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Préraphaélisme

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Proserpine, Dante Gabriel Rossetti 1874. Huile sur toile, 125 x 61 cm

Le préraphaélisme est un mouvement artistique né au Royaume-Uni en 1848. Ce mouvement tient la peinture des maîtres italiens du XVe siècle, prédécesseurs de Raphaël, comme le modèle à imiter.

Les débuts de la confrérie

Illustration par Holman Hunt du poème de Thomas Woolner My Beautiful Lady, publié dans le périodique The Germ en 1850.

L'histoire des préraphaélites débute avec la rencontre entre William Holman Hunt et John Everett Millais à la Royal Academy. Considérant que l'art anglais était sclérosé par le conformisme académique, ils souhaitaient retrouver les tonalités claires, vives et chantantes des grands maîtres d'autrefois[1].

Dante Gabriel Rossetti rencontra Millais et Hunt à la Royal Academy où, las des banalités enseignées, ils passaient leurs soirées à contempler un recueil de gravures des fresques du Campo Santo de Pise (réalisées par des artistes tels qu'Orcana ou Benozzo Gozzoli). En 1847, Hunt, Rossetti et Millais débattirent dans l'atelier de ce dernier, de l'une des œuvres les plus représentatives du talent de l'artiste Raphaël, La Transfiguration (Vatican, Rome). « Nous la condamnions pour son dédain grandiose de la simplicité et de la vérité, pour les poses pompeuses des Apôtres et les attitudes du Sauveur, contraires à une spiritualité vraie[2] ». Ce tableau avait, à leurs yeux, marqué un pas décisif vers la décadence de l'art à l'époque de la Renaissance italienne.

Millais, Hunt et Rossetti fondèrent officiellement la confrérie en 1848, avant d’être rejoints par James Collinson, le sculpteur Thomas Woolner et les critiques d'art William Michael Rossetti et Frederic George Stephens, auxquels se joindront par la suite Walter Deverell, Arthur Hughes et Charles Allston Collins.

Intentions

Les préraphaélites avaient pour dessein, entre autres, de rendre à l’art un but fonctionnel et édifiant : leurs œuvres avaient pour fonction d’être morales. Mais cela n’excluait pas leur désir d’esthétisme. Le but de ces artistes était de s’adresser à toutes les facultés de l’Homme : son esprit, son intelligence, sa mémoire, sa conscience, son cœur… et non pas seulement à ce que l’œil voit.

Les préraphaélites aspiraient à agir sur les mœurs d’une société qui, à leurs yeux, avait perdu tout sens moral depuis la révolution industrielle. Cependant, « il ne suffit pas que l’art soit suggestif, soit didactique, soit moral, soit populaire ; il faut encore qu’il soit national »[3].

Principes et caractéristiques

La franchise et l’application étaient les mots d’ordre de cette nouvelle « école » : on n’imite plus les grands Maîtres de la Renaissance. En opposition à l'académisme victorien, ils voulaient retrouver la pureté artistique des primitifs italiens, prédécesseurs de Raphaël, notamment en imitant leur style. Ils privilégiaient le réalisme, le sens du détail et les couleurs vives.

Même si on ne peut pas réellement parler d’« école » par le manque de style homogène entre les peintres, les préraphaélites avaient les mêmes objectifs. En 1850, ils publièrent une revue périodique, The Germ (seuls quatre numéros virent le jour), dans laquelle ils exposaient la théorie de leur mouvement. Dès sa sortie, la revue, éreintée par la critique, fit scandale. Dans le premier numéro, William Michael Rossetti fit une déclaration d’intention du préraphaélisme :

  • pour lui, il fallait avoir des idées originales à exprimer, étudier attentivement la nature pour savoir l’exprimer, aimer ce qui est sérieux, direct et sincère dans l’art du passé et au contraire rejeter ce qui est conventionnel, auto-complaisant et appris dans la routine, et le plus important, produire des peintures et sculptures « absolument belles »[4] ;
  • chaque figure devait être reproduite selon un modèle et d’après un seul modèle pour éviter toute idéalisation (Feuilles d'automne de Millais), quant au dessin, il devait être aussi original et individuel que possible ;
  • le dessin était minutieux, privilégiant les détails ; les couleurs vives et tonales étaient souvent simples et franches, la réalité des personnages était préconisée dans une exécution lisse. Ils limitaient les effets de profondeur et de volumes avec peu de jeux d’ombres et de lumière ;
  • leurs sujets de prédilection étaient les thèmes bibliques, le Moyen Âge, la littérature et la poésie (Shakespeare, Keats, Browning...).

