► Y aura-t-il un effet JO sur la fréquentation des sites patrimoniaux ?

Quand on parle des JO aux responsables des sites et monuments qui en ont été le décor, tous saluent le rayonnement planétaire que cela leur a offert, mais le sourire est un peu crispé… Il faut dire que l’été a été morose en termes de fréquentation. « Nous nous y attendions, pondère Marie Lavandier, présidente du Centre des monuments nationaux (CMN), mais nous avons quand même eu de bonnes surprises. La basilique de Saint-Denis a vu le nombre de ses visiteurs augmenter de près de 50 % lors des Jeux, stimulé par la fan-zone installée à proximité, où est passée la flamme olympique. » Une flamme qui a ravivé le feu de la fréquentation dans les autres sites où elle est passée, comme au château de Carcassonne ou au Petit Palais (+ 7 % de visiteurs en juillet, mais - 27 % en août).

Autant de raisons d’espérer un rebond à venir en capitalisant sur les JO. « Avec l’exposition “Cheval en majesté” et l’installation prochaine du cheval mécanique de la cérémonie d’ouverture, nous prolongerons l’esprit des jeux jusqu’à la fin des vacances d’automne », avance Pierre-Emmanuel Lecerf, administrateur général du château de Versailles, qui accuse une baisse de 16 % de sa fréquentation estivale.

► Quelles autres retombées sont-elles attendues ?

Les JO semblent avoir donné un coup de jeune au patrimoine. « Nous pâtissons d’une image de “coincés”. »Or, les monuments ont été des personnages de ces Jeux et sont redevenus des amis aux yeux du public», veut croire Marie Lavandier. « Il y a vingt ans, le patrimoine aurait pu apparaître réservé à des privilégiés, mais il émerge comme une valeur universelle d’avenir, renchérit Bertrand de Feydeau, vice-président de la Fondation du patrimoine. Ces JO ont montré que, dans une société divisée, un élan national est rendu possible grâce à deux éléments capables d’unifier le corps social : le sport et le patrimoine. »

Cette image dépoussiérée doit permettre également de séduire de potentiels mécènes. Un partenariat sur trois ans de 4 millions d’euros a notamment été noué au Petit Palais avec le groupe bancaire BPCE (Banque populaire Caisse d’épargne), qui a également privatisé une partie de l’édifice lors des Jeux pour la modique somme de 2 millions d’euros. « Un mécénat qui nous permet de financer la restauration du péristyle du Petit Palais dès 2025», précise Anne-Sophie de Gasquet, directrice générale de Paris Musées. En face, au Grand Palais, son président, Didier Fusillier, confie avoir noué beaucoup de contacts avec des partenaires potentiels, lors des JO, afin d’alimenter un fonds de dotation du Grand Palais, ouvert en mai dernier.

Il est toutefois un peu tôt pour juger de l’impact potentiel des JO sur le mécénat, car « les JO ont assez largement ponctionné le gisement de ressources en la matière», analyse Bertrand de Feydeau, qui n’a toutefois pas perçu de diminution des dons à sa fondation.

Pour être payante, cette belle image doit être préservée dans la durée. « Les spectateurs ont apprécié le patrimoine bien entretenu, propre, éclairé de ses lampadaires. Or, c’est loin d’être le cas en temps normal», déplore Julien Lacaze, président de l’association Sites et monuments, qui souligne le risque d’une désillusion des touristes français et étrangers.

► Quel monument est mieux placé pour tirer son épingle de jeu ?

Paradoxalement, ce sont les sites en plein air qui devraient capter le plus bel héritage des JO. La Concorde, dont les fontaines ont été restaurées, a été piétonnisée afin d’accueillir les épreuves de sports urbains (breaking, BMX, skateboard…). Une piétonnisation que sera partiellement maintenue à compter de 2026. « Tout le monde a pu constater combien il était agréable d’y prendre le temps de la promenade », s’enthousiasme Karen Taïeb, adjointe à la mairie de Paris, chargée du patrimoine, qui précise qu’elle sera accompagnée d’une végétalisation, via des jardinières, des espaces rendus aux piétons. Une commission a rendu ses conclusions en juin, dont la première est la nécessité de conserver la symétrie de cette place historique dessinée par l’architecte de Louis XV, au XVIIIe siècle. Les cinq équipes d’architectes doivent être choisies fin septembre et le lauréat en janvier 2025.

► Les monuments vont-ils accueillir plus souvent des épreuves sportives ?

« Ce serait une très bonne chose, estime Karen Taïeb. Même s’il y a des contraintes, ces Jeux ont montré qu’il était possible de créer des terrains de sport sur le Champ-de-Mars, aux Invalides, à la Concorde… La Seine a aussi montré qu’elle était en capacité d’accueillir un large public et mérite qu’on l’exploite davantage.»

La plupart des responsables s’y disent aussi favorables. « Introduire le sport dans les monuments me paraît évident. Ils y gagnent une image de modernité», juge Marie Lavandier qui invite à chausser ses baskets pour un footing sur les remparts de Carcassonne pendant les Journées du patrimoine, puis lors d’une course urbaine le 1er mai prochain. À Versailles, c’est également une évidence avec la tenue de courses dans le parc, chaque année. En octobre, 12 000 coureurs sont attendus. Sans oublier les épreuves du triathlon à la pièce d’eau des Suisses. S’agissant d’autres compétitions équestres ou sportives à Versailles, il est trop tôt pour le dire, déclare les responsables du château.

