Modèle d'activité de Margules

modèle simple de coefficient d'activité permettant de corriger la loi de Raoult

En thermodynamique, le modèle d'activité de Margules est un modèle simple de coefficient d'activité permettant de corriger le modèle de la solution idéale pour les phases liquides et solides dans le calcul des équilibres de phases. Il porte le nom du scientifique autrichien Max Margules qui le proposa en 1895.

Les coefficients calculés par ce modèle permettent de représenter des azéotropes et des démixtions de phases. Ces deux comportements ne sont pas prédictibles par le modèle de la solution idéale, en particulier par la loi de Raoult. Il s'agit toutefois d'un modèle empirique, dont les paramètres doivent être établis expérimentalement et ne dépendent ni de la température ni de la pression. Ce modèle n'est donc pas prédictif. En pratique, son domaine d'application est limité aux mélanges dont le comportement est proche de celui de la solution idéale.

Historique

modifier

Ce modèle est présenté pour la première fois par Max Margules en 1895 comme une solution de la relation de Duhem-Margules qui décrit les équilibres liquide-vapeur[1],[2]. Pour un mélange de deux corps   et  , cette relation s'écrit[3] :

Relation de Duhem-Margules :  

avec :

  •   la température ;
  •   et   les pressions partielles respectives des corps   et   en phase vapeur ;
  •   et   les fractions molaires respectives des corps   et   en phase liquide.

Dans cette relation, il est supposé que le gaz est un mélange de gaz parfaits et que la variation de la pression totale   avec une variation de composition est négligeable. Si les pressions partielles sont écrites sous la forme :

 
 

avec   et   deux fonctions arbitraires ne dépendant que de la température, alors on a :

 

Les modèles de solution idéale (loi de Raoult, loi de Henry) répondent donc à la relation de Duhem-Margules.

Dans son article, Margules propose de compléter cette solution en introduisant deux fonctions dépendant de la composition[3] :

 
 

Les paramètres   et   sont liés par les relations :

 
 
 

Ce qui donne :

 

Margules montre ensuite que cette solution permet de représenter des azéotropes et des démixtions liquide-liquide, ce que ne permettent pas les lois idéales[1].

Les deux fonctions ainsi établies par Margules donnent un modèle de coefficient d'activité, notion qui ne fut définie qu'en 1923 par Gilbert Lewis[4] :

 
 

Les pressions partielles s'écrivent :

 
 

Si les paramètres   et   sont nuls, alors   = 1 et le modèle revient aux modèles de solution idéale.

Description du modèle

modifier

Généralités

modifier

Enthalpie libre d'excès

modifier

On considère deux corps purs   et   dans la même phase liquide ou solide, d'enthalpies libres molaires respectives   et  . On mélange une quantité   du corps   avec une quantité   du corps  . L'opération étant réalisée à pression et température constantes, le deuxième principe de la thermodynamique implique que l'enthalpie libre ne peut que décroître durant l'opération, c'est-à-dire, pour l'enthalpie libre molaire   du mélange résultant, dans la même phase que les corps purs :

 

d'où, en divisant par la quantité de matière totale  , avec les fractions molaires   et   :

 

On définit l'enthalpie libre de mélange molaire   par la variation d'enthalpie libre molaire due à l'opération de mélange :

Enthalpie libre de mélange molaire :  

L'enthalpie libre de mélange molaire   ne peut donc être que négative ; elle est nulle pour les corps purs (  pour   = 1 et   pour   = 1). Il est impossible, à pression et température constantes, de réaliser un mélange dans lequel   est positive.

Dans un mélange idéal, par définition, il n'y a aucune interaction entre les molécules. La création d'enthalpie libre pour un mélange idéal, ou enthalpie libre de mélange idéale molaire  , est donnée par :

Enthalpie libre de mélange idéale molaire :  

Cette fonction est toujours négative ou nulle. Le mélange des deux composants est donc toujours possible selon le modèle idéal.

