PORTRAIT. Mort d’Alain Delon : il était samouraï, ange et démon

Publié le , mis à jour
Dominique Delpiroux

l'essentiel Alain Delon est mort à 88 ans, ce 18 août 2024. Une des icônes du cinéma français, passé de garçon de café à star internationale, a connu une vie digne d’un roman. Fascinant, il aura été tout à la fois ange et démon. Portrait.

Un regard de velours bleu. Un nez d’enfant sage. Des lèvres à croquer et un sourire à craquer. Une beauté à tomber à la renverse. Jeune, Alain Delon était un ange. Un ange inquiétant. Au fond des yeux, des éclairs de violence. Derrière la peau douce, des mâchoires serrées. Et des dents carnassières qui, le moment venu, mordront sans pitié. Alain Delon était un démon. C’est cette ambivalence qui était fascinante chez lui : on pouvait tout attendre de l’acteur. Qu’il donne l’amour ou qu’il donne la mort. Sans doute parce qu’il avait grandi entre des enfers et des paradis, et ce qui est peut-être pire, dans l’indifférence : il en va ainsi avec les enfants mal aimés.

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La famille d’Alain Delon a des racines en Occitanie et plus précisément à Saint-Vincent Lespinasse, dans le Tarn-et-Garonne. Lui, c’est à Sceaux (Haute-de-Seine), qu’il naît, le 8 novembre 1935. Père patron de cinéma, mère pharmacienne, tout aurait pu tourner comme une bobine. Mais les parents divorcent et, dans les années 40, c’est compliqué. Alain se retrouve dans une famille d’accueil, chez un gardien à la prison de Fresnes. À dix ans, en 1945, il a entendu la salve qui fusilla dans la cour Pierre Laval, chef du gouvernement français sous l’occupation nazie. Un souvenir atroce qui le hantera toujours.

Il trimballe des cageots aux Halles

Nouveau divorce. Nouvel abandon. Son deuxième beau-père est patron d’une boucherie. L’adolescent va devenir apprenti charcutier. Mais il a autre chose dans le sang. Une soif d’aventure : il s’engage dans la Marine. Direction l’Indochine. Sauf que l’armée ne lui réussit pas non plus. On l’attrape pour un larcin, puis on le sanctionne pour une virée où il bousille une jeep.

À Saïgon, au cinéma, il découvre Touchez pas au grisbi. Gabin triomphe. Peut-il rêver que huit ans plus tard, il serait l’égal du "Pacha" dans Mélodie en sous-sol ? Pour l’heure, il rentre à Paris, et enchaîne les petits boulots. Il trimballe des cageots aux Halles, devient garçon de café. Son côté obscur lui fait aussi faire des escapades du côté des mauvais garçons. Il fréquente maquereaux, demi-sels et amazones.

Un diamant brut

D’autres rencontres vont le sauver. Curieux hasard : en 1956, il est copain avec sa voisine de palier, une certaine Dalila, une Égyptienne venue à Paris pour faire du cinéma. Elle deviendra célèbre plus tard en chantant sous le nom de… Dalida. C’est surtout sa rencontre avec la comédienne Brigitte Aubert (elle donnait la réplique à Cary Grant dans La Main au collet d’Alfred Hitchcock), qui sera déterminante. Elle entraîne son amoureux dans les boîtes branchées, sur les plateaux, dans les coulisses. Et là, metteurs en scène ou comédiens tombent sous le charme de ce gamin enjôleur, à la beauté fascinante.

Acteur ? Delon n’y songeait pas. On y pense à sa place, on se pousse sous les projecteurs. Les réalisateurs ne s’y trompent pas. Ils savent qu’ils ont affaire à un diamant brut. "Parle comme tu me parles. Regarde comme tu me regardes. Écoute comme tu m’écoutes. Ne joue pas ! Vis", lui ordonne Yves Allégret, façon Lee Strasberg, quand il le dirige dans Quand la femme s’en mêle. Et ça marche. Delon crève l’écran.

Le coup de foudre avec Romy Schneider

En 1958, sur le tournage de Christine, il rencontre Romy Schneider : le coup de foudre, réciproque, est immédiat. Leur idylle explose dans les gazettes. Jamais on n’a vu un aussi beau couple et leurs fiançailles, sur les bords du lac de Lugano, font exploser les rotatives.

C’est en 1960 que Delon va prendre place parmi les étoiles, avec Plein soleil de René Clément. Dans cet affrontement entre deux hommes, Delon devait jouer la victime. Il fait le siège du réalisateur, exaspère les producteurs pour jouer l’autre personnage. C’est la femme de Clément qui convaincra son mari : "Le petit a raison !". L’autre rôle principal échoit à Maurice Ronet. Les deux garçons deviendront amis. L’actrice Marie Laforêt, elle, gardera le souvenir de "deux trous du cul", prétentieux et méprisants !

Son idole, Jean Gabin

Qu’importe, sa carrière est lancée. Il tourne ensuite coup sur coup, quelques chefs-d’œuvre, comme Rocco et ses frères ou Le Guépard, du maître Luchino Visconti. En France, il rejoint celui qui fut son idole, Jean Gabin, dans Mélodie en sous-sol. Son histoire avec Romy Schneider s’étiole, mais ils resteront amis pour toujours. En 1968, La piscine les réunit à l’écran, pas dans l’intimité.

L’étrange Nico, muse d’Andy Warhol et du Velvet Underground, passe… elle aura un fils, Ari Boulogne, mort à 60 ans le 20 mai 2023, jamais reconnu par Alain Delon, mais que la propre mère de l’acteur va élever.

