LA QUESTION QUI FÂCHE. «The Voice» perd-elle son âme ?

La nouvelle règle des battles du télécrochet, qui permet aux coachs de repêcher des candidats qu'ils peuvent ensuite éliminer en cas d'autres coups de coeur, divise.

    Gros plans sur les visages des «talents» stressés, menace permanente d'être viré : «The Voice» se durcit. Et la nouvelle règle des battles du télécrochet de TF1 divise. «The Voice» perd-elle son âme ?

    OUI pour Yves Jaeglé

    CHEF ADJOINT DU SERVICE CULTUREL DU « PARISIEN »

    Les battles ont toujours constitué le point faible de « The Voice », coincées entre l'adrénaline et le charme des auditions à l'aveugle, et la montée en puissance des éliminations en direct par le public. Fallait-il pour autant faire de ces duels départagés par les coachs des jeux du cirque, avec le grand retour des mauvais côtés de la téléréalité, du gros plan sur le visage crispé et angoissé des candidats menacés à tout moment d'élimination même quand ils ont été repêchés ?

    C'est la nouveauté de la saison : les éliminés sauvés par un autre coach sont en sursis tout au long des battles. Pagny, Mika, Zazie et M. Pokora étant désormais autorisés à sauver, sans modération, le dernier « repêché » chasse le précédent... Et en attendant la sentence, les sursitaires sont priés d'aller s'asseoir dans une antichambre de l'angoisse qui ressemble un peu au confessionnal de « Loft Story ». Confidences en moins, bien sûr.

    On a vu tel ou telle candidate s'asseoir soulagé, heureux même, avant de basculer dans un stress maximal filmé avec complaisance, recherché même, puis être chassé par un « talent » encore plus performant. L'une d'elle a refusé le « câlin » que lui proposait l'un de ses camarades de purgatoire. Trop de nervosité, aux antipodes du courant de fond de la « feel good TV », cette télé bienveillante, avec ce supplément d'âme qui a fait la force tranquille de « The Voice » depuis ses débuts, loin de l'hystérie de la « Star Academy ».

    L'angoisse surjouée des coachs eux-mêmes face à la nouvelle règle — à part Florent Pagny qui rappelle constamment par son flegme que tout cela n'est qu'un jeu télévisé — donne du rythme, de la frénésie, mais avec un zeste d'hypocrisie : « Je te sauve, je t'aime, tu es un talent formidable, mais je vais devoir te virer, avec le sourire bien sûr, car j'ai trouvé mieux et meilleur, le niveau est tellement élevé, je vais faire un malaise tellement c'est dur de choisir. »

    Ce petit jeu finit par lasser. « The Voice » est un concours de chant, pas de mines éplorées. Plus dur mais plus juste, dit la production. C'est le contraire : une règle doucereuse, faux-cul et qui sonne faux. Les producteurs avaient peur d'ennuyer. Ils nous ont réveillés, certes, mais surtout fâchés. Lors des auditions, première nouveauté de cette saison, les coachs n'avaient déjà plus le droit de consoler les perdants. Il était inutile de rajouter cette dramaturgie du supplice.

    NON pour Pascal Guix

    PRODUCTEUR ARTISTIQUE DE « THE VOICE »

    « The Voice perdra son âme le jour où elle fera de la mauvaise musique. Le jour où ses talents ou ses coachs ne seront pas bons. Tout le reste est anecdotique. Alors, oui, cette nouvelle règle est un peu plus dure, mais tellement plus juste, parce qu'elle donne la prime au talent. Quelle meilleure preuve de bienveillance ?

    » Les saisons passées, les téléspectateurs et la presse nous ont souvent fait le reproche que, comparée à la puissance des auditions à l'aveugle et de ces fauteuils qui se retournent, la mécanique des battles était à la fois plus faible... et injuste. Parce que, lorsque de très bons chanteurs passaient dans les derniers, en tombant les uns en face des autres, il n'y avait plus de place pour repêcher des gens qui auraient mérité de continuer.

    » Aujourd'hui, les talents sont traités à égalité, quel que soit leur ordre de passage. Notre nouvelle règle leur donne de l'espoir. D'ailleurs, nous n'avons pas inventé cette règle, elle fait partie de la bible de l'émission (NDLR : le format original néerlandais) et a déjà été appliquée dans d'autres pays, comme la Belgique ou la Pologne.

    » Alors, oui, on voit le stress des repêchés, leurs sentiments mêlés. J'aurais pu, au montage, les montrer uniquement comme des gens très sympathiques, mais ça n'aurait pas été juste. Là, on est dans l'humain et dans une vérité. On voit leur hantise d'être éliminés, mais aussi leur admiration face aux prestations des autres. De belles choses sont montrées. On assume ce qu'on coupe au montage. Et si un coach a besoin d'expliquer davantage un de ses choix, comme M.Pokora a pu le faire sur Twitter la semaine dernière, c'est son droit. Ce ne sera pas la dernière fois.

    » Oser se renouveler, ça permet de faire bouger les lignes, de raconter ces battles un peu comme une série, avec une sorte de fil rouge. Qui n'a rien à voir avec la téléréalité. La compétition de The Voice reste musicale, on ne filme pas les candidats au quotidien ou dans leur intimité, ils ne sont pas enfermés dans un studio... On continue de faire ce qu'on sait faire de mieux. De la bonne musique, avec un peu de sel et de poivre. Et je préfère qu'on soit chahutés pour ça plutôt que The Voice soit considérée comme la belle endormie de TF 1. A laquelle on reprocherait de tout le temps servir la même la soupe. »