Dans un mélange réel, les interactions entre molécules doivent être prises en compte : la répulsion entre molécules   et molécules   a tendance à empêcher le mélange, alors que l'attraction entre ces molécules a tendance à le favoriser. Il résulte de ces interactions une enthalpie libre d'excès molaire   par rapport au mélange idéal. L'enthalpie libre de mélange molaire réelle   vaut ainsi :

Enthalpie libre d'excès molaire :  

Pour les corps purs et dans un mélange idéal,   par définition. Le modèle d'enthalpie libre d'excès molaire issu des travaux de Margules est de la forme[5],[6] :

Modèle d'enthalpie libre d'excès de Margules
 

avec :

  •   et   les fractions molaires des deux composants du mélange ;
  •   des paramètres qui décrivent l'interaction entre   et   dans le milieu ; sous cette forme, ces paramètres sont adimensionnels.

Le modèle peut également être présenté sous la forme[2],[7],[8] :

 

Dans ce cas, les paramètres ont la dimension d'une énergie molaire (en joules par mole)[9]. Cette forme n'est pas retenue dans le reste de l'article.

En toute rigueur, quelle que soit la forme adoptée, les paramètres  ,  etc. sont des fonctions de la pression et de la température, mais ils sont le plus souvent considérés comme des constantes[6].

Généralisations

modifier

Diverses méthodes existent pour généraliser le modèle aux mélanges à trois corps et plus[2],[7]. La forme suivante est souvent utilisée :

généralisation :  

Le paramètre   introduit les interactions ternaires entre molécules  ,   et  , toutes différentes. La méthode de généralisation la plus simple est de négliger ces interactions[5],[6] :

généralisation :  

avec   le modèle du mélange binaire appliqué aux deux corps   et  .

Coefficients d'activité

modifier

On note   la quantité du corps   et   la quantité totale de matière dans le mélange liquide. Le coefficient d'activité   de chaque corps   est défini par[5] :

Coefficient d'activité :  

définition équivalente à :

 

L'une ou l'autre forme est employée selon que l'on dispose d'un modèle de   ou de  .

Limites du modèle

modifier

Le modèle de Margules à deux paramètres est un modèle très simple. Il peut être appliqué à de nombreux mélanges. Il peut représenter des équilibres liquide-vapeur ayant une déviation positive (cf. figure 3) comme ceux ayant une déviation négative (cf. figure 6) par rapport au modèle idéal de la loi de Raoult (cf. figure 2). Il représente également les mélanges dans lesquels l'un des coefficients d'activité est plus grand que 1 et l'autre plus petit, et ceux pour lesquels les coefficients atteignent des extrémums[6]. Il peut représenter des azéotropes (cf. figure 4, figure 5, figure 7 et figure 8), des démixtions de phases[10] et des équilibres liquide-liquide-vapeur (cf. figure 15)[11]. Il est largement utilisé en métallurgie pour représenter des phases solides[11].

Le modèle de Margules est cependant empirique. Ses paramètres n'ont aucun sens physique et ne découlent d'aucune théorie. De plus, ce modèle ne dépend pas de la température. Les paramètres ne peuvent donc être établis qu'en régressant des résultats expérimentaux et ne peuvent être utilisés qu'à la température à laquelle ces résultats ont été obtenus. Ce modèle n'est donc pas prédictif.

Ce modèle simple est également incapable de représenter correctement des mélanges fortement non idéaux, dans lesquels les molécules des diverses espèces chimiques ont de fortes interactions[6],[11]. Il ne peut par exemple représenter correctement les liaisons hydrogène, les dimérisations d'acides, les associations entre alcools et dans les solutions aqueuses[6], les démixtions liquide-liquide des mélanges alcools-hydrocarbures[5]. Ses applications se limitent aux solutions relativement simples et aux liquides non polaires[11].

