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Bombardement de Bouaké

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Bombardement de Bouaké

Informations générales
Date
Lieu Bouaké (Drapeau de la Côte d'Ivoire Côte d'Ivoire)
Belligérants
Drapeau de la Côte d'Ivoire Côte d'Ivoire
Drapeau de la Biélorussie Pilotes de Biélorussie
Drapeau de la France France
Forces en présence
4 pilotes, 8 collaborateurs, 2 avions Su-25 inconnues
Pertes
aucune 9 morts[1]
38 blessés[1]

Civils :
Drapeau des États-Unis 1 mort[1]

Première guerre civile ivoirienne

Coordonnées 7° 41′ 00″ nord, 5° 01′ 59″ ouest
Géolocalisation sur la carte : Côte d'Ivoire
(Voir situation sur carte : Côte d'Ivoire)
Bombardement de Bouaké
Géolocalisation sur la carte : Afrique
(Voir situation sur carte : Afrique)
Bombardement de Bouaké
Géolocalisation sur la carte : Monde
(Voir situation sur carte : Monde)
Bombardement de Bouaké

Le bombardement de Bouaké est un affrontement armé au cours duquel les forces aériennes ivoiriennes bombardent des forces françaises de l’opération Licorne, occasionnant neuf tués et plusieurs dizaines de blessés.

Le à 13 h 15[2], deux Soukhoï Su-25[3] de l'armée de l'air ivoirienne pilotés par des pilotes de Biélorussie, assistés de copilotes ivoiriens[3], effectuent un bombardement sur la base française de Bouaké (Gbêkê), en Côte d'Ivoire, faisant neuf morts et 38 blessés parmi les soldats français et un civil américain membre d'une ONG. Cette attaque est un épisode-clé de la crise politico-militaire en Côte d'Ivoire et comporte encore de nombreuses zones d'ombre.

Contexte

Depuis l'intervention française à la suite de l'éclatement de la guerre civile, la Côte d’Ivoire est coupée en deux : le Sud, contrôlé par le gouvernement ivoirien, et le Nord, aux mains des forces rebelles. Les forces françaises, dans le cadre de l’opération Licorne, sont déployées entre les deux belligérants avec les casques bleus de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) pour établir une zone de confiance.

Toutefois, le 4 novembre 2004, les forces gouvernementales lancent une offensive contre les rebelles, l'opération Dignité. Déployée en tant que force d’interposition et chargée par l’ONU de faire respecter le cessez-le-feu, l’armée française reçoit l’ordre de Paris de ne pas réagir, même s'il semble que l'Élysée ait tenté avec vigueur de dissuader les forces gouvernementales[4]. Ainsi, le 4 novembre dans la matinée, les deux Su-25 frappent un bataillon des Forces nouvelles à Bouaké, puis le PC d'un officier de ces dernières. Dans l'après-midi, ils prennent pour cible la tour RTI et l'hôtel Tropico. Le lendemain, une colonne de Fanci menée par le capitaine Konan[4] progresse au sol vers Bouaké. Les Su-25 ciblent Séguéla et Baboulifla, localités en dehors de Bouaké. Le 6 novembre, les opérations aériennes se poursuivent à Bongora, Brobo, Séguéla et Bouaké.

Déroulement de l'attaque

Le 6 novembre 2004 en début d’après-midi, les deux Soukhoï Su-25 décollent de l’aéroport de Yamoussoukro, a priori pilotés par deux pilotes biélorusses, Boris Smahine et Youri Souchkine, secondés par deux copilotes ivoiriens, le lieutenant-colonel Ange Gnanduillet et le lieutenant Patrice Oueï.

Vers 13 h 20, ils effectuent un premier passage de reconnaissance au-dessus du lycée français Descartes de Bouaké où l'armée française a installé une base[2], avec plusieurs centaines de militaires et une soixantaine de blindés sous le commandement du colonel Patrick Destremau[4]. Puis l’un des deux avions plonge en piqué et lâche ses roquettes sur le foyer [5].

Victimes

Le bombardement, dans lequel sont lancées au moins 4 roquettes[6], fait dix morts et 38 blessés :

  • neuf militaires français appartenant aux 2e RIMa, RICM et 515e régiment du train[3] : Thierry Barathieu, Philippe Capdeville, Francis Delon, Benoît Marzais, Laurent Derambure, Patelias Falevalu, Franck Duval, Emmanuel Tilloy et David Decuypère[7]
  • un civil américain : Robert J. Carsky, un agronome américain de 49 ans travaillant pour Africa Rice[8]

Riposte française

Le président Jacques Chirac donne l'ordre de détruire les deux Su-25 qui ont atterri à Yamoussoukro pour être réarmés et ravitaillés en carburant. Vers 14h15, les Français entrent en action. Pendant que les techniciens les ravitaillent en carburant et empilent des bombes derrière les avions, à environ 650 mètres de distance, un détachement des troupes françaises opérant dans le cadre de l'opération Licorne s’apprête à agir, attendant le plus longtemps possible, jusqu'à ce qu'il y ait « un minimum de personnes autour des avions ».

