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Femmes de la caste marginalisée des Dalits, dans le village d’Ayela, près d’Agra, photographiées le 6 mai 2024. On estime que plus des deux tiers des 1,4 milliard d’Indiens se situent au bas de l’échelle d’une hiérarchie sociale millénaire qui divise les Hindous en fonction de leur fonction et de leur statut social. Money Sharma/AFP

Élections en Inde : la politique des marges marque un point

Les résultats des élections nationales indiennes, annoncés début juin, ont mis en doute l’acuité des prévisions qui annonçaient unanimement la National Democratic Alliance (NDA) – la coalition sortante menée par Narendra Modi et son Bharatya Janata Party (BJP) – largement en tête. En effet, elle n’a obtenu qu’une majorité fragile. La coalition d’opposition menée par Rahul Gandhi (Indian National Development Inclusive Alliance, INDIA), qui rassemble 37 partis, régionaux pour la plupart, sort quant à elle renforcée : dans un contexte de quasi-hégémonie du BJP (notamment sur le plan institutionnel et médiatique), sa performance passe pour une remarquable victoire politique.

Les sondages pré-électoraux estimaient que la NDA remporterait entre 306 et 411 sièges sur 543. Persuadé de son invincibilité, Modi avait même pris comme slogan de campagne « au dessus de 400 » (« 400 par », en hindi). Cet excès de confiance s’est pourtant retourné contre lui et son camp. L’opposition n’a pas manqué l’occasion de souligner les menaces qu’une telle ambition faisait planer sur les minorités religieuses, sur les protections constitutionnelles des Dalits (« intouchables »), ainsi que sur le caractère séculier du régime.

Atteindre une majorité des deux tiers (située à 362 sièges) aurait en effet permis au BJP d’entamer des réformes constitutionnelles décisives dans la perspective qui lui est prêtée de mise en place d’un État théocratique hindou. Mais avec un résultat de 293 sièges pour la NDA (60 de moins qu’en 2019), dont seulement 240 pour le BJP (63 de moins qu’en 2019), le troisième gouvernement Modi devra à présent ménager les réticences de ses partenaires d’alliance vis-à-vis de son idéologie d’extrême droite, l’Hindutva (littéralement, l’hindouïté).

Pourquoi les sondeurs se sont trompés

Ces élections ont ainsi fait surgir l’ampleur de la désaffection populaire envers le BJP. Le mécontentement porte, d’une part, sur des questions socio-économiques. Le chômage des jeunes a atteint un niveau record, de même que le niveau des inégalités, jugé pire qu’à l’époque coloniale. D’autre part, les inquiétudes portent sur l’avenir du sécularisme et de la Constitution. Ces oppositions s’étaient déjà exprimées massivement dans la rue lors du dernier mandat de Modi dans les mobilisations contre les réformes agricoles, précédées par d’autres manifestations très importantes contre l’introduction d’un biais anti-musulman dans l’accès à la citoyenneté, le Citizenship Amendment Act.

Le décalage observé entre les prévisions et les résultats électoraux montre bien que les études électorales ne permettent pas d’appréhender pleinement les transformations du rapport de la population à la politique.

Il est vrai que les sondages pré-électoraux sont confrontés à des difficultés particulières en Inde, où le système du « first past the post » (l’élection à un seul tour sans critère de majorité absolue), la forte imbrication et la superposition des clivages sociaux, ainsi que les dynamiques subtiles d’alliances locales souvent volatiles viennent ajouter plusieurs niveaux de complexité à un paysage politique changeant selon les régions et sujet à des logiques de fragmentation/recomposition.

Permettant mieux d’éclairer les possibles conséquences électorales du mécontentement, des approches plus qualitatives sont apparues sous la forme de reportages dans la presse indépendante et critique indienne (comme ici ou ), et même dans la presse internationale. Cela a consisté à prendre le temps d’aller à la rencontre des électeurs des couches populaires et de prendre la température politique du pays.

L’émergence de ces critiques émanant du peuple, en particulier dans les médias indépendants ayant conservé une forte capacité critique vis-à-vis du pouvoir, a ainsi permis de questionner les pronostics des sondeurs et de mettre en évidence un courant d’opinion hostile au BJP dans ces élections. Cela a d’ailleurs eu un rôle performatif en participant à booster le moral de l’opposition et à donner du crédit à un autre récit possible que celui de l’invincibilité de Modi entre les différentes phases électorales qui se sont déroulées en 7 étapes, entre le 19 avril et le 1er juin.