Paradoxe des doctrines

Le préraphaélisme était contradictoire. Il méprisait la peinture inspirée de Raphaël, et pourtant Hunt admira le maître dans sa jeunesse, comme on peut le lire ici : « Ni alors, ni depuis lors, nous n’avons affirmé qu’il n’y eût pas un art sain et excellent depuis Raphaël, mais s’il nous semblait que l’art d’après lui avait souvent été touché du chancre de la corruption et que c’était seulement dans les œuvres antérieures que nous pouvions trouver avec certitude la santé parfaite, ce fut dans un léger esprit de paradoxe que nous convînmes que Raphaël, le prince des peintres, était l’inspirateur de l’art actuel, car nous voyions très bien que la pratique des peintres contemporains était très éloignée de celle du maître dont ils se réclamaient »[5].

Les préraphaélites prônaient le parti d’imiter le style dur et rigide des primitifs (italiens et flamands), mais Rossetti, par contre, figurait d'amples poitrines, de rondes épaules et des bouches sensuelles de femmes. De plus, les préceptes préraphaélites exigeaient un réalisme intransigeant, alors qu’ils dépeignaient souvent un univers imaginaire (ex : Dante’s vision of Rachel and Leah de Dante Gabriel Rossetti). Un modèle unique était préconisé pour chaque personnage, mais Dante Gabriel Rossetti ne s’interdisait pas la fusion de plusieurs modèles, pratiquant ainsi une forme d’idéalisation contraire à la notion de naturalisme.

Image des femmes

Dans l'art préraphaélite, les femmes sont vues à la fois comme des anges salvateurs, telle la Béatrice de Dante, ou comme des beautés dangereuses. Les femmes représentées sont des symboles : personnages bibliques, mythologiques… plutôt que des personnes[6].

Les femmes qu'ils ont représentées, Anne Ryan, Ellen Frazer, Elizabeth Siddal, Annie Miller, Alexa Wilding ou Jane Morris, ne sont pas toujours que modèles, mais peuvent être aussi elles-mêmes des artistes, comme Elizabeth Sidall, Evelyn De Morgan, Marie Spartali Stillman, Emily Hunt, Rebecca Solomon, Eleanor Fortescue-Brickdale ou Maria Zambaco[6].

Les premières expositions

Christ In the House of His Parents, par John Everett Millais, 1850.

Le sigle PRB (Pre-Raphaelite Brotherhood), par lequel ils signaient leurs tableaux durant leur période militante, fut employé pour la première fois sur le tableau de Rossetti, The Girlhood of Mary Virgin. Ce tableau devait être exposé à la Galerie chinoise de Hyde Park Corner où Ford Madox Brown, maître de Rossetti, avait déjà exposé. Ces initiales provoquèrent la colère d'un Royaume-Uni bien-pensant qui imaginait, derrière ces trois lettres, un sens caché, blasphématoire ou mystique.

À l'exposition de 1849 à la Royal Academy, les œuvres préraphaélites furent relativement bien accueillies. Cependant, le sigle PRB commença à intriguer la presse qui accusa les artistes de conspirer contre l'Académie et les qualifia de « membres de secte secrète pro-catholique ». À l'exposition de 1850, Millais exposa Christ in the House of his Parents, Hunt A converted British family sheltering a Christian Missionary et Rossetti présenta Ecce Ancila Domini. À cette occasion, Charles Dickens critiqua directement Millais, ouvrant les hostilités contre la confrérie.

Lors de l'exposition de 1851, les préraphaélites étaient de plus en plus critiqués : pour leur perspective, leur minutie, le peu de jeux d'ombres et de lumières. Millais présentait Mariana, Hunt Valentine rescuing Sylvia from Proteus et Rossetti Spectator. John Ruskin prit la défense de la jeune confrérie par deux lettres restées célèbres qu'il avait envoyées au magazine Times et qui permirent de réhabiliter la popularité des artistes. Au Salon de 1852, The Huguenot et Ophelia de Millais reçurent un succès important et Hunt triomphait avec The Light of the World.

Les préraphaélites vécurent l'apogée de leur triomphe lors de l'Exposition universelle de 1855 qui eut lieu à Paris.

1857 sonna le temps de la « victoire » mais également celui de la dislocation de la confrérie. Ils arrêtèrent de signer PRB ; les peintres du début prirent des chemins différents : Woolner partit chercher fortune en Australie, Hunt voyagea en Palestine, Collinson se réfugia dans un couvent et Millais fut élu membre associé de la Royal Academy of Arts, tandis que Rossetti continua dans la veine archaïsante des premiers tableaux préraphaélites.

Postérité

Ophélie, par John Everett Millais, 1851-52.

Après 1855, le « premier groupe » s'est désarticulé. Hunt tenta de refonder la confrérie qui vit l’arrivée notamment d'Edward Burne-Jones et de William Morris. Mais ce qu’on nomme communément la « seconde génération » ne respectait plus aussi scrupuleusement le précepte de représentation fidèle de la nature

Beaucoup d'entre eux furent photographiés par leur contemporaine Julia Margaret Cameron, pionnière de la photographie, qui s'inspira de leur mouvement dans ses propres travaux.

Ce mouvement, qui fut pourtant de courte durée, eut une influence importante sur les mouvements artistiques du XIXe siècle, particulièrement l'art nouveau et le symbolisme, grâce à des artistes comme William Morris et Aubrey Beardsley.

