SCHMITT, Jean-Claude. Les Traditions Folkloriques Dans La Culture Medievale
SCHMITT, Jean-Claude. Les Traditions Folkloriques Dans La Culture Medievale
des religions
Schmitt Jean-Claude. Les Traditions folkloriques dans la culture médiévale. In: Archives de sciences sociales des
religions, n°52/1, 1981. pp. 5-20;
doi : https://doi.org/10.3406/assr.1981.2551
https://www.persee.fr/doc/assr_0335-5985_1981_num_52_1_2551
Cette évolution touche divers pays 3) mais affecte surtout les pays anglo-
saxons Italie la France et le Québec Sans doute la diversité des traditions
nationales est-elle grande mais certains regroupements méthodologiques et épis-
témologiques peuvent être opérés un pays autre Distinguons une manière
volontairement schématique une part les travaux histoire de la religion
populaire autre part ceux qui relèvent de anthropologie historique
Le procès de histoire de la religion populaire été plusieurs fois instruit
ces dernières années il lui est reproché apprécier la religion des masses
en fonction une norme plus ou moins explicite du christianisme au mieux celle
de Eglise du temps de méconnaître la culture folklorique ses facultés accueil
ou de résistance la vulgarisation des modèles dominants de ne voir dans le
folklore que des survivances du paganisme et de tenter de expliquer par
le recours une psychologie du peuple décrite en termes affectivité émo-
tivité de primitivisme etc. de ne jamais chercher définir ses concepts reli
gion magie superstition survivances etc.) de étudier la
christianisation que dans les limites une histoire de la spiritualité et des pro
grès de la foi et jamais en tant que facteur de reproduction sociale
Inversement utilisation en histoire de méthodes venant de ethnologie la
prise en compte dans les siècles passés des traditions folkloriques que ethnologue
étudie une époque plus récente et parfois hui encore) le refus de
délimiter priori un terrain religieux étudier et le souci une réflexion
globale sur le fonctionnement des sociétés menée avec les anthropologues carac
térisent anthropologie historique Mais les tenants de cette démarche
éprouvent-ils pas eux-mêmes des difficultés cerner leur objet
Pour commencer existence même une culture populaire doit être
vigoureusement mise en cause si on entend par là un système autonome distinct
de la culture dominante la domination ils subissent les dominés participent
en adhérant aux normes aux modèles aux valeurs qui leur sont proposés et où
ils trouvent la légitimation de leur propre condition La mise distance de
la culture populaire voire sa constitution comme objet de science ne sont-elles
pas une vieille ruse de idéologie destinée justifier tantôt attention bien
veillante égard un peuple-enfant tantôt la correction vigilante de ses
excès ce titre le vocabulaire latin du Moyen Age est éclairant en ce il
use seulement pour désigner les gens du peuple soit de termes péjoratifs
vulgus idiotae minores rudes simplices etc.) soit de termes privatifs lllitterati
ignobiles indocti etc. Et est ce même vocabulaire que on retrouve dans
bien des travaux historien
Cependant derrière ces termes qui toujours semblent dénoncer un vide
combler un travers redresser un désordre ordonner se profilent tout au
long du Moyen Age et sous des vocables équivalents de Ancien Régime) des
traditions folkloriques dont certaines accordent parfaitement avec les modèles
TRADITIONS FOLKLORIQUES
dominants et se confondent même avec eux tandis que autres ou les mêmes
autres époques contredisent ces modèles plus ou moins violemment attention
récente portée par les historiens au folklore dans les sociétés passées amène donc
penser que le problème de la culture populaire ou de la religion populaire
est plus complexe il pouvait paraître
La difficulté est triple elle tient identification des traditions folkloriques
évaluation de leur diffusion sociale la manière en aborder analyse
La première difficulté en est en fait pas une car pour historien est
folklorique ce que les folkloristes et les ethnologues ont recueilli ou recueillent
encore classent étudient les contes-types Aarne et Thompson les
motifs de ce dernier les rites et croyances répertoriés par Sébillot Van
Gennep Ho fmann-Krayer et Bächtold-Stäubli etc Les documents époque
sont du reste de bons guides pour repérer ces traditions folkloriques dans les
textes médiévaux des expressions telles que vulgo dicitur en introduisent
fréquemment la relation et manifestent que les représentants de la culture savante
avaient bien le sentiment une différence culturelle
En second lieu attention que les folkloristes ont prêtée presque exclusi
