Patrimoine en Essonne : le parc de Méréville, un joyau pittoresque

Le parc, bijou romantique de la fin du XVIIIe siècle, vient de décrocher le label « jardin remarquable ».

 Parc du Chateau de Méreville.
Parc du Chateau de Méreville. LP/Yann Foreix et Jean-Baptiste Quentin

    « Je continuerai de faire de mon mieux pour faire de Méréville sinon le plus grand au moins le plus intéressant jardin. » La promesse d'Hubert Robert faite à Jean-Joseph de Laborde en 1786 est tenue. Les 58 ha du parc que le public peut arpenter témoignent de la mode des jardins pittoresques, dits anglo-chinois, de la fin du XVIIIe siècle. « Ils sont une invitation à la promenade contemplative, à la rêverie », décrit Odile-Marie Tombarello, chef de projet jardins patrimoniaux et responsable scientifique du domaine de Méréville.

    Classé monument historique à la fin des années 1970, le domaine vient tout juste de se voir décerner par le ministère de la Culture le label « jardin remarquable ». Il était temps que l'œuvre commandée par le marquis de Laborde et exécutée par François-Joseph Bélanger puis Hubert Robert soit reconnue comme exceptionnelle.

    Quand Jean-Joseph de Laborde acquiert le domaine en 1784, il est l'un des hommes les plus riches du royaume. Âgé de 62 ans, il est négociant et banquier du roi. Il se distingue par son amour des arts. Méréville est une sorte de revanche : Louis XVI l'a contraint à céder à son cousin son château très envié de La Ferté-Vidame (Eure-et-Loir). En plus du château, qui conserve alors sa structure médiévale, Laborde s'empare de 400 ha autour, avec l'idée de faire « l'un des plus beaux jardins pittoresques, qui ont l'avantage de réunir autour de vous les plus grands tableaux de la nature ».

    LP/ Y.Foreix et J.-B.Quentin
    LP/ Y.Foreix et J.-B.Quentin LP/Yann Foreix et Jean-Baptiste Quentin

    À la fin du XVIIIe siècle, les jardins à la française, géométriques et très structurés, ont moins la cote. On leur préfère les jardins anglo-chinois, qui privilégient la nature sauvage, le point de vue « pittoresque », c'est-à-dire relatif à la peinture. Pour en réaliser un à Méréville, Laborde fait d'abord appel à François-Joseph Bélanger, le créateur des jardins de Bagatelle. Ce dernier esquisse les plans du domaine, imagine les fabriques, ces éléments artificiels de décor chargés de sublimer la nature, également appelés « folies ». Mais il est congédié un an après (lire par ailleurs).

    400 ouvriers pendant dix ans

    C'est alors qu'Hubert Robert, considéré comme « l'âme du jardin » intervient dans ce chantier colossal qui mobilisera 400 ouvriers pendant dix ans. Quand le marquis le sollicite en 1786, le « peintre des ruines » vient d'être nommé dessinateur des jardins du roi. Il a mené des chantiers importants comme Versailles où il aménage le bosquet des bains d'Apollon et le jardin anglais de Trianon selon les volontés de la reine Marie-Antoinette.

    Si Hubert Robert poursuit le travail amorcé par Bélanger, il va le sublimer. Méréville représente l'apogée de son œuvre. Il y réalise quelques-uns des plus beaux paysages du domaine. Qu'il a représentés dans beaucoup de tableaux, exposés au Louvre (musée dont il fut le premier conservateur), aux Etats-Unis…

    « C'était le but de ces paysages pittoresques, poursuit Odile-Marie Tombarello. Inspirer. » Les artistes mais aussi les promeneurs. L'écrivain François-René de Chateaubriand a vécu dans le dédale du parc une passion avec Nathalie de Laborde, la fille du marquis.

    Une marraine nommée Catherine Deneuve

    Combien de visiteurs sont « tombés amoureux » du domaine ? Catherine Deneuve, passionnée de jardins, n'y a pas échappé lors de sa découverte des lieux en 2017. Elle en est devenue la marraine pour aider le conseil départemental, actuel propriétaire, à trouver des mécènes.

