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Embuscade de Palestro

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L'embuscade de Palestro, ou embuscade de Djerrah, est un engagement militaire qui a lieu le 18 mai 1956, durant la guerre d'Algérie, à oued Djerrah dans la région de Palestro (aujourd'hui Lakhdaria) en Kabylie et qui met aux prises une section du 9e régiment d'infanterie colonial de l'armée française, commandée par le sous-lieutenant Hervé Artur, et une section de l'armée de libération nationale, commandée par le lieutenant Ali Khodja, à l'initiative de l'embuscade.

L'affrontement se solde par l'anéantissement de presque toute l'unité française, un seul soldat ayant la vie sauve ; les pertes de l'unité algérienne, inconnues, sont estimées à un mort et éventuellement un blessé, peut-être quelques morts.

Contexte historique

Depuis le 1er novembre 1954 et la Toussaint rouge, et depuis en particulier les massacres du Constantinois, l'Algérie bascule dans la guerre. La « rébellion » armée prenant de l'ampleur, le président du Conseil Guy Mollet décide — après sa visite à Alger le — l'envoi de rappelés et d'appelés du contingent dans les départements d'Algérie afin d'augmenter les effectifs militaires d'environ 180 000 à 200 000 soldats. Récemment élu pour garantir la « paix en Afrique du nord », il planifie néanmoins une politique répressive et refuse toute négociation au sujet de l'indépendance avant l'obtention d'un cessez-le-feu ; et pour la première fois un gouvernement socialiste, soutenu par les communistes, décide l’envoi du contingent[4]. En avril 1956, les premiers rappelés débarquent en Algérie, leur service militaire déjà effectué ils reviennent pour six mois ou plus selon leur demande[5].

Le FLN, pour sa part, organise en septembre 1955, très peu de temps après les événements de Constantine, l'une de ses premières opérations de propagande, Abane Ramdane, responsable de la zone d'Alger invitant dans le maquis de Palestro le journaliste Robert Barrat, à qui sont présentées les revendications du mouvement indépendantiste ; Barrat y rencontre également des djounoud, ou soldats de l'ALN[6].

Les protagonistes

L'embuscade met aux prises l'armée française à l'Armée de libération nationale algérienne avec, du côté français, une section du 2e bataillon du 9e régiment d'infanterie coloniale[7] commandée par le sous-lieutenant Hervé Artur et du côté algérien, une partie du commando Ali Khodja, soit plusieurs groupes[note 1] comptant au total une quarantaine de djounouds selon certaines sources[1].

Hervé Artur est né à Paris le 17 septembre 1926 ; après son service militaire en Algérie, il prépare une agrégation de philosophie qu'il abandonne pour un emploi dans une société de transports ; fin avril 1956, il est rappelé sur son insistance sous les drapeaux et il est affecté avec le grade de sous-lieutenant au 9e régiment d'infanterie coloniale stationné en Kabylie[8]. Cet officier qui croit en en l’œuvre de pacification de l’Armée française assure le commandement d'une section de vingt fantassins composée de deux sergents, de deux caporaux-chefs, de deux caporaux et de quatorze soldats[note 2], la plupart étant des ouvriers dans le civil[9]. Le 18 mai au matin, il part en mission de reconnaissance dans les villages proches de l’Oued Djerrah.

Ali Khodja est né à Alger le 12 janvier 1933, et en octobre 1955, ils sont trois à déserter de la caserne d'Hussein Dey, emportant avec eux plusieurs armes. Ayant rejoint le maquis de Palestro, dirigé par Amar Ouamrane, Khodja se voit confier le commandement d’une section de l’ALN, forte de cent-dix hommes[10], qui se distinguera rapidement par ses actions[11], devenant plus tard sous le nom de commando Ali Khodja l'une des légendes de l'ALN[12]. Dans le but de récupérer armes et vêtements, l’unité de Khodja, comme toutes les autres unités de l'ALN à cette époque, privilégie les embuscades, qui sont exécutées conformément à la devise « Frappe, récupère et décroche[13] ».

Chronologie

18 mai 1956 : l'engagement

L'embuscade à lieu le vendredi . Le combat de type guérilla dure moins de vingt minutes, il se solde par la victoire de l'ALN.

Seuls cinq membres de la 2e section survivent à l'embuscade. Il s'agit du sergent Alain Chorliet, du caporal-chef Louis Aurousseau, du marsouin Lucien Caron, les trois sont blessés, ainsi que de deux autres marsouins, Jean David-Nillet et Pierre Dumas. Grièvement blessé, Caron est laissé sur place avec les villageois kabyles du douar, les autres survivants sont emmenés par les moudjahidin. Les deux blessés sont confiés aux villageois du douar voisin de Bou Zegza, David-Nillet et Dumas sont gardés comme prisonniers par Khodja qui poursuit sa retraite dans les montagnes.