Sur un plan scientifique, la nécessité de comprendre ce courant contestataire et sa traduction dans les urnes souligne l’intérêt d’une approche anthropologique au long cours des pratiques politiques des milieux subalternes, conformément à ce qu’avait déjà préconisé la politiste Stéphanie Tawa-Lama il y a quinze ans.

Repenser les allégeances électorales de castes

Malgré la volonté affichée par certains spécialistes de pséphologie de tenir compte d’approches plus qualitatives (comme chez le très populaire Yogendra Yadav), la plupart des commentateurs politiques du pays (universitaires compris) tendent à réduire le vote des subalternes à une arithmétique de caste (ou jati, des groupes endogames régionaux) plus ou moins pondérée par d’autres facteurs comme les comportements électoraux précédents et l’existence ou non d’une « vague » d’opinion.

Il y a là une solution de facilité qui repose sur une approche des jati héritière de l’ethnographie coloniale et qui témoigne souvent d’une profonde méconnaissance des groupes ainsi nommés. Cette appréhension réifiante et statique du vote populaire est dès lors déconnectée de subjectivités complexes et mouvantes et des enjeux de la contestation. Elle n’est donc pas en mesure de rendre compte des processus de subjectivation qui peuvent être à l’œuvre (au sens rancièrien de la désidentification des catégories de la gouvernementalité), souvent de manière souterraine, et qui peuvent facilement déjouer les prédictions.

Contrairement à cette approche superficielle du vote selon l’appartenance de jati, il est nécessaire de tenir compte des transformations profondes de ces milieux subalternes dues à l’impact de l’économie politique. Le néolibéralisme qui a bouleversé la société indienne au cours des trois dernières décennies a ainsi eu des répercussions sur l’entreprenariat politique dans les petites bourgeoisies et sur le militantisme des franges diplômées de ces communautés de jati. Bien que créant parfois des opportunités, le nouveau type de développement économique produit en effet davantage de disparités de revenus et de modes de vie entre les ensembles de jati (comme les Brahmanes, les Dalits, les Other Backward Castes ou OBC, etc.) mais aussi à l’intérieur de chacun d’eux.

Le modèle d’économie néolibérale promu sous Modi maintient en outre un niveau persistant de pauvreté et accroît la précarité dans les catégories sociales les plus vulnérables. C’est notamment le cas des Dalits (1/6° de la population indienne), dont la mobilité sociale grâce aux quotas est impactée négativement par la baisse de l’emploi public disponible et accessible – ainsi que des artisans, commerçants et petits entrepreneurs musulmans, qui subissent une insécurité accrue et une ghettoïsation.

Pourtant, comme l’illustrent ces deux catégories dans l’État de la plaine gangétique d’Uttar Pradesh (UP) où elles représentent 40 % de la population à elles deux, ces vulnérabilités de nature différente peuvent parfois converger dans l’opposition plutôt que s’opposer et se concurrencer, comme le voudrait l’idéologie dominante. Or, avec ses 241 millions d’habitants et ses 80 circonscriptions, cet État provincial, fortement déterminant au niveau national, vient d’infliger une importante défaite au BJP. Cela justifie donc que l’on s’y attarde un peu.

L’Uttar Pradesh, un laboratoire politique des subalternes

Ce n’est pas la première fois que les subalternes de cette province agricole et pauvre déjouent les prévisions des spécialistes de pséphologie et créent l’événement. En décembre 1993, l’arrivée au gouvernement régional de Lucknow du Samajwadi Party (SP) et du Bahujan Samaj Party (BSP), une coalition des Dalits, des Musulmans et des OBC, constitue un bouleversement dans l’histoire de la démocratie indienne et un marqueur historique pour le mouvement Dalit.

À une époque où les sondages sont encore rares en Inde, ces résultats prennent les journalistes politiques et les chercheurs au dépourvu. Exactement un an après la destruction de la mosquée d’Ayodhya dans cet État par des nationalistes hindous, suivie de graves affrontements entre hindous et musulmans censés habituellement polariser l’électorat au bénéfice du BJP, ces commentateurs n’avaient anticipé qu’un match serré entre le BJP sortant et le Congrès. Cela faisait pourtant déjà plus de dix ans que le BSP (et d’autres organisations fondées préalablement par son fondateur Kanshi Ram) mobilisait les Dalits de manière relativement discrète et souterraine. Si quelques grands meetings et performances électorales avaient déjà attiré l’attention des médias, ces derniers avaient généralement préféré s’en tenir à une condamnation morale de ce mouvement en raison de son communautarisme. Celui-ci reposait en effet sur l’implication militante de nombreux fonctionnaires Dalits bénéficiaires des quotas, qui retournaient vers leurs communautés d’origine avec un message d’émancipation et de capture démocratique du pouvoir.