Les militaires français tirent ensuite deux ATGM Milan visant le nez des Sukhoi afin d'éviter des « dommages collatéraux » inutiles (un coup direct contre le réservoir de carburant aurait provoqué une explosion et un incendie). Le Su-25UB "Red 21" est touché devant le cockpit et le "Red 22" endommagé. Un des techniciens ivoiriens est tué durant l’attaque.

Peu de temps après, un hélicoptère Mi-24 ivoirien attaque en riposte le complexe français de Yamoussoukro. Immédiatement endommagé par un tir au sol, l’hélicoptère est forcé de s’éloigner.

Le commandant de l'opération Licorne ordonne ensuite la destruction des deux Mi-24, d'un Mi-8 (TU-HVT) et d'un hélicoptère IAR.330 Puma basés près du palais présidentiel à Yamoussoukro. Les deux Mi-24 et le Puma sont complètement détruits, tandis que le Mi-8 est endommagé par un autre missile.

Conséquences immédiates

Une heure après l'attaque sur le camp des forces françaises, des combats éclatent entre les militaires français et ivoiriens pour le contrôle de l'aéroport d'Abidjan, essentiel pour la France dans la perspective d'établir un pont aérien.

Le 6 novembre 2004, Charles Blé Goudé lance un appel à la télévision ivoirienne peu de temps après le bombardement des positions françaises par les Forces armées nationales de Côte d'Ivoire (FANCI) et la riposte française qui a détruit tous leurs moyens militaires aériens. Les partisans du président ivoirien s’attaquent en représailles aux ressortissants français à Abidjan et plusieurs milliers de Français sont évacués en catastrophe du pays.

Conséquences à long terme

L'aviation ivoirienne est complètement détruite à la suite des bombardements de l'armée française, ce qui aura pour conséquence l'arrêt de l'offensive menée par l'armée Ivoirienne en vue de reconquérir le pays.

Commanditaires et mercenaires

De retour à Yamoussoukro, les deux pilotes biélorusses sont exfiltrés vers le palais de Yamoussoukro.

À Abidjan, le 9 novembre, des éléments de la Force Licorne prennent l’aéroport, saisissent un transporteur ukrainien Antonov An-12 et arrêtent 15 hommes, principalement ukrainiens, mais aussi russes et biélorusses, chargés de l'armement et de la maintenance des avions et hélicoptères russes du régime Gbagbo[7]. Ils retiennent durant quatre jours ces individus, qui sont interrogés par les Forces spéciales françaises à Abidjan[9], avant d'être relâchés et remis au consul de Russie, le 11 novembre, en présence d’un délégué du Comité international de la Croix-Rouge, sur ordre de Paris.

Cinq jours plus tard, huit Biélorusses sont interceptés par les autorités togolaises à la frontière avec le Ghana, embarqués dans un minibus[3]. Parmi eux, l’un des deux pilotes[9].

Le ministre togolais de l’Intérieur, François Boko décide de les placer en garde à vue et alerte le représentant de la DGSE et du SCTIP (Service de coopération technique internationale de police)[9] à l'ambassade de France à Lomé, à qui il transmet leur identité. Mais les autorités françaises semblent avoir décidé de ne rien faire[3] et François Boko se résout à leur expulsion[9] après les avoir détenus deux semaines[7]. Les individus relâchés disparaissent[3].

Les avions et équipages des Sukhoi avaient été acheminés depuis la Biélorussie via le Togo par un trafiquant d'armes bien connu, Robert Montoya, ancien gendarme de l’Élysée sous François Mitterrand[3]. Le pilote Yury Sushkin (ru:Сушкин, Юрий Леонидович) et le pilote Barys Smahin ne sont notamment pas réapparus depuis lors[4].

Certaines sources biélorusses déclarent qu'il s'agit de militaires actifs de l'armée biélorusse ou ont travaillé sous le patronage des autorités du Bélarus[10],[11],[12],[13].

Enquête

Une enquête judiciaire est ouverte en 2005 par le tribunal des armées de Paris[9] pour assassinats.

En 2016, la juge d’instruction française Sabine Kheris, chargée du dossier depuis 2012 (et la quatrième juge depuis le début de la procédure[14]), demande le renvoi devant la Cour de justice de la République des anciens ministres Dominique de Villepin, Michèle Alliot-Marie et Michel Barnier, suspectés d'avoir agi délibérément pour soustraire à la justice des mercenaires biélorusses suspectés d'être responsables de l'attaque contre les forces françaises[15].