Mélanges à deux corps

modifier

Modèle à deux paramètres

modifier

Pour les mélanges binaires, le modèle à deux paramètres est le plus utilisé :

 

Il donne les coefficients d'activité[5],[6],[7],[10] :

 
 

En réécrivant les coefficients dans le formalisme original de Margules[10] :

 
 

les paramètres vérifient :

 
 

Pour les corps purs, on vérifie que   = 1 :

 
 

Les coefficients d'activité des corps à dilution infinie sont obtenus par[6] :

  (dilution infinie de   dans  )
  (dilution infinie de   dans  )

Théorème d'Euler, relation de Gibbs-Duhem

modifier

Le coefficient d'activité   est lié à l'enthalpie libre d'excès molaire partielle   définie par :

 

On a :

 

Le modèle de Margules vérifie donc le théorème d'Euler :

théorème d'Euler :  

Avec les dérivées (en tenant compte de la relation  ) :

 
 

le modèle de Margules vérifie également la relation de Gibbs-Duhem :

relation de Gibbs-Duhem :  

La relation est également vérifiée pour :

 

puisque pour tout corps   :

 

Extrémums des coefficients d'activité

modifier

La relation de Gibbs-Duhem induit que les dérivées des deux coefficients d'activité   et   sont de signes opposés. Les deux coefficients varient donc en sens inverses : si l'un croît, l'autre décroît[12]. La relation induit également que les deux dérivées s'annulent en même temps : les deux coefficients atteignent donc d'éventuels extrémums aux mêmes compositions du liquide. Ces extrémums sont inverses : si l'un des coefficients atteint un maximum, l'autre atteint un minimum. Pour le modèle de Margules à deux paramètres, la dérivée de   s'annule en[13] :

 

Si  , alors   n'est pas comprise entre 0 et 1 :

  • si  , alors   est monotone strictement croissant en   (décroissant en  ) ;
  • si  , alors   est monotone strictement décroissant en   (croissant en  ).

On a la dérivée seconde :

 

dans laquelle on introduit   :

 

Si cette dérivée est positive, l'extrémum est un minimum, si elle est négative, c'est un maximum. Si  , alors :

  • si  , alors   présente un maximum ;
  • si  , alors   présente un minimum.

Si  , alors :

  • si  , alors   présente un minimum ;
  • si  , alors   présente un maximum.
Exemple
Le système binaire chloroforme (1)-méthanol (2) montre un maximum du coefficient d'activité du chloroforme à   = 0,17, avec les paramètres   = 0,6298 et   = 1,9522 à 20 °C.

Modèle de Porter, solution régulière

modifier

Le modèle peut être simplifié en supposant que  , ce qui donne[7] :

 
 
 
 
 

Une solution suivant ce modèle est appelée solution régulière[14],[15]. Lorsque   = 0 la solution est idéale.

Cette simplification, appelée modèle de Porter[6],[5], rend le modèle symétrique par rapport à la composition   = 0,5, ce qui n'est pas réaliste[16]. Elle interdit également la possibilité de représenter des extrémums des coefficients d'activité. Elle est cependant souvent utilisée à des fins pédagogiques pour sa simplicité. Elle est également utilisée dans certaines extensions de la loi de Henry : équation de Krichevsky-Ilinskaya[17],[18] et extension aux mélanges multicomposants[19].

Autres mélanges

modifier

Mélanges à trois corps

modifier

Pour les mélanges ternaires, le modèle d'enthalpie libre d'excès[7] :

 

donne les coefficients d'activité[7] :

 
 
 

Ce modèle nécessite sept paramètres, six si l'on néglige les interactions ternaires. Il peut être simplifié en supposant que[7] :

 

d'où[7] :

 
 
 

Mélanges à quatre corps

modifier

Pour les mélanges quaternaires, le modèle d'enthalpie libre d'excès[7] :

 

donne les coefficients d'activité[7] :

 
 
 
 

Ce modèle nécessite seize paramètres, douze si l'on néglige les interactions ternaires. Il peut être simplifié en supposant que[7] :

 

d'où[7] :

 
 
 
 

Étude des mélanges binaires

modifier

Azéotropie

modifier

Condition d'apparition d'un azéotrope

modifier

Soit un mélange de deux corps notés   et  , à température   donnée et pression   modérée (moins de 10 bar). La phase vapeur est considérée comme un mélange de gaz parfaits, la phase liquide n'est pas idéale. L'équilibre liquide-vapeur est décrit par les équations :

 
 

avec :

  •   la pression totale ;
  •   et   les pressions de vapeur saturante à la température   ;
  •   et   les fractions molaires des deux corps en phase liquide ( ) ;
  •   et   les fractions molaires des deux corps en phase gaz ( ).

