Pourquoi
La Shoah. C'est, bien évidemment, l'un des chapitres les plus révulsant de l'histoire de l'humanité. Le crime majuscule conçu, commis et organisé par une idéologie politique pour anéantir le plus industriellement possible des millions d'hommes considérés dans toute l'acception du terme comme des «sous-hommes». Alors que l'esclavagisme et la traite négrière, ces autres crimes majuscules, s'expliquaient par des considérations raciales et économiques – une main-d'œuvre à volonté et à bas coût –, la Shoah trouvait son explication dans la volonté des nazis d'annihiler, nier, supprimer définitivement, par la mitraille, la fosse commune ou le gaz, ces hommes, femmes, enfants, vieillards, uniquement parce qu'ils les considéraient comme une «race» inférieure – «der jude». C'était en quelque sorte une «mission» d'épuration du genre humain, et, pour faire bonne mesure, on ajouta à la liste des «espèces maudites» promises à l'extermination les Tziganes, les Slaves ou encore les homosexuels et les malades mentaux.
Il nous a suffi de visiter Auschwitz et Birkenau – qu'on imagine encore peuplés de leurs fantômes tondus et hurlants –, comme il nous a suffi d'assister aux deux mois terribles du procès de Klaus Barbie, ou encore de lire les témoignages de ceux qui survécurent, pour mesurer l'étendue de l'Holocauste, sa méthode, sa machinerie, son effrayante ingéniosité, sa «logique».
Est-il même imaginable pour l'entendement commun qu'une telle organisation, dépassant en horreur l'habitude des guerres, a pu germer voici peu de temps, au cœur de notre belle Europe qui s'estimait, par la grâce de Goethe ou de Beethoven, à l'avant-garde des civilisations ?
Célébrer aujourd'hui le souvenir, ce n'est pas se complaire en de larmoyantes effusions, mais c'est affirmer que cet univers-là n'était pas un banal cauchemar que nous aurions rêvé dans le brouillard d'une nuit. C'est affirmer que l'idée même de races inférieures est une abjection totale, c'est nous convaincre qu'il faut redire sans relâche ce que furent vraiment ces années-là – et combattre ceux qui nient l'exacte vérité au point d'en devenir a posteriori complices. C'est dire aussi que le racisme et l'antisémitisme sont des poisons persistants qui coulent encore dans nos sociétés apparemment pacifiées. C'est interroger nos consciences, nos pratiques, nos regards sur l'autre, nos croyances et nos incroyances, enfin dresser la somme de nos «pourquoi».
Pourquoi Amedy Coulibaly, le franco-malien musulman, a tué des juifs pour ce qu'ils étaient, et pourquoi Lassana Bathily, lui-même franco-malien musulman, en a sauvé sans même y réfléchir? Pourquoi des citoyens français sont-ils encore saisis de peur, uniquement parce qu'ils sont d'une religion? Pourquoi se trouve-t-il des jeunes à rire de ce qu'on appelle l'«humour» de Dieudonné? Pourquoi, dans cette Grèce en fête, on a élu dix-sept députés néo-nazis? Pourquoi tous ces «pourquoi»?
Poser ces questions, c'est aussi se souvenir des fantômes hurlants du petit lac de Birkenau.
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