Investir en France, les Chinois adorent

SAVOIR-FAIRE. Grandes fortunes chinoises et descendants d'immigrés ont en commun un goût prononcé pour l'investissement dans de nombreux secteurs, du bar-tabac francilien à l'aéroport toulousain.

Hôtel InterContinental, Paris (IXe), le 5 février. Le Chinese business club organise régulièrement des rencontres entre des décideurs politiques et des patrons français et chinois, afin de renforcer les liens économiques entre les deux pays.
Hôtel InterContinental, Paris (IXe), le 5 février. Le Chinese business club organise régulièrement des rencontres entre des décideurs politiques et des patrons français et chinois, afin de renforcer les liens économiques entre les deux pays. LP/PHILIPPE LAVIEILLE

    Des vignobles bordelais aux terres céréalières du Berry, en passant par le port du Havre (Seine-Maritime) puis Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), capitale du textile made in China, ou les clubs de foot, entrepreneurs et investisseurs chinois manifestent un fort intérêt pour la France.

    En deux ans, les fonds placés dans l'Union Européenne par la première puissance économique mondiale ont augmenté de 77 % et placé l'Hexagone en deuxième position derrière l'Italie. Les Chinois, qui fêtent cette semaine le nouvel an, s'engagent massivement à l'étranger pour rattraper leur retard. Ces sommes représentent l'équivalent de 10 % du PIB du pays, contre 34 % pour les Etats-Unis et plus de 50 % pour la France.

    « Les réflexes économiques des Français sont ancrés dans cent ans de capitalisme, tandis que les Chinois ont à peine dix années d'expérience d'ouverture », souligne le patron en France d'Alibaba, le géant chinois du commerce en ligne.

    Contrepartie

    Lors de sa visite d'Etat le mois dernier, Emmanuel Macron, déterminé à rééquilibrer notre déficit commercial, est reparti avec de juteux contrats pour Airbus et Areva, entre autres. Il a insisté sur sa volonté de faciliter les investissements chinois en France en contrepartie d'un meilleur accès au marché de l'Empire du Milieu. « Sur le modèle d'autres pays européens, la France a mis en place un titre de séjour pour ceux qui investissent au moins 300 000 € », note Philippe Liu, un entrepreneur chinois dans le tourisme, basé à Paris.

    L'appétit pour la deuxième économie européenne se traduit à tous les niveaux. A côté des rachats à plusieurs millions, des entrepreneurs, plus modestes mais tout aussi discrets, placent également leurs billes. Le groupe Tang Frères le fait depuis 1976, suivi par d'autres, notamment dans des commerces de proximité.

    Les bars-tabac ont encore la cote

    « On fonctionne beaucoup par le bouche-à-oreille dans notre communauté. On a toujours des membres de la famille et des amis qui sont dans le métier pour échanger sur les normes ou le business. » En France depuis ses 4 ans, Feng Hu emploie trois personnes dans son tabac-presse à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines).

    Il a quitté son ancien restaurant pour se reconvertir dans cette ville cossue. « Pas pour les affaires, mais pour que mes deux filles fassent de bonnes études », explique ce patron qui a arrêté l'école à 17 ans.

    « Quand je me suis marié, ma femme était dans l'import-export. On s'est lancé dans une activité qui nous permettait d'être ensemble », raconte l'ex-restaurateur, avant de confier : « Dans la profession, on travaille 13 heures par jour, pour une moyenne de 6 € de l'heure. »

    Au nom de l'entraide, Feng a créé Notre Avenir Notre Profession (NANP). L'association, qui regroupe des buralistes asiatiques, estime que près de 45 % des 3 000 bureaux de tabac franciliens sont tenus par des entrepreneurs originaires de l'ex-Indochine et des Chinois ou Français d'origine chinoise.

    De belles réussites

    L'attrait de la communauté asiatique pour ces commerces de proximité, du bar-tabac des quartiers de Paris à la brasserie chic de banlieue aisée, se serait un peu estompé en Ile-de-France, selon la Confédération des buralistes de la région. « Un peu moins de 40 % de ces commerçants franciliens sont d'origine asiatique », assure tout de même Bernard Gasq, son président.

    Mais ce dernier a noté récemment une émigration des buralistes asiatiques de la capitale et sa petite couronne vers des zones périurbaines, voire rurales, jusqu'en province. « Et il y a de belles réussites ! », se félicite Bernard Gasq. « Dans la génération née ici et qui parle bien français, on a des repreneurs qui ont étudié et sont de vrais chefs d'entreprise », conclut-il.

    C.P.

    Marc Leras

    «Il y a un changement des activités ciblées»

    Guillaume Nataf et Anne Quenedey, avocats chez Baker McKenzie, spécialistes des fusions-acquisitions et de la Chine

    Comment évoluent les investissements chinois en France ?

    Il y a un changement des activités ciblées qui fait suite à une volonté politique. Après le 19e Congrès du parti communiste chinois, en octobre 2017, les secteurs à privilégier ont été clarifiés. Parmi eux : santé, intelligence artificielle, bien-vieillir. On ne voit plus d'entreprise chinoise du BTP mettre des fonds en France dans le sport ou le vin par exemple. C'est la fin des choix plus spéculatifs, des danseuses. Ce qui n'empêche pas les investissements massifs dans les secteurs traditionnels comme l'agroalimentaire, le transport, le tourisme, l'hôtellerie, de se poursuivre. Ils sont conduits par des acteurs de premier plan comme Jin Jiang, qui a jeté son dévolu sur Louvre Hotel Group (Campanile, Kyriad), AccorHotels et Hôtels & Préférences.

    Le nombre de transactions et les montants sont-ils en hausse ?

    Il y a eu un coup de frein courant 2017, dans l'attente du Congrès, mais tout a redémarré depuis. Sur le montant, certains projets se comptent en milliards comme l'acquisition de SMPC (Sandro, Maje...) pour 1,3 Md€, d'autres sont de quelques millions. La tendance n'est pas à se focaliser uniquement sur des grosses opérations.

    Les relations d'affaires franco-chinoises sont-elles au beau fixe ?

    La France continue à maintenir un certain contrôle sur les investissements étrangers. Le leitmotiv de la diplomatie française à l'égard de la Chine est la réciprocité. Côté Chine, des barrières doivent encore tomber.

    Comment se passent les négociations avec les Chinois ?

    Il y a un aspect culturel à gérer. Les Chinois ne négocient pas comme des Américains. Ils ont une appréciation différente du rythme des échanges, ils ont le temps. Sans compter qu'il y a un aspect hiérarchique marqué dans les entreprises publiques chinoises, avec un processus décisionnaire plus cranté. Bien sûr, la maîtrise de la langue est primordiale.

    Propos recueillis par V.K.