    « C'est un site d'une rare beauté, confie l'actrice. J'ai voulu partager l'émotion ressentie et que tout visiteur éprouve face à cet ensemble paysager. Depuis plus de 200 ans, il est une invitation à la rêverie et à la poétique d'une nature fantasmée. »

    « Fantasmée », c'est le mot. Les grottes, les courbes de la Juine, tout semble offert par une nature généreuse. Tout est pourtant fictif. Le domaine est un « parc à fabriques », dont la simple évocation est une évasion : le Pont des Boules d'or, le Pont Cintré, le Cénotaphe de Cook, les Grandes Roches, Nymphée, la Grande Cascade, le Temple de la Piété filiale, l'Arche ruinée, la Laiterie…

    La Laiterie LP/ Y.Foreix et J.-B.Quentin
    La Laiterie LP/ Y.Foreix et J.-B.Quentin LP/Yann Foreix et Jean-Baptiste Quentin

    Gabriel Wick, historien, le résume : « Le domaine de Méréville est empreint d'une certaine poétique des ruines ». S'y promener revient à une aventure paysagère : « On gravit un col, on traverse des ponts périlleux, on s'abrite dans des grottes naturelles et, à l'époque, on naviguait sur la Juine. Aujourd'hui, bien qu'il ait été privé de ses monuments (NDLR : beaucoup de fabriques ont été transposées au domaine de Jeurre), le paysage de Méréville conserve l'air étrange et troublant d'un lieu à l'écart du monde. »

    Domaine de Méréville, rue Voltaire au Mérévillois (Essonne). Tous les week-ends et jours fériés d'avril à octobre de 10 heures à 18 heures. Entrée libre. Tel : 01.64.95.72.76.

    ON RENCONTRE... François-Joseph Bélanger, le façonneur

    Le domaine de Méréville est intimement lié à Hubert Robert, le peintre des ruines. C'est pourtant François-Joseph Bélanger qui a commencé à dessiner le grand projet de ce parc. Dès 1785, le marquis de Laborde, propriétaire, fait appel aux talents du célèbre créateur des jardins de Bagatelle à Paris. Il démarre l'important chantier en dirigeant plus de 400 ouvriers.

    Bélanger détourne complètement la Juine, le cours d'eau qui traverse le domaine, pour créer méandres et rivières « serpentines », des îles, des lacs, des cascades et des effets d'eau. Une véritable prouesse et un travail titanesque. Il est également le concepteur de plusieurs fabriques ou folies, ces créations architecturales qui mettent en scène la nature : le Pont aux boules d'or, le Pont de roches, les grottes…

    Mais l'entente entre le paysagiste et son commanditaire est détestable. Un an à peine après avoir été engagé, Bélanger se voit écarté. Le marquis prend pour motif (certains disent prétexte) l'effondrement du Temple de la Piété Filiale qui s'enfonce subitement dans la tourbière. L'affaissement du Pont des Roches scelle la rupture.

    Hubert Robert sera chargé de poursuivre son dessein. Le peintre des ruines s'inscrira dans la continuité de ce qu'avait plus qu'esquissé François-Joseph Bélanger, parfois injustement oublié dans l'histoire du domaine de Méréville.

    ON DÉCOUVRE... Un « phare » de 199 marches

    La colonne Trajane LP/Yann Foreix et Jean-Baptiste Quentin
    La colonne Trajane LP/Yann Foreix et Jean-Baptiste Quentin LP/Yann Foreix et Jean-Baptiste Quentin

    Hubert Robert l'appelait « l'obélisque antique ». Mais si vous demandez sa direction à un habitant du Mérévillois, dites plutôt que vous cherchez le phare. Une visite du domaine de Méréville ne peut débuter ou s'achever sans avoir gravi les 199 marches de la colonne Trajane.

    Autrefois intégrée au parc, elle permettait à la Cour du XVIIIe siècle conviée aux soirées fastueuses du marquis de Laborde, le propriétaire des lieux, de savoir qu'ils arrivaient à destination.

    La taille du parc ayant été réduite au fil du temps, cette tour Trajane est désormais à l'extérieur du domaine. Mais elle se visite. Du haut de ses 35 m, cette tour offre un panorama à couper le souffle : sur le château et le parc, mais aussi sur les paysages de la Beauce avec ses champs de céréales, le tout ponctué du vert des cressonnières et des espaces boisés.

    Hubert Robert l'a conçue comme la réplique exacte d'une colonne à Rome érigée en hommage à l'empereur Trajan. L'Italie est une source inépuisable d'inspiration pour l'artiste depuis le début de sa carrière. Pour monter ce belvédère, il aura fallu deux ans, de 1790 à 1792, et des maçons venus spécialement du Limousin. La colonne fut utilisée vers 1793 par Jean-Baptiste Delambre, mathématicien et astronome, pour des opérations de mesures de l'arc du méridien terrestre, en vue de la détermination du mètre.

    Pour visiter la tour située rue Raymond-Poincaré au Mérévillois, contactez le 01.64.95.18.00 ou rendez-vous en mairie pour récupérer les clés.