Dans un mélange azéotropique, la phase gaz a la même composition que la phase liquide :

 
 

On obtient pour la pression totale d'un azéotrope[20] :

 

Il existe donc un azéotrope s'il existe une composition de la phase liquide vérifiant[11],[21],[22] :

Condition générale d'azéotropie :  

Cette condition ne peut être remplie par le modèle de la solution idéale (loi de Raoult), dans lequel   = 1 (cf. figure 2). Le modèle idéal est donc incapable de représenter un azéotrope.

Pour la plupart des mélanges réels, la pression d'équilibre liquide-vapeur est supérieure à la pression donnée par la loi de Raoult (cf. figure 3). Dans ces conditions, un éventuel azéotrope est dit azéotrope à déviation positive ou azéotrope positif (cf. figure 4). Pour certains mélanges réels, peu fréquents, la pression d'équilibre liquide-vapeur est inférieure à la pression donnée par la loi de Raoult (cf. figure 6). Dans ces conditions, un éventuel azéotrope est dit azéotrope à déviation négative ou azéotrope négatif (cf. figure 7)[21]. Il existe des cas encore plus rares de mélanges présentant deux azéotropes en fonction de la composition, comme le système benzène-hexafluorobenzène[23] (cf. figure 5 et figure 8).

Conditions selon le modèle de Margules

modifier
 
Figure 1 - Domaines de zéotropie et d'azéotropie selon les paramètres du modèle de Margules[22].

Le modèle à deux paramètres   et   donne[22] :

condition d'azéotropie :  

Selon les valeurs des paramètres, cette fonction du second degré en   peut avoir jusqu'à deux racines réelles situées entre 0 et 1. Ce modèle peut donc représenter des cas à un ou deux azéotropes. Si la fonction n'a pas de racine réelle, ou si ses racines réelles se situent hors de la plage de composition de 0 à 1, le mélange ne présente pas d'azéotrope, le mélange est dit zéotrope[24]. La figure 1 donne les domaines de zéotropie, de simple et de double azéotropie en fonction des paramètres de Margules[22]. La courbe elliptique qui sépare le domaine de zéotropie de celui de double azéotropie a pour équation[22] :

 
 
 

Le tableau suivant donne des conditions nécessaires (mais pas suffisantes) d'apparition des azéotropes pour le modèle de Margules à deux paramètres[22],[21].

Conditions d'apparition des azéotropes
pour le modèle de Margules à deux paramètres.
Convention :  
Type d'azéotrope Conditions nécessaires Illustration
   
positif     figure 4
deux azéotropes
négatif vers  
positif vers  
    figure 5
négatif     figure 7
deux azéotropes
positif vers  
négatif vers  
    figure 8

Le modèle à un paramètre   donne :

condition d'azéotropie :  

Cette fonction du premier degré ne peut avoir qu'une seule solution et ne peut donc représenter des cas de double azéotrope. Avec par convention  , ce modèle donne[22],[25] :

  • un azéotrope positif pour   ;
  • aucun azéotrope pour   ;
  • un azéotrope négatif pour  .

Exemples d'équilibres liquide-vapeur

modifier

Les figures ci-dessous montrent divers diagrammes de phases isothermes obtenus pour divers jeux de paramètres du modèle de Margules à deux paramètres   et  . Avec les paramètres   = 0, on obtient la loi de Raoult (figure 2). Les autres figures montrent des déviations par rapport à ce modèle idéal (figure 3 et figure 6) et des azéotropes simples (figure 4 et figure 7) voire doubles (figure 5 et figure 8).

