VIDÉO. Le roquefort est-il menacé par le Nutri-score?

FOOD CHECKING. L’indice nutritionnel pourrait bientôt être obligatoire sur tous les produits de supermarché, y compris les fromages comme le roquefort. Problème : la note de ce dernier serait alors la pire. Selon Serge Hercberg, le « père » du Nutri-score, l’indice qu’il a créé a beaucoup de qualité… mais aussi des limites.

    « C’est un non-sens complet, une injustice, de donner la pire note du Nutri-score au roquefort ! s’indigne Delphine Carles, à la tête des roqueforts Carles, en Aveyron. Les gens vont comprendre qu’il ne faut pas en manger. » Et pourtant, la menace plane bien au-dessus du roquefort comme de nombreux autres fromages et charcuteries du terroir français. Cet indice nutritionnel apparu en France en 2016 classe les aliments du supermarché en cinq catégories, de A à E, selon qu’ils sont bons ou non pour la santé.

    Cet étiquetage est facultatif et donc, pour le moment, absent des emballages de roquefort. Mais il pourrait devenir obligatoire dans l’Union européenne après un vote du parlement européen prévu d’ici à la fin de l’année. Et les producteurs s’inquiètent. Delphine Carles, une des rares fabricantes artisanales à Roquefort-sur-Soulzon, a accepté de nous montrer comment elle procédait. « Le lait de brebis, notre matière première, est effectivement un lait gras, explique-t-elle devant une cuve remplie. Mais c’est du bon gras. A l’intérieur, il y a du calcium, des vitamines, des oligo-éléments… »

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    Le liquide caillé avec de la présure et des ferments est découpé en cubes, brassé puis moulé dans des formes de « pains » cylindriques. On y saupoudre le champignon penicillium roquefort qui, grâce à l’affinage, développera les marques bleu vert spécifiques du roquefort.

    Mais reprenons. Après égouttage, le fromage est généreusement salé : sur la tranche, sur une face, puis à nouveau trois jours plus tard. « Le sel, ça n’est pas un bon produit pour la santé mais ça n’est pas non plus un mauvais produit, poursuit Delphine Carles, qui, avant de produire du fromage, fut pharmacienne en laboratoire. C’est un conservateur naturel. Il vaut mieux ça que des additifs, non ? » Elle poursuit : « C’est une aberration de se retrouver dans la même catégorie, « E », que des produits industriels ultratransformés comme le Coca-Cola ou le Nutella. »

    Comment fonctionne le Nutri-score

    Pour le moment, aucune de ces denrées n’affiche son indice nutritionnel réel sur l’emballage. Mais il est possible de le connaître en utilisant l’outil de calcul du Nutri-Score, un tableur Excel disponible sur le site de Santé publique France. « Pour le roquefort, cliquez sur l’onglet « Fromages » et reportez les valeurs nutritionnelles de l’emballage du produit dans le tableau », explique Serge Hercberg, chercheur en nutrition et en épidémiologie, l’homme qui est justement à l’origine du Nutri-score.



    Pour l’exemple, on saisit un roquefort Société (une marque de l’industriel Lactalis). « Ce qui pose problème dans le roquefort, poursuit Serge Hercberg, c’est la présence d’acides gras saturés – 22,5 g pour 100 g de produit – et surtout la teneur en sel extrêmement élevée – 3,35 g pour 100 g. Cela augmente le risque de maladies cardiovasculaires. » Résultat : le tableur affiche bien une note « E » .

    A titre de comparaison, la fourme d’Ambert de la marque Monoprix, moins salée, obtient un « D ». Et le St Môret « léger » de l’industriel Savencia, avec 8 % seulement de matière grasse ? Sa note est « C ». « Quand on doit arbitrer, il faut prendre en considération le Nutri-score mais aussi le niveau de transformation du produit, reprend le scientifique. Et pour cela, il y a un outil très efficace : l’application Open Food Facts. »

    En scannant le code-barres du St Môret « léger », on obtient bien un « C »… Mais aussi un indice de transformation Nova « 4 » sur fond rouge. « On a affaire à un produit ultratransformé qui peut déclencher des maladies chroniques », décrypte Serge Hercberg. En comparaison, le roquefort obtient un Nova « 3 » : « C’est un produit transformé, certes, mais pas ultratransformé. » Un bon point.

    Roquefort : le moment du test à l’aveugle

    Et du point de vue du goût ? Comme on était de passage en Aveyron, on a fait goûter ces trois fromages à un chef à la fois local et mondialement célèbre, Sébastien Bras.

    « C’est un fromage de type bleu, avec un goût salé, assez court en bouche », déclare le patron du restaurant Bras, à Laguiole, après avoir goûté, les yeux bandés, un morceau de fourme d’Ambert. Et le roquefort ? « Un petit peu plus salé mais ça n’est pas du tout la même sensation de gras au palais. C’est plus agréable. C’est un roquefort ! » Quant au St Môret « léger » : « C’est un fromage à tartiner. Je sens du sucre (il y en a bien 5 % dans la préparation, NDLR) et je pense que le taux de matière grasse n’est pas le même que dans les autres fromages. »

    Au classement, il préfère le roquefort Société (17,93 €/kg) suivi par le St Môret « léger » (19 €/kg) et la fourme d’Ambert (13,25 €/kg).

    « Défendre un produit comme le roquefort, c’est défendre mon territoire, mon histoire », conclut Sébastien Bras, plutôt content d’avoir choisi, même à l’aveugle, le fromage de sa région. En résumé, il ne faut pas prendre le Nutri-score comme un indice absolu quand on s’intéresse aux atouts santé de l’aliment que l’on achète.

    Il faudrait aussi, comme Open food facts le fait, se référer au niveau de transformation (le score Nova). Et même, selon la grille de lecture de chacun, à l’impact environnemental, au caractère bio qui garantit l’absence de pesticides de synthèse, ou à l’Appellation d’origine protégée (AOP) qui figure sur le roquefort et qui valorise généralement les produits du terroir. Rien n’est simple !