Les casseroles judiciaires de la famille Bongo

Elf, «biens mal acquis»... L'affaire de la filiation du président du Gabon, Ali Bongo, est la dernière d'une longue série.

Les casseroles judiciaires de la famille Bongo

    Au palmarès des noms les plus connus de la justice française, celui des Bongo occupe une bonne place. La famille, qui occupe le pouvoir au Gabon depuis bientôt 50 ans, est régulièrement citée dans les tribunaux de l'Hexagone. Le patriarche, Omar Bongo, président de 1967 à sa mort en 2009, a ouvert le bal dans les années 1990 avec l'affaire Elf. Mais ses enfants ne sont pas en reste. Le plus connu d'entre eux, son fils Ali, qui lui a succédé à la tête de l'Etat, doit désormais se défaire d'un dossier explosif, où il doit justifier de son état civil pour pouvoir garder son fauteuil. La dernière affaire en date d'une très longue série.

    1994 : l'affaire Elf

    Le nom d'Omar Bongo apparaît dans l'affaire de détournement de fond la plus importante jamais révélée dans l'Hexagone. En 1994, la justice ouvre une enquête au sein du géant pétrolier Elf. L'instruction met au jour un vaste réseau de corruption impliquant notamment des hommes politiques français, des chefs d'entreprise et des chefs d'Etats étrangers. L'un des volets de l'affaire se concentre sur la personnalité d'André Tarallo, directeur d'Elf pour l'Afrique. Celui-ci est réputé proche de plusieurs chefs d'Etats du continent et plus particulièrement d'Omar Bongo. Selon les éléments de l'enquête, le président du Gabon, où se trouve le plus important centre d'extraction de pétrole d'Elf, aurait reçu des sommes considérables de commissions occultes de la part de la compagnie pétrolière. Le chef d'Etat joue d'abord la carte de la surprise. «Il s'agit d'une affaire franco-française, lance-t-il dans une interview à France 2 en 1996. Réglez vos histoires et, quand vous aurez mis de l'ordre, moi, Bongo, je monterai au créneau au nom du Gabon pour demander des comptes.»

    VIDEO. L'interview d'Omar Bongo en 1996

    En 2003, alors qu'André Tarallo a été condamné à 4 ans de prison ferme et 2 millions d'euros d'amende â?? une peine alourdie à 7 ans de prison en appel en 2005 â?? Omar Bongo change de discours et se place en victime. Dans les colonnes de l'hebdomadaire panafricain «Jeune Afrique», il déclare : «Tarallo peut-il produire un document, un seul, faisant de lui mon mandant ? Non, c'est du bluff. (â?¦) Lorsqu'il m'a présenté ces lettres déjà dactylographiées, je les ai signées presque les yeux fermés. Tarallo était un ami que je croyais sincère.» Le président gabonais ne sera jamais inquiété par la justice française.

    1995 : l'affaire Francesco Smalto

    Couturier des chefs d'Etat â?? notamment de François Mitterrand â?? l'Italien Francesco Smalto doit répondre en 1995 d'une accusation de «proxénétisme aggravé» portée par la justice française. La cause ? Il aurait engagé des «accompagnatrices» pour s'assurer les faveurs d'Omar Bongo. L'une d'elle, une Suédoise prénommé Monica, déclare s'être rendue à Libreville avec Francesco Smalto pour «distraire» le président gabonais et aurait eu des rapports sexuels avec celui-ci. Des accusations reconnues en partie par le couturier, qui affirme lors de son procès «qu'une présence féminine facilitait les commandes», mais niées en bloc du côté de la présidence du Gabon. Bongo, réputé proche de François Mitterrand, dénonce une agression «ignoble» conduite par «la droite française», alors que la lutte fait rage entre Jacques Chirac et Edouard Balladur pour l'élection présidentielle de 1995. L'affaire se transforme en incident diplomatique quand le Gabon décide de rappeler son ambassadeur. Dans le volet judiciaire, Francesco Smalto est condamné à quinze mois de prison avec sursis et 600 000 francs d'amende.

    2000 : l'affaire «Noir Silence»

    Omar Bongo n'apprécie pas, mais alors pas du tout, le livre «Noir Silence» de François-Xavier Verschave. L'ouvrage, sous-titré «Qui arrêtera la Françafrique ?», désigne le président gabonais comme un «dictateur criminel, corrompu et mafieux». Avec les présidents tchadiens, Idriss Déby, et Congolais, Denis Sassou-Nguesso, il dépose une plainte à Paris pour «offense à chef dâ??Etat». Ils seront finalement déboutés, au nom de la liberté d'expression.