Démixtion de phases

modifier

Condition de stabilité d'un mélange

modifier

Le deuxième principe de la thermodynamique impose qu'à l'équilibre thermodynamique, à pression et température données, l'enthalpie libre molaire   d'un mélange stable ne peut être que convexe en fonction de la composition. Sa dérivée d'ordre 2 doit donc vérifier[10] :

Condition générale de stabilité :  

Par construction, cette condition s'applique aussi à  . Ainsi un mélange stable ne peut-il avoir une enthalpie libre de mélange concave. Dans un tel cas, le mélange est instable et se sépare en deux phases ou plus en équilibre, l'enthalpie libre de mélange globale de l'ensemble des phases résultantes étant convexe. Une fonction   montrant une démixtion est convexe proche des deux corps purs et concave sur une plage de composition intermédiaire : elle comporte deux changements de convexité, soit deux points d'inflexion. On étudie la fonction enthalpie libre de mélange molaire avec le modèle de Margules à deux paramètres :

 

La figure 9 ci-dessus montre le tracé de   avec le modèle à un paramètre,  . Pour   = 0 le mélange est idéal. Plus   s'éloigne de 0, plus le comportement du mélange s'éloigne du comportement idéal. Pour   < 2 la fonction est strictement convexe ; le mélange ne présente qu'une seule phase. Pour   > 2 la fonction présente deux points d'inflexion entre lesquels elle est concave ; le mélange présente une démixtion de deux phases[26]. La courbe obtenue avec   = 2 est la courbe critique de démixtion ; sur cette courbe, les deux points d'inflexion sont confondus en un point unique appelé point critique de démixtion[26]. Ce modèle ne génère qu'un seul point critique avec   = 0,5 et   = 2[26]. Le modèle à deux paramètres   présente les mêmes types de comportement selon les valeurs des paramètres (cf. figure 10), aux différences près que la fonction n'est pas symétrique par rapport à   = 0,5 et qu'il peut représenter une infinité de points critiques (cf. figure 11 et figure 12).

Point critique de démixtion

modifier

Le point critique de démixtion est le cas dégénéré dans lequel les deux points d'inflexion de la fonction   sont confondus. En un point d'inflexion on a[10] :

première condition de criticité :  

soit :

 

Si la fonction est tracée en fonction de la fraction molaire  , le domaine de concavité de la fonction est encadré à gauche par un point d'inflexion où la fonction convexe devient concave, soit  , et à droite par un point d'inflexion où la fonction concave redevient convexe, soit  . Au point critique de démixtion, les deux dérivées doivent être égales, ce qui impose[10] :

deuxième condition de criticité :  

soit :

 

D'autre part, en ce point la fonction doit être convexe, ce qui impose[10] :

troisième condition de criticité :  

soit :

 

Les première et deuxième conditions induisent les paramètres critiques[10],[22] :

 
 

On a   : ces deux fonctions sont miroir l'une de l'autre et se croisent en   = 0,5 avec   = 2. Elles présentent chacune un maximum,   en   = 2/3 et   en   = 1/3 ; ce maximum vaut   = 9/4 = 2,25 (cf. figure 11)[10]. Tracés l'un en fonction de l'autre, les paramètres critiques délimitent dans la figure 12 le domaine dans lequel les paramètres de Margules permettent une démixtion et celui dans lequel ils ne le permettent pas[22].

La troisième condition est vraie quelle que soit   pour le modèle de Margules. Selon ce modèle, il est donc possible de trouver des conditions critiques de démixtion pour toute composition de la phase liquide. Cette troisième contrainte réduit le domaine des compositions possibles d'apparition de la démixtion pour d'autres modèles d'enthalpie libre d'excès molaire. Pour certains modèles elle peut même ne jamais être vérifiée, ce qui rend ces modèles inaptes à représenter des démixtions[10].

Avec le modèle à un paramètre,  , la deuxième condition implique que  , soit   = 0,5. La première condition donne   = 2. Ce modèle ne génère qu'un seul point critique[26].

Équilibre de deux phases démixées

modifier
 
Figure 13 - Exemple de démixtion. Entre les points A et B, le mélange se sépare en deux phases. Avec   = 1 et   = 3, on a   = 0,06 et   = 0,66.

