Alain Souchon : «Mes fils ont fait une parenthèse dans leur carrière pour s’occuper de moi»

LE PARISIEN WEEK-END. Onze ans qu’il n’avait pas sorti un album solo de morceaux originaux. Pour composer son « Ame Fifties », le chanteur a fait appel à ses deux fils, Charles et Pierre.

 Le père Alain Souchon et ses deux fils Charles Souchon (alias Ours) et Pierre Souchon.
Le père Alain Souchon et ses deux fils Charles Souchon (alias Ours) et Pierre Souchon. LP/Frédéric Dugit

    C'est surprenant de voir Alain Souchon, 75 ans, se balader en baskets. On l'imaginait plutôt porter de vieilles chaussures marron… « Je l'ai emmené les acheter l'autre jour », confie Pierre Souchon, son fils de 47 ans. Son cadet, Charles Souchon - alias Ours, son nom de scène -, 41 ans, abonde : « On essaie de soigner son look! »

    Son look, mais aussi sa musique. Depuis trois ans, le trio ne se sépare plus. Leur complicité est évidente. Et même touchante. Ensemble, ils ont composé les chansons du troisième volet du conte musical « le Soldat rose » (2017), donné des dizaines de concerts à travers la France, mais surtout créé les dix titres originaux d'« Ame Fifties », premier album de chansons originales d'Alain Souchon depuis près de 11 ans…

    Emmené par un piano et des cordes mélancoliques, le disque est une merveille. Alain Souchon s'y montre nostalgique, porte dans ses textes un regard tendre sur son adolescence, faite de voyages, d'amour et d'insouciance. Il n'a pas vraiment changé. En le voyant gesticuler et blaguer avec ses fils, on en vient même à se demander qui est le père de qui !

    Vous ne vous quittez plus, depuis trois ans…

    CHARLES SOUCHON. C'est vrai! Mon frère travaille depuis 1993 sur les albums de notre père, mais la première fois que l'on s'est vraiment retrouvé en studio tous les trois, c'était pour enregistrer une chanson du film « Ouvert la nuit », d'Edouard Baer, en 2016. On s'était tellement amusés qu'il fallait que l'on remette ça.

    ALAIN SOUCHON. Juste après, Pierre-Dominique Burgaud, l'auteur du conte musical « Le Soldat rose », nous a proposé de composer les musiques du troisième volet du spectacle. Nous avons pris beaucoup de plaisir à le faire. C'était sympa de travailler en groupe.

    Vous dites « en groupe », pas « en famille » ?

    ALAIN SOUCHON. Oui, tiens, c'est drôle !

    PIERRE SOUCHON. Il reste notre père et nous, ses enfants. Mais quand on entre en studio, nos rapports familiaux se transforment en rapports de travail.

    CHARLES SOUCHON. Je ne suis pas d'accord. Nos rapports familiaux ne s'effacent pas totalement. On n'a pas besoin de prendre de gants pour se dire que l'on n'aime pas tel ou tel titre. Je n'aurais pas la même aisance avec d'autres musiciens.

    Comment expliquez-vous que cela fonctionne aussi bien entre vous ?

    ALAIN SOUCHON. Je ne suis pas très bon musicien, c'est ma faiblesse. Les morceaux que je compose sont basiques. Mes fils sont très doués avec les instruments, ils m'aident à donner à mes chansons une sophistication. Charles apporte avec lui son époque, il a une prédilection pour les sons ensoleillés. Pierre est très fort pour trouver de bons refrains.

    PIERRE SOUCHON. Oui, on se complète bien.

    CHARLES SOUCHON. Mon père est obsédé par le texte. Pour lui, un morceau doit avant tout raconter une histoire. Pour le reste, il est un peu foutraque. Quand il nous montre une chanson et qu'on lui demande « papa, c'est quelle tonalité ? », il répond « bah, je sais pas, je m'en fiche ». C'est là que Pierre et moi intervenons. Quand on part en tournée avec lui, on l'aide pour les trucs techniques, parce que tout cela ne l'intéresse pas. En nous regardant prendre soin de lui comme ça, Louis Chedid nous a dit un jour que l'on était comme des « enfants poules » !

