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Lucas Pouille: "J’entame une deuxième carrière"

Ancien n°10 mondial, Lucas Pouille fait son grand retour sur le circuit au Challenger de Quimper après près de 16 mois sans compétition sur le circuit principal, la faute à une blessure au coude qui l'a contraint à l'opération. Le Nordiste d'origine se livre et raconte cette traversée du désert, les doutes, le bilan fait sur sa carrière, son burn out et cette deuxième carrière qui s'amorce pour lui.

Lucas Pouille, plus de 15 mois après votre dernier match sur le circuit principal, vous faites votre retour au Challenger de Quimper. Comment dit-on? Grand retour? Enfin?

Enfin! Enfin, surtout. C’est vrai que cela fait un an et quatre mois depuis fin septembre, début octobre 2019. C’est long. J’ai essayé à plusieurs reprises de revenir mais à chaque fois, cela a été un échec. Depuis l’opération, je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour être prêt pour ce début d’année. Je suis vraiment très, très content de reprendre enfin le circuit.

Comment avez-vous vécu cette longue période sans compétition? 

Il y a eu des hauts, il y a eu beaucoup de bas. Beaucoup de bas où on se pose énormément de questions. A chaque fois que je reprenais, je me sentais plutôt bien, j’avais assez vite de bonnes sensations. A chaque fois, cela me redonnait le sourire, la confiance pour reprendre. Et puis à chaque fois, les rechutes me faisaient repartir un peu plus bas, et surtout mentalement. Et une fois que j’ai décidé de me faire opérer, j’ai pu tirer un trait sur la saison 2020. Cela m’a fait passer à autre chose en me disant: "Maintenant, j’ai du temps. Je n’ai pas un objectif dans trois ou quatre mois, c’est vraiment dans six, sept mois ma reprise. Je vais prendre du temps pour moi, pour faire des choses que je n’ai pas l’habitude de faire. De prendre plus de temps pour voir mes amis, ma famille. Et puis je reprendrai l’entraînement et le tennis vraiment quand je serai prêt à reprendre. Je ne reprendrai pas trop tôt, je ne prendrai pas le risque en tout cas". Et maintenant, je suis content d’être en bonne santé et de pouvoir enfin reprendre la compétition.

A un moment, vous êtes-vous dit que cela n'allait pas le faire?

Oui et non, je ne me suis pas dit "cela ne va pas le faire", j’avais peur que cela ne le fasse pas. Même si les chirurgiens étaient confiants et me disaient qu’il n’y avait quasiment pas de risque, on ne sait jamais. On se pose beaucoup de questions: "Est-ce que je vais réussir à re-servir comme avant?". Servir sans douleurs, ce qui n’était pas le cas pendant six, sept mois. Après, je ne me suis jamais dit dans ma tête "je vais arrêter, c’est derrière moi le tennis". Jamais. J’ai toujours eu l’envie de reprendre et d’être au taquet.

Que retirer de cette période?

Le point positif: j’ai eu le temps et j’ai pu vraiment faire un point sur les huit années précédentes. Ce que j’ai réussi à faire, les résultats que j’ai eus, les objectifs qu’on s’était fixé, ceux que l’on a réussi à tenir. Ce que je peux mieux faire pour aller plus loin. Est-ce que je suis arrivé au bout de mon potentiel? Et j’ai pu répondre à toutes ces questions, réfléchir à "quoi améliorer". C’était très important.

Et vous sentez qu’il y a encore un beau chemin et des points à améliorer?

Je le pense. J’ai fait plein d’erreurs, il y a des choses que j’aurais pu mieux faire et qui auraient fait que j’aurais été meilleur encore. Et que j’ai envie de mettre en place pour que dans cette deuxième partie de carrière, je n’ai vraiment aucun regret.

"Je me suis mis trop de pression par le passé"

Quel type d’erreurs?

Pour moi, c’est la constance dans les résultats. Et forcément la constance dans le travail. Et surtout avec un meilleur état d’esprit. Parfois, j’étais amené à me mettre énormément de pression, un peu seul. Ce qui faisait que je n’arrivais pas forcément à me libérer et à jouer. Pour moi, cela va être très important de prendre énormément de plaisir sur le court, et même quand il y a des mauvais résultats, garder la tête haute, travailler et savoir que cela va revenir. Surtout sur la reprise où il va falloir être patient, humble et ne pas s’attendre à jouer son meilleur tennis tout de suite. S’il y a le meilleur tennis, tant mieux et je ne rêve que de ça. Mais je ne suis pas assez fou pour croire qu’après un an et demi, je vais jouer mon meilleur tennis tout de suite.