La figure 13 ci-contre montre un exemple de démixtion de phases. L'enthalpie libre de mélange molaire   calculée avec le modèle de Margules (courbe bleue), à pression et température constantes, est concave sur une plage de composition située entre deux plages convexes. La fonction   réelle doit rester dérivable et convexe sur l'ensemble des compositions. Pour cela, entre les points A et B elle ne suit pas la courbe bleue, mais le segment de droite violet. Aux points A et B le segment violet est tangent à la courbe bleue, les dérivées de l'enthalpie libre de mélange molaire doivent être égales à la pente du segment, d'où les deux équations permettant de déterminer   et  [11] :

Équilibre de deux phases démixées
 

soit :

 

Le modèle de Margules donne :

 

En amont de A il n'existe qu'une seule phase  , dont la composition peut varier de 0 à  . De même, en aval de B il n'existe qu'une seule phase  , dont la composition peut varier de   à 1. Pour   et  , l'enthalpie libre de mélange molaire vaut :

 

Entre A et B, au point P quelconque de composition  , les deux phases  , de composition  , et  , de composition  , sont en équilibre. Avec une quantité   de phase   et une quantité   de phase  , la règle des moments donne la fraction   de phase   :

 

Pour  , l'enthalpie libre de mélange molaire vaut :

 

Note - Les deux points A et B peuvent également être déterminés par les égalités[11],[27] :

Équilibre de deux phases démixées
 
 
avec   et   les coefficients d'activité des deux corps au point A, et   et   ceux au point B.

Équilibres liquide-liquide-vapeur, hétéroazéotropes

modifier

Puisque le modèle de Margules permet de représenter des démixtions liquide-liquide, il permet la représentation d'équilibres liquide-liquide-vapeur[11]. La figure 14 montre les courbes de bulle et de rosée d'un mélange binaire telles qu'obtenues avec le modèle de Margules lorsque le modèle permet de déterminer une démixtion ; les paramètres   et  , et les points A et B sont les mêmes que ceux de la figure 13. Cette figure brute n'est pas réaliste dans sa partie supérieure et doit être modifiée[28].

Lorsque deux phases liquides sont en équilibre avec une troisième phase gazeuse, la règle des phases indique que, pour un mélange binaire, il n'y a qu'un seul degré de liberté. À température donnée, la pression et la composition d'équilibre ne peuvent donc être choisies, il s'agit d'un hétéroazéotrope[29]. Si la phase liquide   a une composition   et la phase liquide   une composition  , la pression   et la composition   de la vapeur au point d'hétéroazéotrope C sont déterminées selon[28] :

 
 

Pour des pressions supérieures à la pression   ainsi déterminée, le mélange présente, selon la composition, un liquide   de composition variable, un équilibre d'un liquide   de composition   et d'un liquide   de composition  , ou un liquide   de composition variable. Pour des pressions inférieures à  , le mélange présente, selon la composition, une phase liquide   ou  , un équilibre liquide-vapeur ou une phase gazeuse. Pour des pressions encore plus basses, le mélange ne présente qu'une unique phase gazeuse quelle que soit la composition. La figure 15 montre le diagramme de phases corrigé ; seules les courbes bleue et orange sont calculées avec le modèle de Margules, elles sont tronquées pour les pressions supérieures à  . Les deux segments verticaux noirs tracés à partir des points A et B, qui délimitent les domaines d'existence des phases liquides   et   seules, et celui de leur coexistence, ne dépendent pas de la pression car le modèle de Margules ne dépend pas de la pression[28].

Il existe des systèmes (comme le système eau-butanone[30]) présentant, à température donnée, une démixtion ou un azéotrope en fonction de la composition et de la pression. La figure 16 montre un tel comportement calculé avec le modèle de Margules.

Liste de paramètres

modifier

Le tableau suivant regroupe quelques coefficients de Margules trouvés dans la littérature scientifique et technique[31],[32],[33].