vement depuis le siècle dernier aux classes populaires rurales risque induire
historien en erreur le folklore est ni exclusivement rural ni limité une
classe sociale particulière époque médiévale ses traditions peuvent concerner
tous les milieux mais ce est que dans certains entre eux avant tout chez
les clercs elles sont confrontées autres pratiques culturelles que oral
écriture lecture et autres contenus culturels littérature écrite science
théologie etc. Naturellement la diversité de ces milieux appelons-les les
litterau est très grande Mais celle des illitterat ne est pas moins sans la
développer formulons hypothèse que le folklore européen organise ou se
réorganise entre le Xe et le XIIe siècle en même temps que ensemble des
structures sociales autour de trois cellules fondamentales qui sont le lignage
chevaleresque la ville et le quartier) et la communauté rurale 8)
Comment aborder enfin ces problèmes quelle place les historiens doivent-ils
faire au folklore dans leur représentation du champ historique quels concepts
mettre en uvre pour en tenter analyse est là assurément que les avis
divergent le plus
Pour les uns le folklore aux époques médiévales et modernes est pas un
système culturel cohérent et complet un tel système aurait existé anciennement
mais il se serait défait au contact du christianisme le folklore serait constitué
pour reprendre une expression de Michel Vovelle de membra disjecta épars
survivants une culture autrefois cohérente Cette position connaît une certaine
faveur en Italie Tout récemment analysant aveu surprenant une sorcière
piémontaise en 1519 selon laquelle au sabbat la domina cursus fait manger
un uf ses compagnes puis ressuscite animal en frappant les os avec un
bâton Maurizio Bertolotti retrouve cette croyance attestée dès le VIP siècle
dans VHistoria Brittonum propos de saint Germain Auxerre et dans VEdda
Scandinave propos du dieu Thor) il étudie de manière très précise et convain
cante la démonologisation du thème au cours du Moyen Age mais en amont
des sources écrites il postule existence un mythe très ancien remontant
selon lui au passage une civilisation de chasseurs-collecteurs une civilisation
agriculteurs et éleveurs sédentaires 10 Cette démarche inspire de celle
de Vladimir Propp qui ayant publié en 1928 sa célèbre Morphologie du conte
ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS
pensa en 1946 retrouver les Racines historiques du conte merveilleux dans les
diverses civilisations de la préhistoire comparées aux sociétés primitives
subsistant de nos jours 11 Une hypothèse semblable indépendante de celle
de Propp inspiré en Allemagne le récent travail August Nitschke mais
la démarche est ici plus complexe elle se fonde sur une comparaison
une part des contes et autre part des fresques et gravures préhistoriques 12
Cette idée est intéressante mais la méthode suivie est pour deux raisons au
moins contestable les procédures de comparaison du conte et de image sont
vagues et subjectives et idée que les images et les contes sont le miroir Spiegel
de la vie réelle ne peut être admise Il paraît difficile dans ces conditions de
voir dans les fresques de Lascaux ou Altamira les documents qui font défaut
Propp ou Bertolotti pour prouver leurs hypothèses cette première
difficulté en ajoute une seconde fondamentale mais non résolue par auteur
pourquoi et comment tels motifs folkloriques auraient-ils survécu au démembre
ment de la culture primitive où ils avaient leur cohérence pourquoi autres
motifs ont-ils disparus Cette question découle en fait un problème majeur
dont la solution devrait donner aussi une réponse aux autres interrogations
quelle est la fonction de ces traditions dans le milieu social et époque où
elles sont attestées
Une deuxième hypothèse présente des points communs avec la première
elle remonte elle aussi aux origines Elle en distingue pourtant en
niant la perte de cohérence du folklore aux époques historiques Elles est illustrée
par uvre riche et originale de Claude Gaignebet qui prolonge et amplifie celle
de Saintyves sur la mythologie chrétienne et les cycles calendaires et
celle de Mikhaïl Bakhtine sur le symbolisme carnavalesque 13 Pour Gai
gnebet la culture folklorique une cohérence fondée sur le calendrier plus
précisément sur la combinaison un comput solaire equinoxes solstices et un
comput lunaire nouvelles lunes et pleines lunes partageant le cycle de année
en huit périodes de quarante jours une quarantaine représente une lunaison et
demie Le pivot de ce système calendaire est le février première date possible