Tantôt flic, tantôt voyou… et père d’Anthony Delon

La vieille copine Dalida, elle aussi passe… Ils partagent, quelque temps, un peu plus que des Paroles, paroles, paroles… L’éclipse, Les Félins, Les Centurions, Les aventuriers. Aventures, polars, drames, Delon enchaîne les succès dans les années 60. Il a pour partenaire Gabin, Ventura, Montand. Il épouse celle qui deviendra Nathalie Delon. Avec elle, il tournera un déroutant Doucement les basses : Delon joue un curé un peu trop sexy pour ne pas être tenté, une des rares comédies de l’acteur. Nathalie est la maman d’Anthony Delon.

En 1967, sortira Le Samouraï. Melville est au sommet de son art, Delon aussi. Chapeau gris, imper mastic, visage fermé sur une émotion verrouillée, on est dans la tragédie classique, un porte-flingue chez Eschyle. Du reste, Delon va garder le même look pour une série de films ou il est tantôt flic, tantôt voyou, tantôt côté clair, tantôt côté sombre, et bien souvent les deux. Les producteurs tricotent un duo de choc, avec Belmondo : ce sera Borsalino : cabotinage garanti sur fond de pègre marseillaise des années 30.

Alain Delon vit 15 ans avec Mireille Darc

La pègre ? Elle n’est jamais très loin. En 1968, éclate l’affaire Markovic. Cet ancien employé d’Alain Delon, marié alors avec Nathalie, est retrouvé assassiné dans une décharge. En menant l’enquête, les policiers tournent autour de ce curieux personnage, figure du milieu qui organisait des parties fines dans la haute. Le scandale a failli éclabousser Georges Pompidou. La mort de cet homme reste aujourd’hui encore un mystère. Dont Alain Delon avait peut-être quelques-unes des clés. Il organise des matches de boxe, des courses de chevaux : on n’est pas dans le milieu, on est sur le bord.

Le hasard des castings le met dans les bras de Mireille Darc. La "Grande Sauterelle", avec qui il vivra quinze ans, semble une des rares à apaiser les démons de son ange. Lui, ne veut plus faire du Delon. Il prend des risques. Tourne Monsieur Klein, fable sur l’antisémitisme avec Joseph Losey. En 1984, il déboule à contre-emploi dans Notre histoire de l’anarcho-provocateur Bertrand Blier. Et récolte un César du meilleur acteur : tardive et paradoxale consécration.

Anouchka et Alain-Fabien ses deux autres enfants

Il s’enlise ensuite en coécrivant et coproduisant le pire navet de sa carrière, Le passage, de René Manzor. Par la suite, les années 90 ne lui offrent que des fadeurs. Il retrouve Belmondo pour le gentillet Une chance sur deux où il joue les ancêtres. Entre 1987 et 2001, il vit avec Rosali, mère d’Anouchka et Alain-Fabien.

Quand le 21e siècle se pointe, Delon n’a plus envie de cinéma. Et cela semble réciproque. Il jouera cependant avec bonheur une nouvelle fois les flics, à Marseille, pour la télévision, devenant Fabio Montale et Franck Riva.

En solitaire dans sa maison de Douchy

Delon chasse les idées noires avec ses passions. Il fait vivre sa propre marque de produits de luxe, va se faire admirer au Japon. L’ancien garçon boucher est un amateur d’art averti, qui adore Pierre Soulages, Nicolas de Stael, Jean Dubuffet. Il retâte du théâtre. Devient président à vie du comité Miss France. Puis il démissionne, car son soutien au Front national avait choqué ses pairs. Plutôt réac, surtout inclassable : il se dit gaulliste, avait appelé à voter Giscard, est ami de Le Pen, adule Sarkozy avant de se faire les yeux doux à Fillon. En même temps, il admire Visconti, communiste et homosexuel, il défend Losey, victime du maccarthysme, veut que ce soit Jack Lang qui le décore, soutien Anne Hidalgo et en 2018 signe une tribune sur le réchauffement climatique, aux côtés de nombreux artistes de gauche.

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Rien ne lui fait oublier Romy, morte en 1982, Nico, morte en 1988, Mireille, morte en 2017, Vera Baudey, sa dernière compagne morte en 2019. Il n’avait plus qu’un seul rôle à jouer, celui d’Alain Delon, rôle qu’il disputait à sa marionnette des Guignols. En se parlant à la troisième personne, il s’était mis à regarder sa vie à reculons, contemplant son propre parcours, en songeant, comme l’aurait écrit Simone Signoret, une de ses partenaires, que La Nostalgie n’est plus ce qu’elle était.

Lourdement fragilisée après avoir subi un AVC en 2019, la légende du cinéma français était depuis dans un état de santé plus que pénible à vivre. En 2023, une guerre fratricide redouble, par médias et justice interposés, entre les enfants d’Alain Delon que chacun jure vouloir protéger.

Il vivait quasiment seul depuis 20 ans dans sa maison de Douchy, avec des souvenirs en 35 mm, les fantômes de ses amours, et sans doute l’éternel malaise d’un gamin mal aimé. Un poignard que le Samouraï avait toujours eu planté au cœur.

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Les commentaires (51)
BobMorane36 Il y a 1 mois Le 19/08/2024 à 20:14

Tant de cinéma...

bnoury Il y a 1 mois Le 19/08/2024 à 15:31

Quand on pense que la DDM supprime mon commentaire pour dire que ce Monsieur était homophobe alors que c'est complètement vrai, qu'il ne s'en cachait pas et même les grands journaux télévisés en parlaient....et qu'on laisse tellement de personnes dirent des âneries...

troulatche Il y a 1 mois Le 19/08/2024 à 13:16

Au moins il ne laisse pas indifferent ...il suffit de voir tout ces commentaires haineux et sans fondement , car aucun des ces anonymes ne le connait ou peut etre est ce une certaine jalousie mal saine , je me delecte de toute cette bassesse de " bistrot " ...!