Aux confluences du jazz

Il est le poète qui croit au jazz et à la java réunis. Il l'a dit. L'a écrit. L'a chanté. Pour faire entendre son iconoclaste profession de foi, Claude Nougaro s'est immédiatement entouré de musiciens de jazz en montant sur les planches. Ceux qui naissaient, alors, en même temps que lui, sur le pavé de Paris.

Faut-il dire que le papa de Cécile qui courait, dans la nuit après une p'tite fille en pleurs, avait du nez ? L'adage tout simple, « qui se rassemble s'assemble » est tout aussi proche de la réalité. Ce fut au New Morning. « Claude adorait le jazz. Nous étions nés la même année. Il écoutait Don Byas. Moi aussi. Les livres de Sartre et de Prévert étaient nos livres de chevet », se souvient Maurice Vander, le pianiste de la première heure. Celui dont le doigté faisait sur le clavier les mêmes claquettes que la pluie.

On a beau avoir le jazz dans la peau, « non, Claude n'aurait pas aimé qu'on le catalogue parmi les jazzmen. Il ne le revendiquait pas. Il n'était pas un improvisateur, même s'il s'entourait de musiciens de jazz. Lorsque je l'ai connu, en 1962, époque où il vivait chez son père, avenue Taine (je me souviens qu'il boitait fort à la suite d'un accident de voiture), il préparait sa rentrée avec Luigi Trussardi et René Nan », dit Maurice Vander. C'est là le band des débuts de l'artiste. Les auteurs de l'intro de la jazz-bande originale qui accompagnera le Toulousain. Celle qui donne le tempo à ses nuits blanches.

AFRICA JAZZ

Rattrapé par son Sud, celui qui pousse un peu sa corne, Nougaro en appelle, justement, au soleil. Aux soleils de tous les Sud. Ceux qui s'écrivent avec des bleus à l'âme et à l'encre du blues. Il emmêle son sang à celui d'Eddy Louiss.

Avec son orgue Hammond, l'Antillais le conduira aux sources de l'Afrique jusqu'aux musiques métisses de l'île de La « Ré-union ». Claude Nougaro en aime les couleurs. Il les ramène et les épouse, avec Hélène. Body and soul.

C'est Charles Belonzi qui présente à Claude Nougaro un accordéoniste pas du tout orthodoxe : Richard Galliano. De la « java jazz » de Claude au « new tango » qui se précise chez Galliano : il a suffi d'une invitation. « J'avais 20 ans », se rappelle Galliano. « Je débarquais du Sud avec mes diplômes d'instrumentiste. Claude était auréolé de gloire… Il nous reste en partage « Des voiliers », « Allées des brouillards », « Je ne suis pas de mon avis », « Neigerie », « Vie violence »… Aujourd'hui quand j'écris une musique, je pense toujours à un texte, comme il m'a appris à le faire. » Ensemble, ils ont voyagé sept ans.

« Oui, nous étions de la même tribu… communiquant par vibrations, un sourire, des regards. Sans se parler. Sûr, il était très influencé par le jazz, sans pour autant entrer dans cette catégorie. Claude était un fou de musique, classique, opéra, chanson. Un poète amoureux de texte et de musique ».

L'AMéRIQUE

« New jazz » ou « new java », il fallait bien que ça arrive : le pèlerinage à la Mecque du jazz. Ce sera Nougayork. Pourquoi pas Newgayork ? Où Le petit taureau, que « l'on pensait indestructible » comme dit, aujourd'hui, Richard Galliano, va-t-il trouver les armes pour boxer sur les rings de Harlem, à New York ?

Dans ses quatre boules de cuir qui nous cognent au plexus par-delà l'Atlantique, Nougaro serre comme autant de sésames quelques visas rédigés en bonne et due forme, et en lettres de swing. A côté des noms que l'on vient de citer, mentionnons encore… Celui de Pierre Michelot : un an de plus que Nougaro, « le meilleur bassiste postbop qu'ait produit l'Europe ». Il lui a certainement appris à faire doucement avec les basses, tout en cultivant le drive stimulant. Un expert en son volumineux qui joue dans la nuance.

Pour l'uppercut, on cherchera l'autre visa du côté d'un inclassable artiste. Comme lui un orfèvre des mots. Poète de la Haute Lande, lui aussi torturé par son Sud. Cet autre Occitan de race qui fait feux de tous sons avec ses percussongs. Bon swing, mais c'est Bernard Lubat ! Lubat que la mort de Claude Nougaro vient de mettre KO. Ce mauvais coup « me coupe le souffle. Laissez-moi respirer ». C'est que Nougaro et Lubat furent de bonne compagnie, même si celle-ci, lorsqu'ils travaillaient ensemble, se fixait les règles du trio. Nombre d'or pour mener à train d'enfer, une Locomotive d'or.

SING SONG

Et toujours « la saudade »… Nougaro met Toulouse à l'heure de Rio, le temps d'une bossa nova. Et puis, v'là le jazz qui se berce de world music. Nougaro, alors, repart en ballade. En jazz, c'est l'un des arts majeurs. Une ballade qu'il nous chante, irlandaise. Être ou ne pas être chanteur de jazz ? Nougaro donne sa réponse dans la supplique à Louis Armstrong : Louis «… Tu te fends la poire, On voit toutes tes dents, Moi je broie plutôt du noir ». Un seul antidote : « Allez…. Chante, chante, chante, ça tient chaud ».

Le Dictionnaire du jazz (Bouquins, ed. Robert Laffont) qui accueille la plupart des compagnons de Claude, ne retient pas Nougaro. Il n'est pas du genre crooner. Ses jeux de mots ne sont pas du scat. Mais si un jour la docte Académie du jazz accueille les poètes, on aime à savourer… le nom de Nougaro y serait le premier voisin de Nouvelle Orléans. La ville où ses chants d'honneur ont puisé leurs racines. Là où le jazz prit la parole pour faire danser les couples : c'est sa vocation. Tel le « coq amoureux d'une pendule », toute sa vie, le Toulousain a chanté le jazz. Hymne à l'amour. Qui ressemble comme deux gouttes d'eau à son hymne à Toulouse, son champ de départ.

Bernadette Faget

Je suis l'enfant des mots. J'aime écrire parce que j'aime voir les mots qui jouent aux biLLes et se

payent ma biLLe ! Dans cette cour de récréation, je me crée en même temps. Je suis chanteur. Pas auteur-compositeur-interprète. Claude Nougaro chanteur !