Football en streaming : les chaînes de télévision traquent les pirates

Le visionnage illégal de match en streaming est en plein boom. Les chaînes de télévision payantes passent à l’offensive.

 La lutte contre le piratage « est notre principal enjeu de 2019 », affirme Didier Quillot, directeur général de la Ligue de football professionnel.
La lutte contre le piratage « est notre principal enjeu de 2019 », affirme Didier Quillot, directeur général de la Ligue de football professionnel. LP/Matthieu de Martignac

    « C'est un jeu d'enfant… Tu tapes « streaming OM/PSG » sur Google, et il y a une centaine de résultats ! Après 25 publicités, le match démarre en direct dans une qualité correcte »

    Pierre pirate. Ce Parisien de 36 ans, grand fan de foot reconnaît avoir regardé « 3 ou 4 » chocs de Ligue 1 sur des sites illégaux cet automne. Il est loin d'être le seul. Le phénomène est en plein boom.

    Selon Médiamétrie, entre 1,5 et 2 millions d'internautes consultent chaque mois des sites pirates de sport. Avec un pic à 2,3 millions en septembre dernier, au moment de l'arrivée chaotique des premiers matchs de la Ligue des champions sur RMC Sport, victime de bugs techniques. Et ça commence à se voir dans les audiences…

    L'embellie mesurée après le recrutement de Neymar et Mbappé par le PSG est bel et bien terminée. La grande soirée foot du dimanche soir de Canal + a perdu 250 000 fidèles, avec 1,08 million de téléspectateurs en moyenne entre août et décembre 2018, contre 1,33 million un an plus tôt. La situation s'observe chez toutes les chaînes payantes. Mais pas chez les gratuites qui continuent de faire le plein, comme lors de la finale de la dernière Coupe du monde et s es 19,4 millions de personnes (81,9 % de PDA) devant le sacre des hommes de Didier Deschamps.

    Le casse-tête des abonnements

    « Il faut comprendre les Français ! A un moment, ils en ont marre qu'on leur demande de payer toujours plus cher et de changer de fournisseur tous les ans pour suivre leur club ! Canal, BeIN, RMC, bientôt Mediapro… Ils ne peuvent pas s'abonner à tout. (NDLR : Canal +, à partir de 19,90€/mois, BeIN 15€/mois, RMC Sport 9€/mois pour les abonnés SFR et 19€ pour les non abonnés) L'arrivée de RMC Sport, ça a vraiment été une publicité pour le téléchargement… », s'agace un grand nom du sport français.

    Les professionnels du ballon rond s'inquiètent de l'extension rapide du phénomène. « Notre métier, c'est d'organiser le championnat mais aussi de vendre un contenu exclusif à des chaînes de télévision. Et le piratage affecte cette exclusivité, reconnaît Didier Quillot, le directeur général de la Ligue de football professionnel. La lutte contre cette tendance, c'est notre principal enjeu de 2019, car ça affecte toute l'économie du sport ». C'est aussi l'enjeu de Roch-Olivier Maistre, le tout nouveau patron du CSA, qui a promis ce mercredi lors de sa première audition devant le Sénat d'être « vigilant » sur ce sujet.

    Les chaînes passent à l'offensive

    Les chaînes, elles, passent à l'offensive. Réunies au sein de l'Association pour la Protection des Programmes Sportifs (APPS), créée il y pile un an, elles demandent une mobilisation générale. « C'est un problème global, qui n'affecte pas uniquement les chaînes sportives, mais aussi ceux qui les distribuent, rappelle Caroline Guenneteau, directrice Juridique BeIN Sports. On souhaite que, comme au Portugal, les fournisseurs d'accès à Internet s'emparent du sujet et bloquent les sites qui diffusent des matchs en streaming »

    Les chaînes sportives veulent profiter de la loi sur la réforme de l'audiovisuel, pour faciliter la traque au piratage. Elles ont été auditionnées à ce sujet la semaine dernière par le Sénat. « On regarde ce qui se fait aussi au Royaume-Uni, où la justice fait fermer des serveurs Internet. Notre idée, c'est de s'en prendre à ceux qui diffusent, pas à ceux qui regardent », ajoute Caroline Guenneteau.

    Selon un dirigeant d’une chaîne de sport, « il faut surtout le soutien des Gafa » pour lutter contre les sites de piratage. LP/Olivier Arandel
    Selon un dirigeant d’une chaîne de sport, « il faut surtout le soutien des Gafa » pour lutter contre les sites de piratage. LP/Olivier Arandel LP/Matthieu de Martignac

    D'autres voix, demandent que la lutte soit confiée à la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi). Mais la traque des sites de streamings de sports en direct, qui n'émettent que pendant 90 minutes n'exige pas les mêmes outils que ceux de la lutte contre le piratage de la musique, des films et des séries. « Il faut surtout le soutien des GAFA, (NDLR : les géants du web incarnés par Google, Apple, Facebook et Amazon). Ça ne peut se faire qu'à l'échelon international », tempère un autre illustre dirigeant d'une chaîne de sports « On a affaire à des véritables mafias, basées en Chine ou en Russie, qui ont toujours un coup d'avance sur nous. Quand on réussira à bloquer un site, ils en créeront cent autres », se désespère celui qui aimerait aussi mettre en place des dispositions impopulaires : des sanctions pour les internautes.

    La guerre d'influence entre Qatar et Arabie saoudite

    Lutter contre le piratage, c'est aussi affronter l'immense guerre d'influence que se livrent les deux puissances ennemies du Moyen-Orient : l'Arabie saoudite et le Qatar, propriétaire de BeIN Sports. Cette dernière est le théâtre d'un piratage à grande échelle. Un décodeur très répandu dans le pays, baptisé BeoutQ, permet de regarder illégalement toutes les rencontres sportives diffusées sur BeIN.

    Le Qatar affirme détenir des preuves irréfutables que le boîtier est alimenté par un satellite d'Arabsat, société basée à Riyad (Arabie saoudite). Le pays montré du doigt nie son implication dans le business et prétend que c'est une entreprise cubano-colombienne qui a mis au point le décodeur. Le Qatar et l'Arabie saoudite ne sont pas près de se rabibocher. Et, en attendant, l'addition est salée pour la chaîne sportive, lourdement déficitaire.