Des Sherlock Holmes de la bobine

Voici les experts à Bois-d’Arcy. Les chargés d’études documentaires mènent l’enquête en auscultant soigneusement les bobines qu’ils réceptionnent. Objectif ? Obtenir des indices pour tenter d’en déterminer l’époque, la provenance, le réalisateur.
Voici les experts à Bois-d’Arcy. Les chargés d’études documentaires mènent l’enquête en auscultant soigneusement les bobines qu’ils réceptionnent. Objectif ? Obtenir des indices pour tenter d’en déterminer l’époque, la provenance, le réalisateur. (LP/Arnaud Journois.)

    Ce sont les rouletabille de la pellicule. Chargés d'études documentaires au CNC, Patrice Delavie et Eric Loné, diplômés d'écoles de cinéma et véritables encyclopédies de l'histoire du septième art, ont trouvé des trésors parmi les centaines de vieilles bobines qu'ils réceptionnent, inventorient et auscultent chaque année à la manière de détectives exploitant les plus maigres indices. « C'est la partie la plus excitante du métier », s'enthousiasment-ils derrière leur table de montage où ils opèrent dans le noir absolu. Il faut savoir que les vieux films étaient souvent projetés sans générique et sans titre, où alors des titres farfelus « que leur attribuaient les forains pour les projections publiques », détaillent-ils. D'autres présentaient plusieurs versions, suivant les régions de projection. « Par exemple, dans l'ouest de l'Hexagone, très catholique, on ne diffusait pas de films avec des scènes de suicide. Plusieurs versions étaient donc tournées ». Le long-métrage de Julien Duvivier « la Belle Equipe » avec Gabin présentait ainsi une fin triste et une fin gaie, choisie pour la sortie en salles. Les deux sont conservés à Bois-d'Arcy. Des éléments de patrimoine précieux.

    Patrice Delavie et Eric Loné ont de jolis coups à leur actif. C'est en apercevant dans un plan le théâtre du magicien Houdini que ces techniciens ont identifié un film de Méliès d'avant 1905 intitulé « Défense d'afficher ». Ils ont aussi découvert dans leur boîte métallique, dormant sous la poussière, les bobines d'un western sans générique de 1917. Il s'agissait en fait de l'un des tout premiers John Ford, « Bucking Broadway » (« A l'assaut du boulevard »), aujourd'hui conservé au Museum of Modern Art de New York. La numérisation et la restauration du John Ford ont nécessité un an de travail de la part de Vanina Angelini, chargée de la restauration des films et ses équipes.

    Une fois la pellicule numérisée, les restaurateurs manient des logiciels extrêmement puissants et précis pour nettoyer le plus infime grain de poussière, estomper les nombreuses rayures rattrapables, restituer les contrastes, la densité des gris et des clairs ou encore effacer les effets de souffle et synchroniser la bande-son. Un travail de fourmi, dans le respect absolu des œuvres originales. Ne parlez surtout pas de colorisation des films noir et blanc dans le sanctuaire du fort de Bois-d'Arcy : pour ces gardiens du patrimoine cinématographique, il s'agit d'une hérésie.