Le 25 juin 2018, le parquet de Paris sollicite le renvoi devant la cour d’assises pour « assassinats, tentatives d’assassinats et destruction des biens d’autrui aggravée par deux circonstances (en réunion et au préjudice d’une personne dépositaire de l’autorité publique) » de trois pilotes accusés d’avoir participé au raid : un lieutenant-colonel et un lieutenant de l’armée ivoirienne, Patrice Ouei et Ange Magloire Gnanduillet Attualy, et un mercenaire biélorusse, Yury Sushkin[2]. Elle a en revanche rendu un non-lieu partiel concernant un autre mis en cause biélorusse, Barys Smahin, des doutes demeurant sur sa participation.

Procès

Le procès d'assises des trois pilotes identifiés, une première fois renvoyé en mars 2020 pour cause de crise sanitaire, consécutive à la pandémie de Covid-19, s’est ouvert le 29 mars 2021 devant la cour d’assises de Paris spécialisée en matière militaire et statuant en défaut criminel. Il est audiencé sur trois semaines.[6]. Le 15 avril 2021, les trois accusés sont condamnés par contumace à la réclusion à perpétuité[16],[17].

Thèses

Selon le général Henri Poncet, la frappe « était manifestement délibérée », mais il estime toutefois que le président Gbagbo était « trop fin politique pour donner un ordre aussi absurde ». Il propose l'hypothèse suivante : « Lorsqu’il a été clair que l’aventure militaire allait tourner à l’échec, les extrémistes [dans l’entourage de Gbagbo] se sont sentis en danger. Ils ont donc décidé sciemment de s’engager dans une stratégie de rupture [avec] la France [qui] avait le profil du bouc émissaire responsable de l’échec […]. Je persiste à penser que ces extrémistes, dans lesquels on peut inclure Mamadou Koulibaly, Charles Blé Goudé, Kadet Bertin Gahié et Philippe Mangou, se trouvaient à l’origine directe du bombardement du lycée Descartes. »[18]

Selon l’avocat des victimes françaises, Me Jean Balan, quelqu’un a fourni une fausse information à l’armée ivoirienne afin qu’elle bombarde la base française de Bouaké, le but étant de légitimer le renversement du président Gbagbo[8]. Cette thèse est celle de la « bavure manipulée » : l’armée ivoirienne aurait été informée par les services secrets français de la tenue dans le bâtiment bombardé à Bouaké d’une réunion de rebelles, alors que celui-ci était un local vidé pour l'occasion sous le prétexte d'inventaire. Il n’était pas prévu que des soldats iraient s’abriter derrière. L’objectif était de stopper l’offensive ivoirienne et de mettre le président ivoirien en grande difficulté.

Voir aussi

Notes et références

  1. a b et c Le Monde avec AFP, « Bombardement de Bouaké en 2004 : Alliot-Marie, Villepin et Barnier ne seront pas poursuivis », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  2. a b et c Pierre Lepidi et Charlotte Bozonnet, « Bombardement de Bouaké en 2004 : vers l’ouverture d’un procès en France », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  3. a b c d e f et g Thomas Hofnung, « Bouaké : pourquoi la juge veut renvoyer Alliot-Marie, Villepin et Barnier devant la Cour de justice », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  4. a b c et d Alexandre François, « Côte d'Ivoire: l'armée française face aux mystères de Bouaké », Slate Afrique,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  5. « Le général Poncet accuse l'ONU d'avoir donné son feu vert au pouvoir Ivoirien », France Inter,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  6. a et b Nicolas Jacquard, « Bouaké. Une affaire d'Etat ? », Le Parisien,‎
  7. a b et c Laurent Léger, Trafics d'armes : enquêtes sur les marchands de mort, Flammario, coll. « Enquête », , 341 p. (ISBN 978-2080688002, lire en ligne), p. 89-106.
  8. a et b Vincent Duhem, « Bombardement à Bouaké : Robert J. Carsky, l’Américain oublié », Jeune Afrique,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  9. a b c d et e « Côte d’Ivoire : mourir pour Bouaké », Jeune Afrique,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  10. Siarhei Bohdan.Belarusian Military Cooperation With Developing Nations: Dangerous Yet Legal // Belarus Digest, 5 December 2013
  11. . Le ministère de la défense biélorusse a quant à lui affirmé qu’il ne pouvait s’agir que de mercenaires. 15 лет назад Франция обвинила белорусов в бомбардировке в Африке. Рассказываем эту историю
  12. След белорусского оружия в Кот-д'Ивуар
  13. Wikileaks: Белорусские летчики бомбили французскую военную базу в Африке
  14. Cette procédure a été lancée par la juge d'instruction aux Armées Brigitte Raynaud,
  15. « Soupçons sur la Cour pénale internationale », Le Monde diplomatique,‎ (lire en ligne, consulté le )
  16. « Procès de Bouaké : les trois accusés condamnés à la prison à perpétuité pour assassinats », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )
  17. « Bombardement de Bouaké : les trois accusés condamnés à la perpétuité », sur France 24, (consulté le )
  18. Mathieu Olivier et Vincent Duhem, « Bombardement de Bouaké : de Paris à Abidjan, qui était aux commandes ? », Jeune Afrique,‎ (lire en ligne, consulté le ).