du Carnaval jour où ours ou homme sauvage sort de sa caverne pour vérifier
le début du printemps Chaque moment important de ce cycle est illustré dans
les rites et les croyances par un symbolisme très riche que Gaignebet retrouve
non seulement dans le folklore contemporain mais dans la littérature courtoise
ou la littérature facétieuse du Moyen Age dans la mythologie scandinave dans
la religion romaine de Antiquité etc Il affirme en définitive existence tenace
travers les siècles et les civilisations une véritable religion calendaire
et en particulier carnavalesque La réflexion et érudition de Gaignebet
méritent beaucoup plus de considération que les historiens ne leur en ont accordé
présent 14 Je inquiète pourtant de la manière dont histoire est ici
mise entre parenthèses histoire ne produirait que des accidents les civilisations
qui se succèdent ne font habiller superficiellement la structure fondamentale
du mythe qui inchangée traverse les siècles Or on ne peut voir seulement
dans les contenus historiques des rites et des récits qui sont le produit de
situations sociales singulières un habillage secondaire sans importance pour leur
compréhension Pour juger de cette perspective anhistorique non au sens où
histoire ne serait que étude des évolutions mais dans la mesure où historien
cherche abord comprendre pleinement tous les aspects un phénomène social
on se référera ce que dit auteur lui-même non sans quelque goût de la
provocation quand il présente des lais du XIIe siècle Car oreille un
TRADITIONS FOLKLORIQUES
Il est pas possible de soutenir que la société que on étudie une unité
forme un système si on doute en même temps de unité de sa culture Mais
cela posé il faut identifier les clivages les lignes de partage et aussi échanges
qui traversent de manière singulière la société étudiée et le champ de ses
représentations
Deux exemples concrets permettront de poser les problèmes et introduire
quelques principes analyse
Exemple
Une série documentaire exceptionnelle par sa densité et la précision de ses
indications chronologiques permet de reconstituer la genèse un exemplam du
prédicateur dominicain Etienne de Bourbon dans la première moitié du XIIIe siè
cle 22 Le récit que contient cet exemplam provient du témoignage oral une
femme laïque de Fanjeaux Aude) Bérengère lors du procès de canonisation
de saint Dominique en 1233 interrogée elle raconté comment le saint
qui prêcha contre les Cathares en Languedoc en 1206 aurait fait surgir le
diable sous la forme un hideux chat noir devant neuf femmes hérétiques de
Fanjeaux Etienne de Bourbon vers 1256-1261 connu ce témoignage grâce
une double transmission savante et orale de la bouche un autre dominicain
Romee de Livie savante et écrite par les deux Vies successives du saint écrite
10
TRADITIONS FOLKLORIQUES
Exemple
Une des plus anciennes versions connue du conte-type 470 raconte comment
un jeune marié suivit un ange au paradis où il revint trois siècles plus tard
pour mourir dans son pays Elle été mise par écrit au milieu du XIIIe siècle
par un clerc anonyme qui fait suivre sa relation une réflexion extraordinaire
sur son propre travail de scribe ethnologue italien Giuseppe Gatto récemment
souligné juste titre intérêt de ce témoignage 23 le clerc précise il
11
ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS
Religieux Laïcs
hagiographes/prédicateur témoin/auditeurs
litterati il litterat
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TRADITIONS FOLKLORIQUES
seulement écrit cette histoire il en est pas la source jons elus) mais
juste le canal canalis ayant transmise Celui qui la lui rapportée était un
illitteratus qui lui-même ne avait pas comme dit le vulgaire sucée de
son propre doigt ipse ut vulgo dicitur ex suo digito suxi est-à-dire
inventée il avait entendue un litteraius dont il avait seulement retenu les
paroles en langue vulgaire oubliant les mots prononcés en autre langue
est-à-dire sans doute en latin sed litter ato rem audiens materne lingue verba
retinuit alterius lingue voc bulo reti ere non potuit Le scribe jugea histoire
digne être mise par écrit mais tout en se défendant de avoir altérée décrit
précisément le double processus de christianisation et de mise en forme savante
auquel il soumis ce récit folklorique je ai rien ajouté de plus que ce qui
est permis aux scribes ai ordonné les événements en séquences ai adapté les
significations anciennes aux nouvelles ai ajouté le bois de Moïse le sel Elysée
et enfin le vin du Christ produit partir de eau non pour tromper mais pour
augmenter élégance du récit
