Albert Uderzo, le dessinateur d’Astérix, est mort

Créateur avec René Goscinny des aventures d’Astérix, Albert Uderzo s’est éteint dans la nuit de lundi à mardi, à un mois de ses 93 ans. Le petit Gaulois est définitivement orphelin.

 Albert Uderzo s’en est allé à l’âge de 92 ans, laissant la Gaule dans le chagrin.
Albert Uderzo s’en est allé à l’âge de 92 ans, laissant la Gaule dans le chagrin. LP/Philippe de Poulpiquet

    Clopinard est en deuil. Clopinard était un grognard qui avait remplacé son pied perdu par la culasse de son canon. Pour résister au temps qui passe, ce personnage improbable avalait une charge de poudre. Vous trouvez ça ahurissant ? Albert Uderzo, qui est mort dans la nuit de lundi à mardi d'un infarctus à un mois de ses 93 ans — il était né le 25 avril 1927 à Fismes, dans la Marne —, était bien d'accord. Il n'empêche que ce personnage inventé pour un concours de dessin lui avait valu le premier prix et la publication de son tout premier album.

    Uderzo est mort. Il faudra longtemps pour s'en faire une idée fixe. Comme c'est le cas pour son ami et « frère » scénariste René Goscinny, qui semble encore, quarante-deux ans après sa disparition, tellement vivant aux millions de lecteurs d'Astérix. Les deux hommes s'étaient rencontrés en 1946 au 34, avenue des Champs-Elysées, dans les bureaux de la World Press, une maison d'édition de bande dessinée créée par un Bruxellois qui faisait marner ses ouailles jour et nuit.

    Bagarre dans les rangs de l'Assemblée

    Auparavant, la BD ne nourrissant pas son homme, Albert avait tâté du journalisme. Reporter-dessinateur pour les gazettes. Son matériel à dessiner en bandoulière, il s'en allait sur le terrain. « J'ai dessiné une bagarre à l'Assemblée ou le coureur Gino Bartali se faisant caillasser », racontait-il.

    Petit-fils d'Italiens, Albert, marié à Ada depuis soixante-cinq ans et père d'une fille, Sylvie — « j'ai une pensée intense et profonde pour elles qui sont aujourd'hui dévastées », nous confie Anne Goscinny, fille de René — était le fils de Silvio, menuisier-charpentier, dont le patronyme évoque très vraisemblablement le village d'Oderzo, en Vénétie (Italie).

    L'enfant avait passé ses onze premières années à Clichy-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis. La maman s'appelait Iria, tombée raide amoureuse de ce sergent de l'artillerie de montagne qui avait dompté sous ses yeux un cheval blanc emballé. L'amour s'emballa de même. Quatre enfants. Albert était le troisième. « Mon père nous a appris que le travail c'est la santé », rappelait celui qui a poursuivi seul, dès 1977, endossant dessin et scénario sous la bannière des éditions Albert-René, les aventures du petit Gaulois.

    « Je me suis lancé dans l'aventure par orgueil »

    Un projet de Titan. D'aucuns, dans le métier, pensaient qu'il n'y arriverait. « Justement, ça m'a boosté, rétorquait cet homme au visage carré et au sourire franc réputé pour sa poigne en affaires. Je me suis lancé dans l'aventure par orgueil. Quand j'y repense, c'était assez osé. Mon but était de faire vivre ce personnage sans le défigurer. » Et quand le cinéma s'en mêla (une quinzaine de films, en tout, dessins animés compris), on pouvait compter sur ce « gardien du temple » tel qu'il se définissait pour veiller au grain : « Il ne faudrait pas qu'Astérix, martelait-il, s'engouffre dans le sexe ou dans la politique. »

    Collectionneur impénitent de Ferrari — il en possédait de tous modèles —, Albert Uderzo, qui aimait par-dessus tout la nature et les animaux, recevait au premier étage de son hôtel particulier à Neuilly-sur-Seine. Son bureau était un camp retranché de souvenirs, de photos d'amis, de témoignages d'admiration. Une lettre de Louis de Funès (« Merci mille fois pour votre joli dessin ! ») figurait bien en évidence. Une petite armée de produits dérivés accompagnant des collections d'albums originaux d'Astérix s'alignait derrière des vitrines. Lesquelles reflétaient l'éblouissante réussite qu'il avait fallu aller chercher, l'humour au fusil mais avec les dents. Clopinard pourra en témoigner.