Conçu et dirigé par Kanshi Ram (1931-2006), un Dalit qui a renoncé à sa carrière d’ingénieur du gouvernement pour se consacrer à la mobilisation, ce mouvement d’affirmation politique des basses castes et des minorités possède une forte teneur idéologique en porte-à-faux avec le sécularisme officiel (dont il critique l’hypocrisie et l’aveuglement en matière de castes). Il remet en effet à l’ordre du jour la critique de l’hindouisme par B. R. Ambedkar (1891-1956), l’anti-brahmanisme de Jyotiba Phule (1827-1890), le concepteur de l’identité Bahujan, qui prônait l’unité des castes subalternes, ou la pensée de E. V. R Periyar (1879-1973), l’idéologue dravidien anti-brahmanique.

Alors que cette première victoire de décembre 1993 récolte les fruits d’une vaste opération de politisation par le bas initiée par Kanshi Ram, sous le leadership régional de Mayawati le BSP d’Uttar Pradesh se mue rapidement en un parti de pouvoir autocratique. Cela s’accompagne de compromis tactiques en s’alliant avec le BJP, ainsi que de renoncements idéologiques pour tenter dans dans un second temps de s’affranchir du BJP et obtenir le soutien direct des brahmanes, les plus hautes castes hindoues.

Récemment, le BSP a fini par être neutralisé par le gouvernement central du BJP. Le Central Bureau of Investigation menace en effet d’engager à tout moment un procès contre sa dirigeante Mayawati qui, au vu des charges de corruption massive déjà retenues contre elle par l’instruction, risque la prison. Depuis, pour éviter le déclenchement de ce procès retardé au bon vouloir du gouvernement central du BJP, Mayawati s’est abstenue de rejoindre les coalitions d’opposition et a censuré les leaders de son parti (comme en témoigne le limogeage de son propre neveu, Akash Anand), devenu trop critique du gouvernement BJP dans la campagne récente).

Mayawati tente ainsi d’empêcher le vote des Dalits, qu’elle contrôle encore en partie, de rejoindre l’opposition, au bénéfice du BJP qui parvient ainsi à neutraliser cet électorat traditionnellement peu favorable à son idéologie. Dans les années 2020, les Dalits d’UP se retrouvent donc privés de leadership effectif et même de représentation (aux élections régionales de 2022, le BSP n’obtient qu’un seul élu, contre 206 en 2007, son plus haut score).

Le retournement des Dalits contre le BJP

À la veille des élections de 2024, le vote des Dalits d’UP paraissait ainsi de plus en plus acquis au BJP, qui les flatte en tant qu’Hindous et leur donne accès à des distributions de biens de première nécessité en tant que pauvres.

Cependant, les résultats de 2024 invitent à prendre la pleine mesure d’une restructuration d’un courant d’opinion hostile au BJP dans ces milieux. Les sondages électoraux d’UP donnaient l’alliance NDA entre 67 et 75 sièges sur 80, confortant l’image de bastion du BJP de cet état. Or, elle n’en a remporté que 36, c’est-à-dire la moitié de ce qui avait été anticipé. Le modèle de 1993 d’une alliance anti-BJP des Dalits, des OBC et des Musulmans semble donc s’être répété, cette fois au bénéfice de l’alliance INDIA et de son principal représentant en UP, le SP qui a réactivé ce modèle sous le nom de « Pichle-Dalit-Alpsankhyak » (« OBC-Dalit-minorités »). L’impression de réitération de la performance historique de décembre 1993 est d’autant plus justifiée que pour la seconde fois, le BJP a échoué à tirer profit électoralement du symbole d’Ayodhya.

La victoire de l’opposition dans la circonscription de Faizabad est ainsi vécue comme une humiliation par le BJP. Mettant à profit une décision favorable de la Cour suprême au début de son second mandat (2019), Modi y avait débuté sa campagne avant l’heure par l’inauguration en janvier 2024 du nouveau temple d’Ayodhya à l’emplacement de la mosquée détruite par la foule en 1992.