Les mutilations

Au moment de quitter les lieux de l'embuscade, le soldat Pierre Dumas emmené comme prisonnier, voit arriver des « civils menaçants » du hameau voisin : « J'ai vu une foule hurlante brandissant des couteaux, des haches et de grands fusils[14] ». La presse parlera les jours suivants de lèvres et nez coupés, de yeux crevés, de gorge tranchée, de ventres vidés de leurs entrailles et bourrés de cailloux, de testicules coupés ou de pieds zébrés de coups de couteau[15],[16],[17],[18],[19].

Les détails réels des mutilations ne sont cependant pas connus, mais ils n'ont pas l'ampleur évoquée  : si le lieutenant Artur a bien été égorgé, les morts marqués au couteau[Information douteuse] et certains ont eu les yeux crevés (sans qu'on puisse exclure que ce puisse être dû aux bêtes), mais les gendarmes n'ont cependant relevé ni émasculation, ni ventre ouvert[20].

23 mai 1956 : riposte de l'armée française

Le 19 mai, sans nouvelle de la 2e section, l'armée française envoie trois bataillons et quatre hélicoptères pour la retrouver. Le 23 mai, les parachutistes du 1er REP et du 20e BPC retrouvent 19 membres du commando Ali Khodja retranché dans une grotte avec les deux prisonniers, près de Tifrène. Un combat s'ensuit au cours duquel 16 moudjahidines sont tués et trois sont faits prisonniers ; Jean David-Nillet est tué accidentellement lors de l'assaut tandis que Pierre Dumas, blessé, est libéré.

Raphaelle Branche précise en outre que dans l'après-midi qui suit la découverte des cadavres français « quarante-quatre Algériens sont liquidés sommairement » alors que « la majorité, de l'aveu même des autorités militaires, sont des fuyards qui cherchent à échapper à l'encerclement organisé par les troupes françaises au nord de l'embuscade »[21] ; par ailleurs, le village de Djerrah est détruit en totalité.

Parfois, l'action de l'aspirant Henri Maillot, un militant du PCA, désertant quelques semaines auparavant avec un camion d'armes, a été mise en relation avec l'embuscade du 18 mai 1956. Cette hypothèse n'est pas retenue par Raphaëlle Branche qui souligne l'hostilité du FLN à l'égard de l'initiative de Maillot visant à constituer un maquis dans l'Ouarsenis.

Conséquences

Mémoires collectives des violences

Selon l'historien Benjamin Stora : « Palestro restera comme la plus célèbre embuscade de la guerre, le symbole de ce qui peut arriver de pire : l'attaque surprise, l'impossibilité de se défendre, la mutilation des cadavres. La hiérarchie militaire saura d'ailleurs utiliser ce traumatisme pour vaincre les réticences »[22].

En tant que fait de guerre, l'embuscade n'a rien de particulier, se situant, tant du point de vue de la mortalité militaire générale que de la mortalité particulière de l'officier commandant la section, dans les moyennes constatées pour l'année 1956[23]. L'événement prendra cependant, dans les jours qui suivent et pour très longtemps, une importance particulière[7], intégrant dans l'imaginaire français, aux côtés des massacres du Constantinois du 20 août 1955 et, un an plus tard, du massacre de Melouza, un triptyque censé symboliser la violence et la sauvagerie des indépendantistes[24].

Les discours officiels ou médiatiques associeront ainsi aux « fellagha » des images de « sauvagerie » et de « fanatisme », les preuves du « caractère primitif » de l'Algérien étant données par l'embuscade elle-même et les mutilations qui l'accompagnent[25]. Le mot « massacre » s'impose en lieu et place des mots « embuscade » ou « guet-apens » utilisés au départ[26]. Au final, ce qui n'est qu'un fait de guerre prend une toute autre signification : ce n'est plus une défaite de l'armée française, mais des violences ayant visé — par assimilation — des civils[27].

Violences et mémoires de l'insurrection de 1871

La création du village français de Palestro est décidée par Napoléon III en 1869 sur l'axe Alger-Constantine, au centre d'une plaine alluviale bordée de montagnes situées à 80 km au sud-est d'Alger. L'oued Isser débouche dans cette cuvette après un parcours de quatre kilomètres dans le défilé rocheux des gorges de Palestro. Il s'agit d'une région charnière entre la Kabylie et la plaine côtière de la Mitidja[28],[29],[30].

Moins de trois ans après sa création, pendant la révolte des Mokrani, le village est attaqué par 1 500 à 1 800 hommes armés[29] qui massacrent la moitié de la colonie européenne comptant une centaine d'habitants dont certains sont « littéralement rôtis » vivants[31]. Et déjà sont signalées des mutilations particulières comme l'émasculation ou la décapitation[32]. Même après l'indépendance, cette région perpétuera une certaine logique de violence et restera difficile à contrôler par les autorités algériennes lorsqu'en 1991 le Front islamique du salut (FIS) puis en 1992 le Groupe islamique armé (GIA) y installeront leurs bases arrière[32][Information douteuse].

