Nom d’un chien ! Pourquoi le meilleur ami de l’homme est maltraité par la langue française

« Temps de chien », « malade comme un chien », « métier de chien », « caractère de chien » : les canidés sont malmenés dans nombre d’expressions, reflet d’une époque où ils étaient copieusement méprisés.

Pourquoi est-on «malade comme un chien» ?  (Michal Cizek / AFP)
Pourquoi est-on «malade comme un chien» ? (Michal Cizek / AFP)

    Aujourd’hui membres à part entière de la famille - il n’y a qu’à voir comment les Simone, Raoul, Martine ont remplacé les Médor, Kim et Pupuce, on en oublierait presque qu’autrefois, les chiens n’avaient qu’une dimension utilitaire, accrochés avec une chaîne au fond de la cour et nourris un jour sur deux avec des restes de table. Cette époque, heureusement révolue, a pourtant laissé une trace indélébile dans … les expressions de la langue française !

    On a tous dans notre entourage quelqu’un qui a été « malade comme un chien » après avoir attrapé le Covid. Plus actuelle que jamais, cette expression daterait du 17ème siècle. Lorsqu’un chien était malade ou blessé, il était livré à lui-même, mis de côté, isolé (voilà un mot qui fait écho depuis la pandémie …) et s’en sortait ou mourait dans une agonie dont on ne se souciait guère.



    Mais ce n’est pas une exception : la plupart des expressions invoquant le chien ont une connotation péjorative. Prenons quelques exemples. « Un temps de chien » renvoie à une météo pluvieuse à ne pas mettre … un chien dehors (anecdote amusante : les anglais sont moins discriminants, chez eux on dit « it rains cats and dogs ») ; « un caractère de chien » désigne une personne plutôt détestable ; « un métier de chien » nous laisse penser à une activité ingrate et méprisable. Et que dire de l’insulte « c’est un chien » proférée par Jean Lasalle à l’encontre d’un éditorialiste politique en avril dernier ? Pour Julie Neveux, linguiste à la Sorbonne et dramaturge, « La plupart de ces expressions témoignent d’une époque où il était normal de maltraiter les chiens, animaux symbolisant à la fois l’extérieur, la saleté, ce qu’on peut humilier ou mépriser ».

    Domini canis

    Mais la haine du chien remonte à loin, et les observateurs la font démarrer avec les grandes religions monothéistes, les premières à associer le chien à un être impur, un diable. Les attaques des troupeaux et la peur suscitée par les meutes de chiens sauvages suffisent-elles à justifier cet amalgame ? C’est une hypothèse avancée par des chercheurs. Pour Mark Alizart, philosophe et auteur du livre Chiens (Puf, 2018) « l’antiquité païenne avait su ménager une place au chien », c’était tantôt un guerrier, tantôt un gardien « mais avec le monothéisme, l’homme est devenu le chien de Dieu, domini canis (dominicain), et comme cela lui est inconsciemment insupportable, il lui faut se distancier du chien, donc le rabaisser ».

    Rabaissé, battu, martyrisé, exploité … il n’a décidément pas toujours fait bon être chien et on ne souhaite à personne d’avoir une « vie de chien ». Denis Lafay est l’auteur d’un roman publié aux Editions El Viso en avril dernier qui s’intitule « Chienne de vie ». Alors pourquoi a-t-il choisi précisément ce titre pour son roman ? « Ça m’est surgi au moment où je composais l’intrigue. Non seulement il donne un indice mais cette expression reflétait aussi parfaitement pour moi une partie de la vie de mon personnage principal, Nicolas, faite de tourments, de drames personnels et de mélancolie. En revanche, j’ignorai l’origine de cette expression ». Confidence pour confidence, l’auteur n’a pourtant jamais imaginé son héros romantique avec « une tête de chien battu ».

    Le caniche sous-estimé

    Parfois, cela va même encore plus loin : c’est une race de chien qui peut être attaquée dans sa chair. Quand on suit quelqu’un comme un caniche, il semblerait qu’on soit dénué de tout jugement et plutôt dans la catégorie des soumis et influençables. Et que dire du débat politique américain au cours duquel Joe Biden a critiqué Donald Trump d’être « le caniche de Poutine » ? Mais c’est bien mal connaître les chiens. Le caniche arrive en effet deuxième derrière le Border collie dans le classement des races de chiens les plus intelligentes.

    La langue française n’est pas la seule à laisser sous-entendre des connotations plus que péjoratives en utilisant le lexique du chien. « Bitch » en anglais ou « chienne » ne renvoie pas uniquement à la femelle de l’espèce canine, mais bien à une dimension sexuelle et immorale qui était attribuée à l’impudeur du chien copulant. D’ailleurs, même l’expression « avoir du chien » qui sonne aujourd’hui comme un compliment, prend ses origines au 19ème siècle pour désigner une femme plutôt marginale, à l’allure dérangeante.

    Finalement aujourd’hui, l’utilisation de ces expressions dans notre langage quotidien représente une forme de transgression linguistique on les emploie sans prendre en compte du tout leur sens originel. Pour Julie Neveux, « on hérite toujours, linguistiquement, de vieux schémas interactionnels ».