Quelques valeurs pour le modèle de Margules.
corps 1 corps 2    
acétone chloroforme -0,8404 -0,5610
acétone méthanol 0,6184 0,5788
acétone eau 2,0400 1,5461
tétrachlorure de carbone benzène 0,0948 0,0922
chloroforme méthanol 0,8320 1,7365
éthanol benzène 1,8362 1,4717

Notes et références

modifier
  1. a et b Margules 1895, p. 1243–1278.
  2. a b et c (en) N.A. Gokcen, « Gibbs-Duhem-Margules Laws », Journal of Phase Equilibria, vol. 17, no 1,‎ , p. 50–51 (DOI 10.1007/BF02648369).
  3. a et b Margules 1895, p. 1265–1267.
  4. (en) Gilbert Newton Lewis et Merle Randall, Thermodynamics and the free energy of chemical substances, McGraw-Hill Book Company Inc., .
  5. a b c d e et f (en) Ronald W. Rousseau, Handbook of Separation Process Technology, John Wiley & Sons, , 1024 p. (ISBN 9780471895589, lire en ligne), p. 24-30.
  6. a b c d e f g h et i (en) J. P. O'Connell et J. M. Haile, Thermodynamics : Fundamentals for Applications, Cambridge University Press, , 1re éd. (ISBN 9781139443173, lire en ligne), p. 215-216.
  7. a b c d e f g h i j k et l Mukhopadhyay et al. 1993.
  8. Jean-Noël Jaubert et Romain Privat, Modèles thermodynamiques pour le génie des procédés, ISTE Group, coll. « Génie des procédés », , 196 p. (ISBN 9781784057503, lire en ligne), p. 115.
  9. (en) Pradeep Ahuja, Chemical Engineering Thermodynamics, PHI Learning Private Limited, , 720 p. (ISBN 9788120336377, lire en ligne), p. 454-458.
  10. a b c d e f g h i j et k Wisniak 1983.
  11. a b c d e f g et h Bouillot 2022-2023.
  12. O'Connell, p. 207.
  13. Stanley M. Walas, Phase Equilibria in Chemical Engineering, Butterworth-Heinemann, , 688 p. (ISBN 9781483145082, lire en ligne), p. 184-189.
  14. Jean-Pierre Corriou, Thermodynamique chimique : Équilibres thermodynamiques, vol. J 1 028, Techniques de l'ingénieur, (lire en ligne).
  15. Soustelle, p. 143-144.
  16. (en) Hasan Orbey et Stanley I. Sandler, Modeling Vapor-Liquid Equilibria : Cubic Equations of State and Their Mixing Rules, Cambridge University Press, coll. « Cambridge Series in Chemical Engineering », , 1re éd., 207 p. (ISBN 9780521620277, lire en ligne), p. 11-17.
  17. (en) Emmerich Wilhelm, « The Art and Science of Solubility Measurements : What Do We Learn? », Netsu Sokutei, vol. 39, no 2,‎ , p. 61-86 (lire en ligne [PDF]).
  18. (en) Ismail Tosun, The Thermodynamics of Phase and Reaction Equilibria, Newnes, , 744 p. (ISBN 978-0-444-59502-7, lire en ligne), p. 465.
  19. (en) H. C. Van Ness et M. M. Abbott, « Vapor‐liquid equilibrium. : Part VI. Standard state fugacities for supercritical components. », AIChE J., vol. 25, no 4,‎ , p. 645-653 (lire en ligne).
  20. Soustelle, p. 140-141.
  21. a b et c Sabine Rode, Séparations thermiques en génie des procédés : Distillation, air humide, séchage, Éditions Ellipses, , 480 p. (ISBN 9782340059221, lire en ligne), p. 37.
  22. a b c d e f g h i et j Komninos et al. 2019.
  23. (en) Ulrich K. Deiters et Thomas Kraska, High-Pressure Fluid Phase Equilibria : Phenomenology and Computation, Amsterdam/Boston, Elsevier, coll. « Supercritical Fluid Science and Technology », , 342 p. (ISBN 978-0-444-56347-7, ISSN 2212-0505, lire en ligne), p. 31.
  24. « zéotrope », dictionnaire Larousse.
  25. Soustelle, p. 146-147.
  26. a b c d et e Soustelle, p. 93-96;147-148.
  27. Soustelle, p. 88-91.
  28. a b et c Hemptinne et al. 2012.
  29. Soustelle, p. 139-140.
  30. (en) Alexandre C. Dimian, Costin Sorin Bildea et Anton A. Kiss, Integrated Design and Simulation of Chemical Processes, Elsevier, , 886 p. (ISBN 9780444627087, lire en ligne), p. 245-247.
  31. (en) J. Gmehling, U. Onken, W. Arlt, P. Grenzheuser, U. Weidlich, B. Kolbe et J. Rarey, Chemistry Data Series, vol. I : Vapor-Liquid Equilibrium Data Collection, Dechema, 1991–2014 (lire en ligne).
  32. (en) Robert H. Perry et Don W. Green, Perry's Chemical Engineers' Handbook, New York, McGraw-Hill, , 7e éd., 13:20 (ISBN 0-07-115982-7).
  33. (en) Amiya K. Jana, Chemical process modelling and computer simulation, PHI Learning Private Limited, , 2e éd., 376 p. (ISBN 9788120344778, lire en ligne), p. 150-156.
    Cette source donne les paramètres pour de nombreux couples de produits. Les coefficients d'activité y sont exprimés avec le logarithme décimal,  . Les paramètres doivent être multipliés par 2,303 pour trouver les valeurs des coefficients exprimés avec le logarithme népérien  .