    ALAIN SOUCHON. Je suis parfois agaçant (rires). Mais on aime bien être ensemble, il n'y a jamais de brouilles.

    Charles, pourquoi avoir attendu 2016 pour collaborer avec votre père ?

    CHARLES SOUCHON. Cela peut paraître un peu capricieux, mais j'avais besoin de me prouver que je pouvais réussir par moi-même. Quand j'ai commencé à démarcher des maisons de disques, j'envoyais des maquettes sans jamais y accoler mon nom. Mon frère et moi, on a aussi toujours refusé de participer à des émissions sur les « fils de ». Nous ne voulions pas de cette image.

    VIDÉO. «C'est merveilleux de travailler avec mes fils»

    Pour quelles raisons ?

    ALAIN SOUCHON. Mes fils sont de vrais artistes, très talentueux, ils ont leur fierté, ils ne veulent pas de cette étiquette qui suggère qu'ils ont été favorisés. Ils n'ont jamais demandé mon aide. Etre un « fils de » dans le monde de la musique, c'est un handicap. Comment devenir crédible si les gens autour de vous se disent en permanence : « Oh bah, pour lui, ça a été plus facile » ?

    Pierre, avez-vous vécu cette situation comme un handicap ?

    PIERRE SOUCHON. Oui et non. Avoir baigné dans une ambiance artistique nous a aidés dans notre carrière. Quand j'avais 7 ou 8 ans, mon père me laissait venir à ses concerts le week-end. Je me cachais dans les coulisses pour pouvoir observer le public. Je me souviens de l'Olympia, des venues de Pierre Richard ou de Catherine Deneuve, c'était féerique…

    Ce métier vous a-t-il tout de suite fait rêver ?

    CHARLES SOUCHON. Je n'ai jamais vu « Pap's » se lever à 7 heures pour aller au bureau, il n'a jamais dû rendre de comptes à un patron. Pour moi, être chanteur, cela signifiait voyager de ville en ville pour entendre des gens t'applaudir. Ça me faisait envie, forcément.

    PIERRE SOUCHON. Et puis, on se couchait tard certains soirs !

    ALAIN SOUCHON. (Rires) Oui, c'est bien vu, ça : à 8 ans, quand on se couche tard, c'est comme une fête.

    Alain, estimez-vous avoir poussé vos enfants vers le métier de chanteur ?

    ALAIN SOUCHON. J'ai essayé de ne pas trop les influencer. Je les ai quand même prévenus que c'était un métier à risques. Bien sûr, c'était compliqué de prendre mon cas en exemple parce que, je ne sais pas par quel miracle, j'ai eu la chance de ne jamais traverser de grosses périodes de galère. Mais il m'arrivait de leur parler de vieux copains frustrés et malheureux parce qu'ils n'avaient jamais percé.

    CHARLES SOUCHON. Nous l'avons accompagné sur quelques dates de concert. Mais en dehors de cela, chez nous, en Sologne (Loir-et-Cher), il n'y avait pas de Disque d'or au mur, pas de Victoire de la musique, pas de guitare… Il nous préservait de ce monde-là.

    PIERRE SOUCHON. Il compartimentait les choses. D'un côté, il y avait sa vie d'artiste, de l'autre, sa vie de famille. Quand il revenait à la maison, mon père aimait manger du Babybel, construire des cabanes, mais il ne parlait pas trop de musique. En revanche, il y avait une bibliothèque, et il voulait qu'on lise des livres.

    Alain, vous avez raté trois fois votre bac. Est-ce que la réussite de vos enfants dans leurs études était importante pour vous ?

    ALAIN SOUCHON. Oui, elle était même primordiale. Parce que, si je n'avais pas eu la chance de réussir avec la chanson, je ne sais vraiment pas comment j'aurais fini. Quand tu ne fais pas d'études, quand tu n'as pas cette ceinture de sécurité, la vie peut se révéler compliquée.