Bibliographie

  • Raphaëlle Branche, L’embuscade de Palestro : Algérie 1956, Armand Colin, , 256 p. (ISBN 9782200353858, présentation en ligne)[33]
  • Raphaëlle Branche, « 18 mai 1956 : l'embuscade de Palestro/Djerrah », dans Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa Siari Tengour et Sylvie Thénault, Histoire de l'Algérie à la période coloniale : 1830-1962, Éditions La Découverte et Éditions Barzakh, (ISBN 9782707173263), p. 514-519.
  • Yves Chauveau-Veauvy, Génération AFN, Éditions Cheminements, 2009.
  • Ugo Iannucci, Soldat dans les gorges de Palestro. Journal de guerre, Aléas, 2002.

Filmographie

Documentaires

Notes et références

Notes

  1. Un groupe est composé de onze hommes, un sergent et deux caporaux (Branche 2010, p. 24).
  2. Bigot et Chorliet, sergents, Galleux et Aurousseau, caporaux-chefs, Poitreau et Hecquet, caporaux, Desruet, Dufour, Caron, Dobœuf, Gougeon, Carpentier, Serreau, François, Villemaux, Chicandre, Nicolas, Daigneaux, David-Nillet et Dumas, soldats (Branche 2010, p. 239-242).

Références

  1. a et b Un succès retentissant du commando Ali Khodja, Embuscade du 18 mai 1956 dans les gorges de Lakhdaria, site memoria.dz, consulté le 2 juin 2013.
  2. Branche 2010, p. 7.
  3. Branche 2010, p. 25.
  4. François Buton, « Quand les disponibles ne veulent pas l’être. Le « Mouvement des rappelés » pendant la guerre d’Algérie », dans André Loez et Nicolas Mariot, Obéir/désobéir : Les Mutineries de 1917 en perspective, La Découverte, , 448 p. (ISBN 9782707156198, lire en ligne), p. 2
  5. Le massacre de Palestro, site souvenir-francais-92, consulté le 5 juin 2013.
  6. Branche 2010, p. 16-17.
  7. a et b Site histoire-politique.fr
  8. Branche 2010, p. 44, 239.
  9. Branche 2010, p. 44.
  10. Branche 2010, p. 24.
  11. Branche 2010, p. 20-21.
  12. Benjamin Stora, Les mots de la guerre d'Algérie, Presses universitaires du Mirail, (ISBN 9782858167777, présentation en ligne), p. 38-39.
  13. Branche 2010, p. 23, 25.
  14. Yves Sudry, Guerre d’Algérie: les prisonniers des djounoud, L’Harmattan, coll. « Histoire et perspectives méditerranéennes », , 216 p. (ISBN 2747579506, présentation en ligne), p. 52.
  15. Jean-Pierre Guéno, Paroles de torturés, Jacob-Duvernet, 2011, p. 59.
  16. Isabelle Clarke, Daniel Costelle, La blessure - La tragédie des harkis, Acropole, 2010, non paginée (La rencontre avec la mort 1956).
  17. Henri Le Mire, Histoire militaire de la guerre d'Algérie, Albin Michel, 1982, p. 75.
  18. Nathalie Funès, Le camp de Lodi : Algérie, 1954-1962, Stock, non paginée.
  19. Michel Klen, L'Algérie française, un tragique malentendu, ou, Les périls de l'ambiguïté, France Europe éditions, 2005 p. 227.
  20. Branche 2012, p. 515.
  21. Branche 2010, p. 181.
  22. Benjamin Stora, Les mots de la guerre d'Algérie, Presses Universitaires du Mirail, 2005, p. 93
  23. Branche 2010, p. 53.
  24. Branche 2010, p. 82-83.
  25. Branche 2010, p. 78.
  26. Branche 2010, p. 78-79.
  27. Branche 2010, p. 79-80.
  28. Tarik Bellahsene, La colonisation en Algérie : Processus et procédures de création des centres de peuplement. Institutions, intervenants et outils., t. 1, Bibliothèque de l'Université Paris 8 (Saint-Denis, France), coll. « Fonds des thèses et mémoires, cote121310949 », , 619 p. (lire en ligne), p. 22,93
  29. a et b Abderachid Mefti, « Une région farouchement opposée au colonialisme depuis le XIXe siècle », sur memoria.dz, (consulté le )
  30. Lancelot Arzel, « Palestro ou la violence coloniale mise à nu », sur nonfiction.fr, (consulté le )
  31. Pierre Montagnon, Histoire de l'Algérie : Des origines à nos jours, Pygmalion, coll. « rouge et blanche », , 399 p. (ISBN 9782857045427), p. 195-196
  32. a et b Lancelot Arzel, « Palestro ou la violence coloniale mise à nu », sur nonfiction.fr, (consulté le )
  33. « Compte rendu de l’ouvrage », sur www.histoire-politique.fr
  34. « Palestro, Algérie : histoires d'une embuscade », sur Arte, .

Articles connexes

Liens externes