Le verrou de Bercy est-il vraiment en train de sauter ?

En commission, les députés ont donné leur feu vert, mercredi, pour que Bercy n’ait plus le monopole des poursuites en matière de fraude fiscale. Suppression du « verrou de Bercy » salue la majorité, mais simple assouplissement pour ses détracteurs.

 Avec la loi contre la fraude, le ministère de l’Action et des Comptes publics devra systématiquement transmettre les dossiers de fraude fiscale les plus graves à la justice. Le « verrou de Bercy » demeure pour les autres cas.
Avec la loi contre la fraude, le ministère de l’Action et des Comptes publics devra systématiquement transmettre les dossiers de fraude fiscale les plus graves à la justice. Le « verrou de Bercy » demeure pour les autres cas. LE PARISIEN OLIVIER BOITET

    Il y a quelques mois encore, Gérald Darmanin ne voulait pas en entendre parler. « Aménager » le verrou de Bercy, oui, mais le supprimer, non. Pourtant, le ministre de l'Action et des Comptes publics s'est félicité mercredi d'avoir accepté un amendement de l'Assemblée nationale « mettant fin au verrou de Bercy », ce monopole dont dispose le ministère du Budget pour décider des poursuites en cas de fraude fiscale.

    Un peu plus tôt, la commission des finances de l'Assemblée nationale avait en effet adopté, à l'unanimité, un amendement qui décadenasse le verrou de Bercy. Intégré au projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, il avait été approuvé en aval par le gouvernement. Le projet de loi sera examiné à l'automne.

    Verrou desserré, mais pas supprimé

    Pour Gérald Darmanin et Émilie Cariou, députée LREM co-rapporteure du texte et auteure de l'amendement, c'est la fin du verrou. « Des dizaines d'années de débat que notre majorité fait aboutir », a même applaudi le député LREM Stanislas Guérini. Pourtant, l'amendement desserre sensiblement le verrou mais ne le supprime pas complètement.

    Actuellement, la justice ou une partie civile ne peuvent pas déposer plainte pour fraude fiscale : Bercy a le monopole des poursuites pénales en matière de fraude fiscale. Seule l'administration fiscale peut transmettre un dossier au parquet, sur avis conforme de la Commission des infractions fiscales.

    Ce « verrou » permet, pour ses défenseurs, une meilleure efficacité du fisc et de plus grandes rentrées d'argent. Il est lié à la règle du « non bis in idem » qui considère qu'un contribuable ne peut être sanctionné deux fois, par l'administration et par la justice.

    Mais certains magistrats et ONG déplorent un manque de transparence. Ils craignent que des personnalités passent parfois entre les mailles du filet. Dans le cas de Jérôme Cahuzac par exemple, la justice avait dû lancer des poursuites par un moyen détourné, pour blanchiment de fraude fiscale et non fraude fiscale.

    Renforcement des prérogatives du parquet

    Avec cet amendement, le fisc sera obligé de transmettre les dossiers les plus graves à la justice, selon des critères gravés dans la loi. Il s'agit des cas où le montant fraudé est supérieur à 100 000 euros, si les pénalités sont de 80 % ou 100 %, mais aussi des cas de pénalités de 40 % s'il y a récidive.

    Egalement, si le juge découvre lui-même un cas de fraude en enquêtant sur une fraude connexe, il pourra se saisir. Les agents du fisc pourront aussi échanger des informations avec le procureur : le secret fiscal est levé. « L'administration ne jouera plus le rôle d'un parquet, ce qui lui était reproché. C'est le parquet lui-même qui examinera l'opportunité des poursuites », a vanté Émilie Cariou dans une interview aux Echos.

    Mais pour tous les autres dossiers, le verrou de Bercy demeure. L'administration peut toujours consulter le CIF et transmettre un dossier au parquet si elle juge le cas particulièrement grave.

    « Deux fois plus de dossiers »

    « Nous allons sans doute doubler le nombre de dossiers fiscaux qui seront transmis de façon automatique à la justice, sans aucune zone d'ombre », a déclaré Gérald Darmanin sur France Inter. Chaque année, quelque 2 000 dossiers pourraient donc être adressés à la justice contre 1 000 environ actuellement (sur les 4 000 cas de fraude à plus de 100 000 euros).

    Cela ne signifie pas que les poursuites pénales vont également doubler, le procureur peut considérer que les sanctions financières suffisent.

    Pour l'ONG Oxfam, ce n'est pas suffisant. Selon elle, les avancées du texte sont « trop timides ». Les élus ont « aménagé le dispositif sans mettre complètement fin au monopole de Bercy ». D'autant que des garde-fous subsistent. Par exemple, le contrevenant pourra plaider coupable et ainsi éviter un procès, via un règlement financier.