    2007 : l'affaire des biens mal acquis

    Une grosse trentaine d'appartements et d'hôtels particuliers, une vingtaine de véhicules et près de 70 comptes bancaires. Voilà les principales lignes du patrimoine de la famille Bongo en France. En 2007, une plainte est déposée par trois associations â?? CCFD, Terre solidaire et Sherpa â?? contre les familles dirigeantes du Congo-Brazzaville, de Guinée équatoriale et du Gabon. Les résultats de l'enquête préliminaire, publiés par «Le Monde» en 2008, dévoile la liste des biens mal acquis par Omar Bongo, en son nom propre ou ceux des membres de sa famille.

    En 2009, alors que le président gabonais vient de décéder, la justice s'intéresse aux comptes ouverts au nom d'Edith Bongo, sa femme, qui est aussi la fille du président du Congo, Denis Sassou Nguesso. L'enquête est toujours ouverte. En septembre dernier, Ali Bongo, qui a succédé à son père à la présidence du Gabon, a commenté l'affaire au micro d'«Europe 1» : «C'est politique. On instrumentalise la justice et cela fait huit ans que cela dureâ?¦ Ceux qui sont venus les premiers parler de cette question n'ont jamais apporté la preuve de quoi que ce soit.»

    2009 : deux comptes d'Omar Bongo en France gelés par la justice

    En 1996, un chef d'entreprise français, engagé dans un conflit commercial avec Omar Bongo, est emprisonné au Gabon pendant 48 jours. Sa famille doit verser 450 000 euros sur le compte personnel du président gabonais pour le faire sortir. Un paiement «indu et soumis à restitution» selon la justice française. Le 13 février 2009, quatre mois avant le décès d'Omar Bongo, deux de ses comptes bancaires sur le territoire français â?? plus de 4 millions d'euros â?? sont gelés suite à une décision de la cour d'appel de Bordeaux, pour l'obliger à rembourser.

    VIDEO. Un chef d'entreprise français fait plier le clan Bongo

    2015 : Pascaline Bongo, spécialiste des impayés

    Huit millions d'euros de factures impayées. Pascaline Bongo, fille et ancienne chef de cabinet d'Omar Bongo, possède un beau passif auprès de la société suisse Travcon AG, spécialisée dans la location et la privatisation d'avions d'affaire et civils. Selon des documents consultés par «Le Monde Afrique», l'aînée de la fratrie Bongo a multiplié les vols à bord de jets Gulfstream, d'Airbus A319 ou de Boeing 757 pour un montant total de 86 millions d'euros.

    Problème, elle n'a pas tout payé. Travcon AG a saisi la justice française qui a prononcé, le 25 février 2015, la saisie d'un Boeing 777 de l'Etat gabonais, stationné à Orly pour maintenance. L'appareil a été rendu mi-avril selon la présidence gabonaise. Au même moment, «Le Canard enchaîné» a dévoilé la facture très salée de Pascaline Bongo auprès d'une société française, Blue Mendel, qui aurait livré pour 450 000 euros de marchandises diverses à Libreville sans être payé. Là encore, la justice française a été saisie. D'abord prévu pour le 17 mars 2015, le procès n'a toujours pas eu lieu.

    2015 : Ali Bongo, président illégitime?

    En octobre 2014, le journaliste français Pierre Péan publie un livre intitulé «Nouvelles affaires africaines» dans lequel il met en doute l'origine gabonaise d'Ali Bongo, fils d'Omar Bongo. Selon l'auteur, le nouveau président du Gabon serait né au Nigéria â?? plus exactement dans la région du Biafra â?? avant d'être adopté par le clan Bongo. L'affaire aurait pu rester au stade de la simple rumeur sans la plainte déposée par Onaida Maisha Bongo, 25 ans, fille d'Omar Bongo â?? qui a reconnu une cinquantaine d'enfants. Celle-ci a saisi le tribunal de grande instance de Nantes contre son frère, alors que l'héritage du patriarche de la famille, estimé à plusieurs centaines de millions d'euros n'a toujours pas été partagé.

    Pourquoi Nantes ? Parce qu'y est installé le Service central d'état civil du ministère des Affaires étrangères, qui avait la charge jusqu'en 1960 de collecter les actes de naissances enregistrés dans les colonies d'Afrique équatoriale. Pour Ali Bongo, l'affaire est explosive : la Constitution du Gabon précise que le président de la République doit être impérativement d'origine gabonaise. Le 12 novembre dernier, la justice française a autorisé Onaida Maisha Bongo à consulter l'état civil complet de son aîné.