Exposition : Deauville célèbre ses artistes peintres

Il n'y a pas qu'un festival de cinéma, des planches et des cabines de bain aux noms de stars américaines à Deauville. Tout l'été, les peintres qui célèbrent la Côte fleurie, de Corot à Monet, sont exposés dans la station balnéaire.

 «Une plage en Normandie» (1872-1874) de Jean-Baptiste Camille Corot.
 «Une plage en Normandie» (1872-1874) de Jean-Baptiste Camille Corot. Région Normandie

    On aperçoit le drapeau vert, juste à côté de l'entrée. La mer est calme ce mercredi de juillet. On ira se baigner après. Car, à Deauville, cet été, l'exposition « Artistes en Normandie », au Point de vue, à côté des planches, entre la piscine olympique et le poste de secours au plein centre de la plage, invite à voir les paysages... en peinture. Tous les estivants ne pensent pas à entrer, loin de là. Deauville ne fait pas partie des itinéraires muséaux habituels sur la côte normande. On passerait plutôt directement du Havre à Caen en s'arrêtant à Honfleur, voire Trouville. Mais voilà, en 2020 ouvrira un nouveau lieu à Deauville, le musée des Franciscaines, qui abritera une importante collection d'art sur les paysages locaux, du XIXe siècle à aujourd'hui, de la peinture à la photo et à la vidéo. Cette exposition en donne un premier aperçu.

    La collection, réunissant 170 tableaux, lancée en 1992 sous l'égide du Conseil régional, avec un mécénat d'entreprise, a été présentée à l'occasion dans les salons de l'Assemblée nationale et à l'étranger. Elle était accueillie jusqu'ici à l'Abbaye-aux-Dames à Caen, siège du Conseil régional de Normandie. Mais elle restait pratiquement inconnue du grand public. Alors on peut parler de révélation.

    Quelle trouvaille, par exemple, de pouvoir comparer « la Jetée de Trouville », peinte par Eugène Boudin en 1884, quatre ans avant sa mort en plein été à Deauville — l'acte de décès du grand peintre de la région est présenté dans l'exposition —, à quelques centaines de mètres du motif, ce chenal qui sépare toujours Deauville de Trouville. Il arrive encore — on en a vu un dans la semaine — que des voiliers s'y échouent à marée basse, comme sur la toile.

    Peintres dans le vent

    Tout l'intérêt réside dans l'extrême proximité des motifs et des tableaux. Toujours de Boudin, la magnifique « Marée basse, soleil couchant » fait écho au fameux « Impression soleil levant » de Claude Monet, dont il fut le maître aux débuts du géant impressionniste. L'unique toile exposée de ce dernier triche un peu, si l'on ose dire, puisqu'elle a été peinte à Étretat, de l'autre côté de l'embouchure de la Seine. Presque un peu loin...

    L'exposition raconte aussi une histoire. En 1865, quand Gustave Courbet peint « la Plage de Trouville », il montre non pas les estivants, mais deux hommes courbés, travailleurs de la mer, à la recherche de crustacés à marée basse. L'hippodrome de Deauville et la gare des deux stations balnéaires n'ont été inaugurés que deux ans plus tôt. Courbet, le réaliste, le futur communard, préfère montrer une étendue désolée dans le vent, parcourue par deux travailleurs. On y sent le poids de la pauvreté.

    En 1865, Gustave Courbet peignait «la Plage à Trouville». (Région Normandie/Inventaire général/Patrick Merret)

    Daubigny et Cals paraissent en majesté. Renoir aussi avec un « Coucher de soleil » presque abstrait, extrêmement atypique dans sa production, tout dans les flous lumineux, l'imperceptible. Vuillard et Bonnard viennent aussi sur la Côte fleurie et dans les terres, avant la génération Dufy, puis de nombreuses autres ensuite. Comme André Hambourg, disparu en 1999, présent à travers un très beau « En septembre sur la plage de Trouville », daté des années 1970. Il peignait à l'ancienne parmi les vacanciers, reconnaissable à un signe particulier : son parasol blanc, le seul qui ne soit pas coloré parmi ceux loués sur la plage.

    Cette peinture de paysages, qui a perduré, saisit l'évolution sociologique d'une société de loisirs, où les enfants arrivent au premier plan. Comme sur cette formidable photo de Robert Doisneau de 1963, où une femme — une gamine ? — photographie elle-même une dame en chapeau qui s'est endormie sur son transat, tout habillée, son journal ouvert sur les genoux, rattrapée par la marée montante. « C'est notre pays lancé dans la mer, dansé sur la vague », écrit le romancier Patrick Grainville, enfant de Deauville, dans le catalogue. Bien dit.

    Balade à bord d'un vieux gréement

    L' association Petit Foc propose des balades en mer pour mieux voir cette côte peinte par les artistes, à bord du « François Monique », un vieux gréement de 1935, bateau de pêche retapé et transformé dans les années 1970. On nous a dit de venir avec les enfants et des carnets pour dessiner. Ils sont ravis mais un peu surpris. Pas sûr de dessiner quand le vent se lève et qu'un paquet de mer vous trempe. N'oubliez pas le ciré. N'empêche, changer de place au gré des caps du capitaine, écouter le son de la voile quand le moteur est coupé à la sortie du chenal, éprouver physiquement le mouvement de la mer pendant deux à quatre heures, ça change du bronzage horizontal sur la plage.

    « François Monique », le vieux gréement de l'association Petit Foc. (DR)

    À voir aussi : sirènes et apparitions fantastiques

    À une heure de Deauville-Trouville en voiture ou en bus, le musée d'Art moderne André-Malraux du Havre, avec ses baies vitrées donnant sur le port et l'entrée ou la sortie des tankers, présente une exposition sur la mer... imaginaire. Sirènes, femmes-hippocampes ou encore le très beau « Christ apaisant la tempête » de James Ensor. L'exposition « Né(e)s de l'écume et des rêves » raconte comment les artistes rêvent la mer plus qu'ils ne la voient. Poissons et pieuvres monstrueux, univers visuel à la Jules Verne, océan glacial, une sublime « vallée dans la mer » : ici, vous ne reconnaîtrez rien de familier, sinon vos rêves et cauchemars.

    « Une sirène » (1873), d'Élisabeth Jerichau-Baumann. (Ny Carlsberg Glyptotek, Copenhagen)

    Pratique

    • L'EXPO.  « Artistes en Normandie », jusqu'au 16 septembre au Point de Vue (7 rue de la mer, Deauville, Calvados). Horaires : 10h30-13h30 et 14h30-18h du mercredi au jeudi, 20h30 le jeudi. Prix : 5 €, gratuit pour les moins de 26 ans. www.indeauville.fr
    • À VOIR. « Né(e) de l'écume et des rêves », jusqu'au 9 septembre au musée André-Malraux des Beaux-Arts du Havre. Horaires : 11h-18h (19h le week-end), fermé lundi. Prix : 4-7 €. www.muma.lehavre.fr