par [[Thích Nhất Hạnh|Thich Nhat Hanh]] dans le monde<ref>{{Lien web |titre=Nos centres de pratique monastique |url=https://plumvillage.org/monastic-practice-centres/ |site=plumvillage.org |consulté le=18 août 2021}}</ref>, seul celui qui se trouve en Thaïlande pratique régulièrement la mendicité<ref>{{Lien web |langue=en |titre=Alms Round – The Practice of Love, Humility, and Gratitude |url=https://plumvillage.org/articles/alms-round-the-practice-of-love-humility-and-gratitude/ |site=plumvillage.org |consulté le=18 mars 2021}}</ref>.[[Fichier:Ajaan Geoff Almsround.jpg|vignette|[[Moines de la forêt|Moine de la forêt]] mendiant à [[Portland (Oregon)|Portland]] en 2008. |centré]]
[[Fichier:Wat Pa Kanun 01.jpg|centré|vignette|999x999px|Files de moines en tournée d'aumônes. [[Uttaradit]], Thaïlande.]]
Ligne 101 ⟶ 109 :
{{Légende plume}}
* {{Ouvrage|langue=en|auteur1=Helen J. Baroni|titre=The Illustrated Encyclopedia of Zen Buddhism|lieu=New York|éditeur=The Rosen Publishing Group|
*{{Ouvrage|langue=en|
*{{Ouvrage|auteur1=[[Edward Conze]]|traducteur=de l'anglais par Marie-Simone Renou|titre=Le bouddhisme dans son essence et son développement
*{{Ouvrage|langue=en|auteur1=Janet R. Goodwin|titre=Alms and Vagabonds. Buddhist Temples and Popular Patronage in Medieval Japan|lieu=Honolulu|éditeur=University of Hawaii Press|
*{{Ouvrage|auteur1=Peter Harvey|titre=Le Bouddhisme. Enseignements, histoire, pratiques
*{{Ouvrage|langue=en|auteur1=Damien Keown|titre=A Dictionary of Buddhism|lieu=Oxford|éditeur=[[Oxford University Press]]|année=2004|pages totales=368|isbn=978-0-
*{{Ouvrage|auteur1=[[Paul Magnin]]|titre=Bouddhisme, unité et diversité. Expériences de libération
* {{Article |langue=en |auteur1=Richard B. Mather |titre=The Bonze's Begging Bowl: Eating Practices in Buddhist Monasteries of Medieval India and China |périodique=Journal of the American Oriental Society |volume=101 |numéro=4 |date=Oct.-Dec. 1981 |doi=https://doi.org/10.2307/601214 |pages=417-424 }}
{{Portail|bouddhisme|Japon}}
[[Catégorie:Bouddhisme]]
[[Catégorie:Culture bouddhique]]
[[Catégorie:Rituel bouddhiste]]
[[Catégorie:Bouddhisme et société]]
[[Catégorie:Aumône]]
|