VIDEOS. Daech : Raqqa, aux portes de l'enfer

Nos reporteurs en Syrie ont pu recueillir les témoignages des rescapés de Raqqa, qui fuient en masse la capitale du « califat », ses exécutions barbares, sa charia féroce. Plongée dans l'horreur.

VIDEOS. Daech : Raqqa, aux portes de l'enfer

    Quand on s'approche de lui, une odeur aigre et désagréable saute instantanément aux narines. « Désolé, je n'ai pas eu le temps de me laver. J'ai passé ma journée caché dans un camion rempli de moutons pour échapper aux hommes de l'Etat islamique », s'excuse Mahmoud Adjad, 47 ans, qui a fui Raqqa dans la nuit de vendredi à samedi avec l'une de ses cousines, assise à côté de lui, le regard dans le vide. Cet entrepreneur en travaux publics, qui travaillait régulièrement avec le Liban avant la guerre, a terminé son périple à pied avant de franchir les lignes des forces kurdes syriennes, plus au nord, pour y trouver refuge. « On ne peut plus vivre là-bas, c'est l'enfer sur terre. 90 % de la population voudrait faire la même chose que moi, mais les djihadistes bloquent toutes les sorties de la ville et menacent de nous tuer », témoigne-t-il en regardant derrière son épaule. Comme si la menace était toujours là.

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    Alors, il faut trouver des subterfuges, se montrer malin. Ali Jasin, 18 ans, chèche rouge sur la tête, a attendu 3 heures du matin pour éviter les barrages et couper à travers champs. « Quand on connaît bien Raqqa, c'est faisable. Ce qui me préoccupe, c'est que mes parents sont restés là-bas. Je suis inquiet pour eux. Si elle est interrogée, ma mère a prévu de dire que je me suis absenté pour aller chercher ma future femme près de la frontière turque. Mais je ne reviendrai jamais », jure le lycéen en crachant par terre.

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    Un peu plus loin, un homme accompagné de ses neuf enfants nous explique qu'il a prétexté un cancer de sa femme pour arracher une fausse autorisation médicale à un de ses amis employé à l'hôpital. « Je ne vous dirai rien de plus. J'ai peur, monsieur, j'ai peur, vous comprenez ? » lâche-t-il en tournant les talons.

    Les témoignages des habitants de Raqqa parvenus à s'échapper ces derniers jours font froid dans le dos. « Les exécutions ou les punitions sont quasi quotidiennes, nous raconte Mahmoud, 33 ans, blouson en cuir et baskets trouées. J'ai vu un homosexuel jeté d'un toit, un adolescent décapité parce qu'il jouait de la batterie, une femme lapidée à coups de pierres dans la tête pour adultère. Les corps pourrissent dans la rue pour marquer les esprits. Certains sont pendus à des poteaux, bien en hauteur, pour que tout le monde les voie. Je peux vous montrer des vidéos, si vous voulez. »

    Dans la « capitale » de Daech, la police islamique fait régner la terreur. Les cinq prières par jour sont obligatoires, tout comme le port du voile intégral pour les femmes. La charia est appliquée avec férocité. « On fume en cachette dans la maison, mais il faut faire attention. Si un milicien repère une odeur suspecte sur nos vêtements, c'est le fouet assur?, souffle Ali Jasin. Les djihadistes viennent du monde entier. Les Français restent entre eux et sont connus pour être aussi cruels que les autres, voire davantage.

    Mabrouké (Syrie), dimanche. Pour fuir «l'enfer sur terre» de Daech, les populations civiles partent à pied à travers champs, de nuit, avec la crainte de tomber sur un barrage du groupe Etat islamique. (LP / Arnaud Dumontier.)

    Outre les innombrables punitions et la zakat â?? l'impôt révolutionnaire, qui varie selon les biens des familles â??, ce qui braque la population, c'est le prix des produits de première nécessité (thé, sucre, huile, farine). Il a bondi ces derniers mois. « Le demi-kilo de pain coûte un demi-dollar au lieu de 5 centimes », râle une vieille femme édentée, en secouant la tête. L'électricité et l'eau sont fréquemment coupées. « On doit remplir nos bidons dans le fleuve Euphrate, à dos de mulet. Nous sommes revenus mille ans en arrière », souffle Mohammed.

    A Raqqa, les bombardements de la coalition se sont intensifiés depuis les attentats de Paris en novembre. Alors, les djihadistes se sont adaptés. « Ils ont pris des logements au milieu de la population et ne se déplacent plus en groupe. Dès qu'ils entendent le bruit des avions, ils quittent leurs positions autour des checkpoints pour se cacher », détaille un habitant qui ne souhaite pas nous donner son nom. Par crainte des espions, les paraboles télévisées ont été bannies dans certains quartiers. Le wi-fi est désormais interdit partout et les web-cafés surveillés par les miliciens.

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    Côté militaire, les forces kurdes syriennes appuyées par des unités arabes hostiles au « califat » n'ont cessé de se rapprocher depuis quelques semaines. Elles sont désormais à moins de 30 km de Raqqa. Selon les habitants, les hommes en noir se préparent activement à une offensive terrestre. « Ils se barricadent et creusent des tranchées un peu partout pour se déplacer en cas d'attaques. Ils sont des milliers armés jusqu'aux dents et ne seront pas faciles à déloger », reconnaît Basil Asaad, un officier kurde. Soudain, un avion de la coalition zèbre le ciel pour aller lâcher ses bombes quelque part dans la ville. La bataille de Raqqa a déjà commencé.