Construit sur le modèle du premier schéma le schéma montre une circu
lation semblable entre deux traditions culturelles le pôle folklorique est cette
fois mieux identifié puisque le récit est une version un conte très largement
attesté par ailleurs la période contemporaine
Or une version plus ancienne du 470 permet cette fois encore de juger
des transformations que la culture cléricale pu faire subir de aveu même du
scribe au récit folklorique elle fut mise par écrit dans la seconde moitié du
XIIe siècle par Walter Map clerc anglais origine galloise de la cour Henri
Plantagenet 24 Le héros est pas ici un jeune homme pieux mais
ancien roi des Bretons Her qui simplement célèbre son mariage il est
pas invité par un ange mais par le roi des nains le roi des Pygmées dit
Walter Map) il ne rend pas sa visite au nain dans les trois jours ce que ange
impose au jeune homme pieux préservant ainsi sa virginité par le respect des
Nuits de Tobie mais au bout un an selon un modèle de la contre-prestation
largement attestée dans le folklore et notamment dans la littérature arthurienne
Première Continuation de Perceval Perlesvaus Sire Gauvain et le Chevalier
Vert) le lieu où il se rend est pas le paradis mais un monde merveilleux où
on pénètre par une caverne et qui tous les traits de au-delà celtique 25)
Her en revient pas pour mourir en odeur de sainteté mais pour connaître
par effet une ruse du nain errance perpétuelle un revenant placé la tête
de la fam lia Herlethingi ou mesnie Hellequin
On voit bien là encore quel point la transformation du récit est systé
matique comment elle concerne tous les aspects du récit Mais pour en prendre
la mesure complète il faut considérer la totalité du système de transformation
dans le plus ancien récit au-delà est un monde merveilleux indifférencié dans
les récits attestés partir de la fin du XIIIe siècle trois possibilités existent
enfer le purgatoire et le paradis En fait deux seulement doivent être prises
en compte car cette époque du moins on revient rarement de enfer Le récit
du voyage au paradis par le clerc anonyme du XIII siècle représente un des
termes de alternative propre la culture cléricale autre terme le voyage au
purgatoire est illustré par plusieurs exempla des XIV XV siècles qui développent
le conte-type voisin 470 ou légende de Don Juan 26 invitation un
mort il avait nargué le héros se rend au purgatoire où il assiste aux tourments
des âmes qui expient leurs péchés quand il en revient au bout de quelques
13
ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS
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TRADITIONS FOLKLORIQUES
les femmes serpents les enfants cygnes les hommes sauvages voire le saint
lévrier tous repoussés par la culture savante qui tend voir en eux des créatures
démoniaques 31) mi-hommes mi-démons possibilité logique que la demonologie
savante issue de la tradition augustinienne mais en plein renouveau cette
époque écarte absolument un démon ne peut que transporter la semence
humaine il recueillie sous forme de succube et féconder ensuite une femme
sous forme incube en aucun cas il ne peut être le véritable père de enfant
naître pleinement humain celui-ci pourra donc être légitimement baptisé
et avoir une chance être sauvé 32)
On voit bien que les solutions que propose ou impose la rationalité
savante ne sont pas plus logiques ni moins primitives que celles du folklore qui
sa propre raison Mais la théologie refuse ambivalence ce qui est tout autre
chose que ambiguïté un être qui serait la fois chien et saint un homme
qui serait la fois saint et magicien un au-delà qui serait la fois purgatoire
enfer ou paradis Contre cette logique de ambivalence elle développe une logique
de la non-contradiction qui en opposant homme tout ce il est pas
ange la bête le démon) définit la singularité de son destin dans le plan du
Salut homme est la créature privilégiée de Dieu seul il re oit la grâce
divine contrairement aux bêtes et fait librement le choix du Bien et du Mal
ce que ne peut faire un être démoniaque pour accéder au Salut Notons
ailleurs opposé de la mise en cause folklorique de humanisme chrétien
une autre menace pèse sur celui-ci la tentation pour certains hérétiques radicaux
dès le XIe siècle de vouloir identifier aux anges ou aux abeilles qui pensait-on
se reproduisent sans coït et ainsi de refuser toute relation sexuelle 33 Entre
le folklore qui semble nier la séparation des hommes des bêtes et des démons
et les hérétiques qui se veulent des anges Eglise qui se situe comme toujours
au juste milieu révèle homme il est ni ange ni bête est peu