En Italie, les spécialistes Gian Carlo Menis et Licio Damiani rattachent l'œuvre singulière et expressive de Tita Gori (1870-1941) aux divers courants nés du préraphaélisme de par sa charge religieuse, spirituelle, symbolique et poétique[7].

Dans la littérature

Dans son recueil de nouvelles Vieux New York, l'écrivaine américaine Edith Wharton évoque l'existence de ce groupe, sous forme de clin d'œil. Dans la nouvelle Aube mensongère, qui se déroule dans les années 1840, elle met en scène un jeune homme, parti en voyage en Europe, à qui son père confie la mission d'acheter quelques toiles de maîtres pour créer une galerie familiale. Le père, qui n'y connaît rien, se réfère à l'opinion des critiques contemporains et rêve d'acquérir un Raphaël. Mais le jeune homme se fait conseiller par de jeunes artistes rencontrés en Angleterre et en Italie, qui ne sont autres que Ruskin, Rossetti, Morris, Hunt et Brown. Le père, qui tient à posséder des toiles pour conforter sa position sociale aux yeux de ses invités, est furieux de ce choix car, à ses yeux, il est inutile de posséder des toiles dont personne ne connaît les auteurs. À la fin de la nouvelle, on apprend qu'il s'agissait d'une des plus belles collections de primitifs italiens du monde, retrouvée dans le grenier d'une descendante de la famille, ignorante de sa valeur.

Dans le roman La fabrique de poupées (2019), Elizabeth Macneal (en) met en scène un peintre préraphaélite fictif (Louis Frost) et son modèle Iris, s'inspirant de Gabriel Rosetti et Elizabeth Siddal[8].

Listes d'artistes

La confrérie préraphaélite

Medea d’Evelyn De Morgan, 1889, dans l'esprit du Quattrocento.

Artistes proches

Artistes associés

Galerie

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Notes et références

  1. Robert de La Sizeranne, Le Préraphaélisme, éditions Parkstone International, New York, 2008.
  2. William Holman Hunt, Pre-Raphaelitism and Pre-Raphaelism Brotherhood, éditions The Macmillan Company, Londres/New York, 1905.
  3. William Morris, Hopes and Fears for Arts cité dans Robert de La Sizeranne, Le Préraphaélisme, éditions Parkstone International, New York, 2008.
  4. Laurence Des Cars, Les Préraphaélites. Un modernisme à l'anglaise, éditions Gallimard/Réunion des Musées Nationaux, Paris, coll. « Découvertes Gallimard/Arts » (no 368), 1999.
  5. William Holman Hunt cité dans Robert de La Sizeranne, Le Préraphaélisme, éditions Parkstone International, New York, 2008.
  6. a et b Simona Bartolena (trad. de l'italien), Femmes artistes : De la Renaissance au XXIe siècle, Paris, Gallimard, , 303 p. (ISBN 2-07-011760-X)
  7. Licio Damiani, Tita Gori, preraffaellita friulano, Atti dell'Accademia di Scienze, Lettere e Arti, Udine, 1982, vol. LXXV (pages 149-158)
  8. (en) « 10 weird and wonderful facts about the Pre-Raphaelite Brotherhood », sur www.panmacmillan.com (consulté le )

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • Laurence Brogniez, Préraphaélisme et symbolisme: peinture littéraire et image poétique, Honoré Champion, Paris, 2003, 403 p.
  • Danielle Bruckmuller-Genlot, Les Préraphaélites 1848-1884. De la révolte à la gloire nationale, éditions Armand Colin, Paris, 1994, 455 p.
  • Laurence Des Cars, Les Préraphaélites. Un modernisme à l'anglaise, éditions Gallimard/Réunion des Musées Nationaux, Paris, coll. « Découvertes Gallimard/Arts » (no 368), 1999, 127 p.
  • Philippe Delerm, Autumn, Éditions du Rocher, prix Alain-Fournier (ISBN 978-2-268-00880-6), 1988
  • Olivier-Georges Destrée, Laurence Brogniez, Les Préraphaélites : Notes sur l'art décoratif et la peinture en Angleterre, Les Eperonniers, Loverval (Belgique), 2005, 124 p.
  • William Holman Hunt, Pre-Raphaelitism and Pre-Raphaelism Brotherhood, éditions The Macmillan Company, Londres/New York, 1905.
  • Dominique Jarrassé, Les Préraphaélites, Herscher, Paris, 1995, 62 p.
  • Robert de La Sizeranne, Le Préraphaélisme, éditions Parkstone International, New York, 2008, 199 p.
  • Christopher Wood, Paul Delifer, Les Préraphaélites, Bookking International, Paris, 1994, 160 p.
  • Brigitte Ducousso-Mao, L'Art nouveau : Les Préraphaélites, Canal Académie, 2006 (podcast de l'Académie des Beaux-Arts)

Liens externes

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