A une époque, votre compagne avait évoqué un burn out...

C’était une sensation assez bizarre. J’avais moins d’envie, faire les bagages chaque semaine, partir en tournoi, je l’avais un peu mal vécu. C’est vrai que cela fait relativiser après une aussi longue période où le tennis nous manque assez rapidement, le circuit aussi. Maintenant, je me dis que c’est incroyable d’avoir eu ça, sachant qu’après un mois et demi d’arrêt, le tennis te manque énormément. J’ai pu relativiser aussi sur ça. On fait l’un des plus beaux métiers au monde, on a cette chance. Et je sais que cela va s’arrêter un jour. Je vais avoir 27 ans en février, il va me rester sept, huit ans de carrière. J’ai envie de faire le maximum, de n’avoir aucun regret, et d’aller au bout du bout. Et à la fin, de me retourner en me disant: "Tu ne pouvais pas faire mieux".

Vous entamez en quelque sorte une deuxième carrière, vous êtes un nouveau Lucas?

Je le prends comme ça, en tout cas. J’ai fait sept ans, j'ai arrêté pendant un an et quatre, cinq mois. De nouveau, il reste sept, huit ans si je vais jusqu’à 35 ans, je ne sais pas. J’estime que c’est la deuxième partie de carrière, une deuxième carrière un peu qui commence. Un nouveau Lucas, je ne sais pas. Etre papa, cela ne changera pas, c’est certain (sourire). Je suis juste hyper heureux d’être à nouveau sur le circuit et je veux mettre toutes les chances de mon côté pour y arriver.

Le circuit a repris avec un calendrier allégé et une visibilité pas toujours évidente pour les joueurs. Vous sentez que les joueurs sont inquiets en ce moment?

Tous les joueurs le sont. L’argent a diminué mais les coûts non, c’est ce qui est assez paradoxal. Il y a beaucoup moins de prize money sur le circuit, on gagne moins d’argent mais les coûts de déplacement, de coach, cela ne diminue pas. Il faut s’adapter, on est tous dans la même situation. Forcément quand on est 150-200 (au classement ATP, ndlr), on a moins de revenus que lorsqu’on a passé beaucoup de temps dans le top 50, top 100. Mais on ne peut pas se plaindre. Oui, les conditions ne sont pas idéales, on préférerait avoir du public, ne pas avoir les masques, mais on est quand même des privilégiés, il faut en prendre conscience. Serrer les dents jusqu’au moment où cela redeviendra plus ou moins à la normale.

"Batailler, accepter de ne pas être bon, et trouver la solution pour gagner"

Quels sont vos objectifs dans un premier temps?

Performance, non. Le plaisir, profiter du retour sur le circuit. C’est ce que j’attends depuis plus d’un an. Après, surtout de la bagarre, accepter de ne pas être forcément très bon le jour du match mais batailler, batailler et essayer de trouver la solution pour gagner. Et s’il faut en mettre une de plus dans le court, la pousser, s’arracher, faire le "raccro". Il faudra le faire parce qu’il faut être humble et l'humilité, c’est très important.

Envie de repartir pour de nouvelles demi-finales en Grand Chelem?

Oui, sinon franchement je ne ferais pas les efforts, je ne m’entourerais pas d’une super équipe, et je ne sais même pas si je continuerais à jouer au tennis si je n’avais pas cette envie et ces objectifs-là. C’est pour cela que j’ai toujours joué et que je me suis entraîné toujours très dur. Après, est-ce que cela arrivera cette année ou dans deux ans, je ne sais pas. En tout cas, mes objectifs, c’est revenir au plus haut niveau et faire mieux que ce que j’ai fait.

Avez-vous coché un tournoi particulièrement cette saison? 

J’ai quatre mois jusqu’à Roland-Garros. Je pense que j'aurai joué le maximum de tournois possible pour avoir repris un rythme d’ici là, les repères et retrouvé mon niveau. Le premier objectif ce sera d’atteindre la deuxième semaine.

Et une première saison sur le circuit en tant que papa, cela change aussi...

Depuis six jours, cela change énormément de choses. On relativise beaucoup plus. Je ne pensais pas une seule seconde que cela pouvait être un sentiment aussi fort que ça. Quand le bébé arrive et qu’on le prend dans ses bras pour la première fois, c’est quelque chose d’extraordinaire. Forcément, cela amène beaucoup d’apaisement.

Anthony Rech