près ce que saint Thomas dit explicitement âme est au milieu média est)
entre les substances supérieures et divines avec lesquelles elle communique par
la raison per intellectum) et animalité brutale ammalia bruta laquelle
elle participe par les sens in sensitivis potentiis Il faut noter que le Docteur
angélique donne cette définition au moment où il parle de la bestialitets 34
Généralement ceux qui adonnent au péché méritent le nom ïhommes animales
35 Ceux-ci sont par excellence ceux qui enfreignent la loi de nature
commettent le crime contre nature homosexualité dont la condamnation
partir du XIIIe siècle contraste avec la tolérance plus ou moins grande des
siècles précédents De manière significative ce crime est associé presque
complètement la bestialité John Boswell vient de montrer que ni les textes
scripturaires ni même la tradition ecclésiastique imposaient une telle hostilité
comme la persécution contemporaine des juifs et des hérétiques cette hostilité
serait la conséquence du blocage de la société féodale au XIIIe siècle 36
est bien dans le même contexte social et intellectuel que se manifeste une
méfiance croissante égard des superstitions qui répond abord au même
problème de logique celui de ambivalence des représentations et des compor
tements que on songe aussi aux travestissements folkloriques hommes en
animaux ou en femmes 37 de ceux qui paraissent brouiller les sexes
les espèces et les genres
Dans cette vaste reprise en main conceptuelle morale idéologique du
XIIIe siècle tout est lié le concept aristotélicien de Loi naturelle fonde les
spéculations théologiques philosophiques scientifiques du temps aussi bien que
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ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS
CONCLUSION
ai seulement voulu esquisser ici une réflexion sur la place des traditions
folkloriques dans la société et la culture du XIIIe siècle Il conviendrait appro
fondir cette analyse dans les mêmes termes de globalité de système de relations
enjeu idéologique Plusieurs écueils doivent être évités il faudrait abord se
garder de ne voir la créativité la mobilité historicité que du côté de la culture
savante Le folklore aussi la faveur des grandes modifications de la structure
sociale notamment au XIIe siècle au début du XVIe siècle au XIXe siècle
changé est doté de formes nouvelles Par ailleurs la notion de dynamique
culturelle que ai employée amènerait déplacer attention des conflits les
plus violents de la persécution active vers les processus plus lents imprégnation
réciproque et inconsciente 39 ainsi pour les XVr-XVHe siècles Carlo Ginzburg
a-t-il montré comment pour les paysans eux-mêmes le rituel onirique des
Benandanti avait peu peu cédé la place la croyance au sabbat conforme la
demonologie des inquisiteurs mais quand cette évolution fut achevée il était
trop tard pour que les Benandanti ainsi transformés en sorciers fussent vraiment
persécutés Dans cette longue durée de histoire culturelle il conviendrait enfin
de préciser les évolutions qui ne me paraissent en aucun cas linéaires hypothèse
une oppression croissante et une acculturation implacable soutenue par
Muchembled propos de la France moderne ne me paraît ni généralisable
ni exempte de jugements de valeurs 40 observe plutôt des changements de
rythmes une alternance de périodes échanges tels le XIIe et le début du
XVIe siècle et de périodes de blocage 41 en ce sens les XIIP-XIVe siècles
de saint Thomas Jean XXII préparent et préfigurent la deuxième moitié du
XVIe siècle et le XVIIe siècle marqués par la persécution de la sorcellerie
Jean-Claude SCHMITT
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales
NOTES
Cet article et les deux suivants sont issus de la session de Association Fran aise
de Sociologie Religieuse des 3-4 décembre 1979 sur Dépendance sociale et création religieuse
Approches historiques et sociologiques Cette session organisée par F.A ISAMBERT et
J.P TERRENOIRE comprenait outre les présents articles trois autres communications Les
éléments une culture populaire Ch LALIVE EPINAY) Organisation de espace et
pratiques rituelles chez les paysans Chipayas Bolivie WACHTEL) Problématiques
de la religion des peuples opprimés F.A ISAMBERT Une Table ronde animée par
J.P TERRENOIRE réuni ensemble des communiquants
LASLETT Un Monde que nous avons perdu Famille communauté et structure
sociale dans Angleterre pré-industrielle Paris Flammanen 1969 Voir aussi de CERTEAU
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TRADITIONS FOLKLORIQUES
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ARCHIVES DE SCIENCES SOCIALES DES RELIGIONS