Artikel

modifier
  • (de) Max Margules, « Über die Zusammensetzung der gesättigten Dämpfe von Misschungen », Sitzungsberichte der Kaiserliche Akadamie der Wissenschaften Wien Mathematisch-Naturwissenschaftliche Klasse II, vol. 104,‎ , p. 1243–1278 (lire en ligne).
  • (en) N.P. Komninos et E.D. Rogdakis, « Geometrical investigation and classification of three-suffix margules binary mixtures including single and double azeotropy », Fluid Phase Equilibria, vol. 494,‎ , p. 212-227 (DOI 10.1016/j.fluid.2019.04.017, lire en ligne).
  • (en) Biswajit Mukhopadhyay, Sabyasachi Basu et Michael J. Holdaway, « A discussion of Margules-type formulations for multicomponent solutions with a generalized approach », Geochimica et Cosmochimica Acta, vol. 57,‎ , p. 227-283 (DOI 10.1016/0016-7037(93)90430-5, lire en ligne).
    Dans cet article, la convention prise est  .
  • (en) Jaime Wisniak, « Liquid-liquid phase splitting - I : analytical models for critical mixing and azeotropy », Chemical Engineering Science, vol. 38, no 6,‎ , p. 969–978 (DOI 10.1016/0009-2509(83)80017-7, lire en ligne).

Ouvrages

modifier
  • (en) Jean-Charles de Hemptinne et Jean-Marie Ledanois, Select Thermodynamic Models for Process Simulation : A Practical Guide Using a Three Steps Methodology, Éditions TECHNIP, coll. « IFP Énergies Nouvelles Publications - Institut français du pétrole publications - Publications (IFP Énergies nouvelles) », , 380 p. (lire en ligne), p. 160-170.
    Exercice p. 169-170 développé sur le site (en) Jean-Charles de Hemptinne et Jean-Marie Ledanois, IFP Énergies Nouvelles, « Example 3-13: Draw the isothermal phase diagram of the binary mixture of water and butanol at 373.15 K » (consulté le ).
  • Michel Soustelle, Transformations entre phases, vol. 5, ISTE Group, coll. « Génie des procédés / Thermodynamique chimique approfondie », , 240 p. (ISBN 9781784051235, lire en ligne).
    Dans cet ouvrage, p. 143-144, une solution strictement régulière est définie par les coefficients d'activité   et  .

Liens externes

modifier

Articles connexes

modifier