Au terme d’un retournement spectaculaire, Faizabad est devenue emblématique du rejet populaire de l’Hindutva. Le candidat de haute caste (Thakur) du BJP, un militant de longue date du mouvement d’Ayodhya accusé d’avoir participé à la démolition (puis acquitté en 2020), avait en outre évoqué publiquement le projet d’amender la Constitution. L’Hindutva a ainsi été rejetée dans un de ses hauts lieux symboliques au nom de la défense du sécularisme et de la Constitution. Un rejet d’autant plus déstabilisant pour le BJP que c’est un candidat Dalit de l’opposition (Awadhesh Prasad, un vétéran de l’opposition à l’État d’urgence et membre fondateur du Samajwadi Party) qui l’a remportée, mettant à mal l’insistance idéologique de l’Hindutva sur une approche conciliatrice visant à l’absorption des Dalits.

Le cas Chandra Shekhar Azad

Si la dimension symbolique de la défaite de l’Hindutva à Faizabad a été amplement soulignée et commentée dans les médias indiens, la victoire d’un militant dalit dans une autre circonscription mérite également toute notre attention. Malgré son caractère isolé et singulier, celle-ci vient à la fois illustrer et appuyer une recomposition en cours du mouvement Ambedkariste, qui pourrait être porteuse de potentiels bouleversements politiques en Uttar Pradesh, voire plus largement.

Chandra Shekhar Azad, un Dalit de 36 ans diplômé en droit et fils d’instituteur, est à la tête de la Bhim Army, une organisation radicale qu’il a fondée en 2015 dans la petite ville de Saharanpur (UP) avec d’autres étudiants Dalits en réaction à l’arrogance de plus en plus menaçante des hautes castes sous Modi. Initialement confinée à l’ouest de l’UP, cette organisation qui mène une politique de la rue est aujourd’hui bien implantée dans plusieurs États indiens. Elle s’est rendue célèbre et a rapidement fait tâche d’huile dans la jeunesse Dalit via les réseaux sociaux grâce à plusieurs coups d’éclat dirigés contre des personnalités représentatives de la frange la plus extrémiste du BJP comme le chief minister d’UP Adityanath Yogi, et le ministre de l’Intérieur, Amit Shah, principal homme de confiance de Modi.

La Bhim Army est principalement composée de jeunes hommes revendiquant un éthos viril comme avec le port d’un type de moustache en guidon très typique traditionnellement associé aux Thakurs, la haute caste de propriétaires terriens d’Adityanath Yogi. On trouve dans cette organisation de nombreux « chômeurs diplômés », de jeunes ouvriers surqualifiés prêts à la confrontation pour défendre la dignité et la sécurité de leur communauté Dalit. Ils entendent ainsi contrer frontalement la réaction conservatrice des hautes castes permise par le gouvernement local d’Adityanath Yogi, conformémént à la théorie hégémonique du « double engine sarkar » (le gouvernement bi-moteur), qui entend redoubler au plan provincial les effets de la présence de Modi au niveau national.

La Bhim Army est devenue célèbre grâce aux échos médiatiques de ses actions réprimées (avec de nombreuses incarcérations, dont celle de Chandra Shekhar, emprisonné 15 mois sans procès après des violences inter-castes à Saharanpur). Lors de la contestation du Citizenship Amendment Act par les Musulmans durant l’hiver 2019-2020, Azad s’est joint à la foule des fidèles de la grande mosquée de Delhi malgré l’interdiction de sa manifestation. Il a directement interpellé le redouté ministre de l’Intérieur Amit Shah face aux caméras en se disant prêt à sacrifier sa vie pour prendre la défense des Musulmans. Après avoir été arrêté et jugé, il a fondé à sa sortie de prison un parti politique, l’Azad Samaj Party-Kanshi Ram (ASP-KR). En 2021, il a été inclus dans la liste des 100 personalités mondiales les plus influentes par le Time Magazine, paradoxalement aux côtés de Narendra Modi et de Donald Trump.

