Exposition : le Louvre célèbre Eugène Delacroix

Le Louvre célèbre Eugène Delacroix (1798-1863) qui, loin des manuels scolaires, a révolutionné la peinture, mais aussi l’image de l’artiste.

 Eugène Delacroix, « Autoportrait au gilet vert » (vers 1837). Huile sur toile. 65 x 54 cm.
Eugène Delacroix, « Autoportrait au gilet vert » (vers 1837). Huile sur toile. 65 x 54 cm. RMN-GRAND-PALAIS/MICHEL URTADO

    « Prie le ciel que je sois un grand homme ». Delacroix a 17 ans et un ami pour seul auditoire, mais ça ne va pas durer. Dans cette lettre de 1815, « l'enfant du siècle », comme l'appelle Sébastien Allard, directeur des peintures du Louvre à l'origine de cette magistrale exposition, prend acte de l'abdication de Napoléon. Il ne sera pas général d'empire comme son grand frère, ni héros tombé à la bataille de Friedland comme son autre frère, ni ministre comme son père trop tôt disparu, mais l'orphelin tiendra son rang.

    Il n'a plus le choix des armes : à défaut du sabre, le pinceau ou la brosse. Il y excelle. Peintres maudits, passez votre chemin. Delacroix veut être béni des dieux et du public. Regardez cet autoportrait de jeunesse : on dirait un lion comme ceux qu'il peindra. Il veut en découdre. Sa famille est décimée, les survivants ruinés. Delacroix a un nom, mais pas un sou.

    Le coloriste virtuose - de bons gènes vraiment, l'oncle fut aussi un grand peintre - a une stratégie pour frapper vite : ne pas tenter le Prix de Rome comme les bons élèves, toucher la foule plutôt que les vieilles barbes académiques, en brillant au Salon, nouveau rendez-vous à la mode des peintres où les gazettes font et défont les réputations. Une de ses peintures est qualifiée de « tartouillarde » ? Tant pis, tant mieux : l'important est qu'on en parle. Delacroix cherche le buzz. Peut-être aujourd'hui ferait-il partie des artistes les plus actifs sur les réseaux sociaux…

    Il a besoin de posséder les modèles pour les peindre

    Coup d'essai, coup de maître. Au prix d'un pari qui impressionne dans la première salle de l'expo, avec ses chefs-d'oeuvre de jeunesse, de « Dante et Virgile », peint à 24 ans, à « La liberté guidant le peuple ». D'immenses formats, le rejet de l'antique, des peintures de guerres contemporaines, comme « Les massacres de Scio », sur les tueries de civils grecs par les Turcs. « Il est allé très loin dans la prise de risques. Ces tableaux, qui lui coûtaient cher à produire, pouvaient lui rester sur les bras. Il n'avait pas de commande », rappelle Sébastien Allard.

    Mais la stratégie paie : les collections royales achètent et Delacroix entre très jeune au Luxembourg, alors musée des artistes vivants, antichambre du Louvre. Géricault est mort à 32 ans, David s'est exilé après la chute de Napoléon : la star, c'est lui.

    Guerre et sexe. Delacroix est un dévoreur. De couleurs, d'honneurs, de rondeurs. Celles des femmes. On parlait des « Massacres de Scio », peinture tragique d'un peuple assassiné ? Quelle surprise de découvrir dans son journal intime que le peintre a couché avec deux des modèles qui incarnent des gisantes dénudées sur la toile.

    « Il a besoin de posséder les modèles pour les peindre », confirme le commissaire. « Grand manque de sexe. Je suis tout à fait abandonné », se lamente-t-il un jour sans bonne fortune. Ce désir, son « cancer », dit-il, le hante et le révèle : l'affamé a une sainte horreur du manque -il « s'ennuie » dès qu'il ne peint pas- ce qui explique ces fureurs accumulées en geyser au premier plan des tableaux, chevaux, lions, guerriers, se tuant les uns les autres. Corps à corps, la jouissance ou la mort.

    EN DIRECT : Visite privée de l'exposition Delacroix au musée du Louvre

    Avant son ouverture jeudi 29 mars, visitez en avant première l'exposition Delacroix au Musée du Louvre en compagnie de Sébastien Allard, commissaire de l'exposition et d'Yves Jaegle, journaliste au service culture du Parisien

    Gepostet von Le Parisien am Dienstag, 27. März 2018

    Delacroix vit et peint dans l'instant. Ni épouse ni enfant, mais le refus d'une servante, ou une ouvrière qu'il suit dans la rue sans oser l'aborder, gâche ses nuits. Star et ultramoderne, il l'est aussi par le choix de ses modèles, souvent métis : « Il est fasciné par les peaux colorées, bronzées, marbrées. Il les peint comme du textile », ajoute l'autre commissaire, Côme Fabre. Le peintre des « Femmes d'Alger » et d'une « Noce juive » au Maroc nous parle : désirer l'étrangère, être curieux des coutumes de l'autre, c'est mieux que l'exclure. C'est aussi ça, la liberté guidant le peuple.