    Vous parlez très peu de vos enfants dans vos chansons…

    ALAIN SOUCHON. Ils sont les personnages principaux de « Lettre aux dames » (1983) et je les évoque dans « Manivelle » (1980), mais c'est vrai, vous avez raison, je n'ai pas beaucoup écrit sur eux. Je n'ai pas trop envie d'exposer ma vie privée dans mes morceaux. D'ailleurs, chaque fois que je parle de ma femme, leur mère, elle me dit : « Mais enfin, pourquoi tu as parlé de moi ? » Et quand j'aborde un peu ma vie personnelle, j'essaie de ne pas être trop lourdingue. C'est chiant, les textes trop terre à terre, trop mielleux, j'aime la subtilité. Ne comptez pas sur moi pour écrire : « Pierre et Charles, mes amouuuuuurs ! » (Il chante).

    Alain, vous avez connu votre père biologique à l'âge de 7 ans. Cette histoire complexe a-t-elle influencé votre façon d'élever vos enfants ?

    ALAIN SOUCHON. Votre question, elle est sympa, mais elle n'a pas vraiment de sens pour moi. J'ai eu un fils, j'ai eu deux fils, est-ce que j'ai eu à m'interroger sur mon rôle de père à cause de cette histoire ? Je ne crois pas. J'étais seulement attiré par le fait de pouvoir serrer deux petits êtres dans mes bras, de les voir grandir, éventuellement de leur donner des conseils comme « ne te jette pas dans la boue » ou « ne fume pas trop de haschich ».

    Pierre, Charles : avez-vous souffert de l'absence de votre père quand il partait pour de longues tournées ?

    ALAIN SOUCHON. Oh oui, ils étaient malheureux, ils attendaient à la fenêtre, guettant mon retour ! (rires)

    PIERRE SOUCHON. Je n'ai jamais ressenti de manque, parce que c'est quelque chose que j'ai toujours connu. Il n'y a pas eu un avant et un après, mon père était déjà sur les routes à ma naissance.

    CHARLES SOUCHON. Ses chansons passaient à la radio, on le voyait souvent à la télévision, donc je n'avais pas l'impression qu'il était absent. Même à l'école, on me parlait tout le temps de lui. Je me rappelle qu'une professeure me demandait : « Alors, il est où Pin-Pon ? » (NDLR : du nom du personnage qu'Alain Souchon a joué dans le film « L'Eté meurtrier », de Jean Becker, en 1983). J'étais fier de ça, de dire aux autres que mon père avait une vie formidable.

    ALAIN SOUCHON. La fille de Chantal Goya était avec vous à l'école, non ?

    PIERRE SOUCHON. Oui, mais elle, elle souffrait beaucoup de la notoriété de sa mère. Les autres enfants venaient vers elle en répétant sans arrêt « Bécassine » ou en chantant « ce matin, un lapin… »

    CHARLES SOUCHON. Pareil pour la fille de Renaud. Ils arrivaient vers elle et ils lui criaient « tatatin ! » On a eu de la chance, notre père ne s'est jamais fait caricaturer.

    Et vous, Alain, souffriez-vous du manque de vos fils quand vous partiez en tournée ?

    ALAIN SOUCHON. Oh oui ! Je leur envoyais des lettres de temps en temps. Ils écrivaient en retour. Quand j'arrivais dans un hôtel en province, il y avait souvent un pli qui m'attendait. C'était mignon.

    CHARLES SOUCHON. C'est drôle de se souvenir de tout cela… Je me rends compte qu'on te voit beaucoup plus maintenant que lorsqu'on était petits.

    PIERRE SOUCHON. C'est vrai, en l'accompagnant en tournée, en enregistrant des albums avec lui, on cherche sans doute à rattraper le temps perdu.

    ALAIN SOUCHON. Ils ont fait une parenthèse dans leur carrière pour s'occuper de moi, c'est très touchant. Mais je veux que chacun reprenne vite sa carrière solo. Mes garçons ont beaucoup de talent.

    « Ame Fifties », Parlophone, 16,99 €.