Tout en se réclamant de l’idéologie Bahujan prônée par le fondateur du BSP Kanshi Ram, son but explicite est de se substituer au leadership défaillant du BSP en tant que représentant des Dalits mais aussi des Musulmans d’UP. Dans l’ASP, la substitution du B du BSP par le A d’Azad (le nom d’Azad, qui signifie « liberté » en hindi/urdu), est une allusion malicieuse à cette volonté de se libérer du leadership défaillant de Mayawati. Ce nom de parti porte ainsi la marque du renouvellement générationnel du mouvement dalit. En juin 2023, une tentative de meurtre dans laquelle Azad a été blessé par balle à l’abdomen (et qu’il attribue au BJP, bien que ses agresseurs aient simplement revendiqué une vengeance castéiste sans commanditaire), a montré à quel point son leadership émergent pouvait être dérangeant pour l’ordre social.

Un an plus tard, Azad vient à présent d’être déclaré vainqueur de la circonscription de Nagina, considérée comme facilement gagnable par l’opposition en raison de sa forte proportion d’électeurs Musulmans. Plutôt que de présenter des candidats dans un nombre important de circonscriptions et disperser ses forces, sa stratégie a été de ne présenter de candidats que dans deux circonscriptions et de tout miser sur sa propre élection afin de faire triompher son leadership de la communauté Dalit dans un premier temps. Il a de plus préféré rester en dehors de la coalition INDIA afin de pouvoir se présenter dans cette circonscription symbolique où Mayawati avait été élue pour la première fois en 1989. Le Samajwadi Party, qui domine la coalition en UP, lui avait quant à lui refusé une telle circonscription propice à sa consécration.

Il faut dire que le Samajwadi Party émane d’une caste d’agriculteurs OBCs, les Yadavs, souvent hostile à l’émancipation des travailleurs journaliers Dalits dans les villages et elle-même peu favorable à l’émergence politique du leadership Dalit radical et charismatique incarné par Azad. Ce dernier est ainsi parvenu à se faire élire à la fois contre le BJP, contre l’opposition officielle de l’alliance INDIA et contre le BSP qui a été réduit quasiment à néant dans cette circonscription (1,33 % des voix) et fortement affaibli en Uttar Pradesh (9,39 % des voix contre 30,4 % aux élections régionales de 2007, son apogée).

Azad a donc réussi grâce à sa performance à incarner l’unité entre Dalits et Musulmans, sur laquelle avaient reposé les premiers succès du BSP en décembre 1993, et qui avait déjà été la formule des premiers succès politiques de l’ambedkarisme en UP de l’Ouest dans les années 1960. Grâce à une marge très enviable de 150 000 voix, cette victoire remarquée d’Azad lui permet de prétendre désormais se substituer de manière crédible au leadership de Mayawati, discréditée quant à elle auprès des Musulmans en raisons de ses alliances passées avec le BJP.

En tant que nouvelle figure de la rébellion de la jeunesse Dalit, cette consécration d’Azad par les urnes crée une brèche significative dans l’ordre social et politique. Entretenant la légende, ses partisans soulignent qu’après être parti menotté en décembre 2019 de la grande mosquée, puis interdit de séjour à Delhi pour un un mois à sa sortie de prison, Azad a fait un retour triomphal dans la capitale par la grande porte du Parlement.

L’alliance entre musulmans et Dalits, un danger pour le BJP ?

Avec un message d’unité sociale qui prétend aller au-delà d’une alliance électorale de circonstance, cette solidarité par-delà les frontières internes du religieux pourrait permettre, si elle se donnait réellement les moyens d’œuvrer à ce rapprochement des minorités, de contrer par le bas le schéma idéologique de l’Hindutva. Cette dernière voit dans les Dalits une composante de la communauté hindoue qu’il s’agit d’intégrer par des réformes internes, en grande partie pour mieux les opposer aux Musulmans, que Modi n’a pas hésité durant sa campagne à qualifier « d’infiltrés ».

Bien qu’au niveau national, la contestation se situe sur de nombreux fronts régionaux et qu’elle se construise sur des bases idéologiques diverses, l’alliance régionale de ces deux minorités défavorisées et stigmatisées, l’une sociale (les Dalits) et l’autre religieuse (les Musulmans), possède donc un caractère subversif exemplaire dans l’Inde de Modi.

Cela montre qu’afin de comprendre les succès électoraux relatifs de l’opposition, il est nécessaire de se pencher sur la contestation de ces dernières années et sur les recompositions politiques et les formes de solidarité et de subjectivation qu’elles ont relancé depuis les marges. Tout en étant fragiles et de circonstances, ces dynamiques restent cependant à évaluer dans leurs applications concrètes, au delà des simples effets d’annonce.

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