Plus prudent, Didier Fusillier, président de la Réunion des musées nationaux (RMN) Grand Palais, ne dit pas non, d’autant qu’il y a beaucoup de demandes. « Nous accueillons chaque année le saut Hermès, l’une des plus grandes compétitions d’équitation, mais le montage de ces infrastructures demande beaucoup de temps et dès qu’on touche à la nef, cela pose des questions de nuisances sonores, d’accessibilité… » Quant aux autres établissements de la RMN, son président évoque la possibilité de concerts aux châteaux de Saint-Germain-en-Laye ou d’Écouen.

► Assiste-t-on à une « patrimonialisation » des emblèmes des Jeux de Paris ?

Objets d’un engouement qui a surpris jusqu’aux organisateurs des JO, le cheval mécanique et la vasque ont été vus par des dizaines de milliers de visiteurs. Si le premier sera exposé à Versailles avant de trôner au siège de Sanofi, la seconde a été démontée, mais son maintien au jardin des Tuileries a été souhaité par Anne Hidalgo, la maire de Paris. Le Louvre, tutelle du jardin, ne souhaite pas se prononcer à ce sujet. « C’est un très bel objet que ce ballon, avec ses formes pures qui font écho à celles de la pyramide du Louvre, reconnaît Julien Lacaze. Mais s’il est maintenu dans le jardin, il va gêner la perspective entre le Carrousel et l’Arc de triomphe. Il faut savoir reconnaître les qualités de l’éphémère. »

À la mairie, Karen Taïeb estime, pour sa part, que « ces emblèmes des Jeux méritent de s’inscrire dans la ville ». « Il y a la volonté de figer quelque chose, de marquer une date dans l’espace public, comme on l’a fait par le passé avec des monuments des expositions universelles, qui nous enchantent encore aujourd’hui, comme la tour Eiffel.» Allusion aux anneaux des Jeux olympiques qu’Anne Hidalgo aimerait maintenir sur la tour au moins jusqu’en 2028, suscitant la polémique.

« Les images les plus belles des JO sont celles ayant pour décor le patrimoine parisien. En guise de remerciements, nous allons devoir subir les scories des Jeux. Tout est utile à l’équilibre de la tour dans la tour Eiffel, et ces anneaux vont le perturber», s’insurge Julien Lacaze. Son association menace d’ailleurs d’attaquer la Ville de Paris en justice car la loi sur les monuments historiques interdit toute publicité sur un édifice classé ou inscrit (ce qui est le cas de la tour Eiffel).

Refusant d’alimenter la controverse, Karen Taïeb préfère souligner le maintien des statues féminines de la cérémonie d’ouverture dans Paris, a priori boulevard de la Chapelle, axe symbolique puisque menant à Saint-Denis. « 90 % de la statuaire représentent des hommes, hors allégories féminines, déplore-t-elle. Il est donc bon d’enrichir le “matrimoine” de la ville avec ces sculptures. Seront-elles exactement celles qui ont été présentées à la cérémonie ? Cela mérite des études car elles avaient été conçues pour être vues le temps d’une seule soirée. Il faut que des artistes s’en emparent. »

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Une carte postale de Paris

«C’est bon, Paris, on a compris, tu es d’une beauté à tomber par terre… » À la fois admirative et piquante, cette adresse à la capitale française est parue fin juillet dans le Times, qui a pourtant habituellement la dent dure contre la France. Fair-play, le vénérable quotidien britannique rappelait que «si Londres a été la première à faire des Jeux une brochure touristique, les sites olympiques français portent la fusion du sport, de l’histoire et de la culture à un niveau jamais atteint».

Car les JO de Paris n’ont pas inventé la transformation de la ville en parc olympique. En 2012, la capitale britannique avait inscrit le beach-volley dans le cadre tiré au cordeau du Horse Guards Parade, en plein cœur de Londres, et l’équitation au Greenwich Park. Des décors majestueux vus par des millions de téléspectateurs. Des cartes postales que Paris a également envoyées au monde, avec le beach-volley au pied de la tour Eiffel, le tir à l’arc aux Invalides, l’équitation au château de Versailles.

La capitale française mise sur ces images spectaculaires pour attirer tous les amoureux du patrimoine, invoquant, tel un mantra, l’impact bénéfique des JO de Londres sur la fréquentation des lieux culturels. Des monuments et musées franciliens qui en ont bien besoin, après avoir vu leur fréquentation baisser de 20 à 30 % cet été. Or, cet « effet JO » n’a pas été net outre-Manche. Tout au mieux a-t-on assisté à « un rattrapage des courbes de fréquentation des sites et musées des années antérieures », nuance Marie Delaplace, professeure émérite en urbanisme à l’université Gustave-Eiffel. Ces Journées européennes du patrimoine seront une première occasion de vérifier que tout le monde a bien reçu la carte postale…

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Les 41es Journées européennes du patrimoine, mode d’emploi

- La mer est le grand thème de la 41e édition des Journées européennes du patrimoine (JEP), qui ont lieu partout en France ce samedi 21 et ce dimanche 22 septembre. Alors que le domaine maritime français est le deuxième plus vaste au monde, la découverte d’installations portuaires, phares ou musées, mais aussi de pratiques sociales ou culturelles comme les diverses traditions des fêtes de la mer seront à l’honneur.

- Organisées conjointement avec le Conseil de l’Europe et la Commission européenne, les JEP se déroulent dans 50 États. À l’échelle européenne, c’est le patrimoine des itinéraires, réseaux et connexions qui sera mis en avant. Parmi eux, des animations auront lieu sur les 31 itinéraires culturels du Conseil de l’Europe traversant la France, comme les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle ou les chemins de la vigne.

Rens. : journeesdupatrimoine.culture.gouv.fr/

Sur la-croix.com, retrouvez une sélection de cinq lieux du patrimoine maritime à découvrir lors de ces Journées.