Paris Le Centurion 1976 enfin les études de folklore illustrée avant tout par le nom
Arnold Van Gennep Bien que les rapports de la sociologie et du folklore aient été abord
difficiles cf F.A ISAMBERT Religion populaire Sociologie Histoire et Folklore II De
Saint Bessê Saint Rouin Archives de Sciences Sociales des Religions 46/1 1978
pp 111-133 leur rencontre produit très tôt des uvres une très grande qualité dès 1913
par HERTZ Saint Bessê étude un culte alpestre rééd dans Sociologie religieuse
et folklore Paris P.U.F. 1970 pp 110-160 puis par un ethnologue élève de Marcel Mauss
DUMONT La Tarasque Essai de description un fait local un point de vue ethnographique
Paris Gallimard 2e éd. 1951
Le premier historien avoir utilisé systématiquement les méthodes de Van Gennep fut
VAULTIER Le Folklore pendant la guerre de Cent Ans après les lettres de Rémission
du Trésor de Chartres Paris Guénégaud 1965 est peu près cette date mais sous
influence de anthropologie structurale ont démarré les études ethnologie historique
surtout sous impulsion de Jacques Le Goff et Emmanuel Le Roy Ladurie
Au Québec orientation anthropologique devient sensible dans les travaux récents
BOGLIONI éd. La Culture populaire au Moyen Age Etudes présentées au Quatrième
colloque de Institut études médiévales de Université de Montréal 2-3 avril 1977 Montréal
Aurore 1979
N.Z DAVIS Some Tasks and Themes in the Study of Popular Religion
in TRINKAUS H.A OBERMAN ed. The Pursuit of Holiness Late Medieval and Renais
sance Religion Papers from the University of Michigan conference Studies in Medieval and
Reformation Thought Leiden E.J Brill 1974 pp 307-336 J.C SCHMITT Religion
populaire et culture folklorique Annales E.S.C. 1976 pp 941-953 ISAMBERT
Religion populaire Sociologie Histoire et Folklore Archives de Sciences Sociales des
Religions 43/2 1977 pp 161-184 Ce dernier article est particulièrement critique égard
des deux volumes collectifs publiés sous la direction de abbé PLONGERON cf supra)
la veille un colloque international lui aussi animé par PLONGERON La Religion populaire
Paris 17-19 octobre 1977) Colloque international du C.N.R.S. no 576 Paris Ed du
C.N.R.S. 1980 Du point de vue du folkloriste voir aussi les remarques critiques de Alan
DUNDES Analytic Essays in Folklore La Haye-Paris Mouton 1975
La question de existence ou non une culture populaire est débattue avec
une particulière vigueur agissant des classes populaires des -XX siècles aux analyses
classiques E.P THOMPSON sur la classe ouvrière anglaise de cet auteur voir aussi Rough
music le charivari anglais Annales E.S.C. mars-avril 1972 pp 285-312 ou de
HOGGART Thé Uses of Literacy 1957 trad fr La Culture du pauvre Etude sur le
style de vie des classes populaires en Angleterre Paris Ed de Minuit 1970) opposer les
dénégations vigoureuses de BOURDIEU La Distinction Critique sociale du jugement Paris
Ed de Minuit 1979 459
LACROIX A.M LANDRY Quelques thèmes de la religion populaire chez le
théologien Thomas Aquin dans BOGLIONI op eit 168 Que on se hasarde
hui collectionner des objets censés être populaires et on aboutit sans jamais
expliciter les critères des choix opérés donner le même sentiment de hétéroclite cf
Religions et Traditions populaires catalogue de exposition du Musée national des Arts et
Traditions Populaires décembre 1979-3 mars 1980) Paris Réunion des Musées nationaux
1979
Trois exemples révèlent importance de ce tournant du XIIe siècle Pour le lignage
Mélusine LE GOFF LE ROY LADURIE Mélusine maternelle et défricheuse Annales
E.S.C. 1971 pp 587-622 la première partie reprise dans LE GOFF Pour un autre Moyen
Age Temps travail et culture en Occident 18 essais Paris Gallimard 1977 pp 307-331
Pour la ville saint Marcel LE GOFF Culture ecclésiastique et culture folklorique au
Moyen Age saint Marcel de Paris et le Dragon dans DE ROSA éd. Ricerche storiche
ed economiche in memoria di Corrado Barbaggalo Naples E.S.I. 1970 II pp 51-90 repris
dans Pour un autre Moyen Age... op cit. pp 236-279 Pour la communauté villageoise
Saint Guinefort J.C SCHMITT Le saint lévrier Guinefort guérisseur enfants depuis le
IIP siècle Paris Flammarion Bibliothèque Ethnologie historique) 1979
VOVELLE La Religion populaire problèmes et méthodes Le Monde Alpin
et Rhodanien 1977 1-4 28
10 BERTOLOTTI Le Ossa la pelle dei buoi Un mito popolare tra agiografia
stregoneria Quaderni Storici 41 1979 pp 470-499
11 Trad italienne du russe V.J PROPP Le Radici storiche dei racconti di fate
Turin Boringhieri 1972
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