Anesthésiste de Besançon : le très inquiétant docteur Péchier

En tout, la justice suspecte le docteur Frédéric Péchier d’avoir fait 24 victimes, dont 9 sont mortes.

 Déjà mis en examen pour sept empoisonnements mortels, il est soupçonné de plusieurs autres.
Déjà mis en examen pour sept empoisonnements mortels, il est soupçonné de plusieurs autres. LP/Olivier Lejeune

    Une enquête hors-norme pour une affaire qui ne l'est pas moins. Au terme de deux ans d'investigations, le docteur Frédéric Péchier, ancien anesthésiste-réanimateur de la clinique Saint-Vincent de Besançon (Doubs) a été mis en examen jeudi soir pour dix-sept empoisonnements supplémentaires, dont sept mortels, sur les patients de ses confrères.

    Depuis mars 2017, ce praticien jusqu'alors au-delà de tout soupçon était déjà suspecté d'avoir pollué avec des produits dangereux les poches d'injection de sept patients, dont deux n'ont pas survécu. Il avait alors été laissé libre sous contrôle judiciaire avec interdiction d'exercer, malgré ses demandes répétées de reprendre son travail. Dans la nuit de jeudi à vendredi, le praticien a finalement été laissé libre sous contrôle judiciaire.

    Au total, la justice le soupçonne donc d'avoir empoisonné « avec préméditation » ou « sur personne vulnérable » vingt-quatre personnes depuis 2008, faits passibles de la réclusion criminelle à perpétuité. « Le docteur Péchier conteste l'intégralité des faits qui lui sont reprochés » a réagi hier soir l'un de ses avocats Me Randall Schwerdorffer. Toutefois, le suspect a reconnu pour la première fois devant les enquêteurs la réalité de ces empoisonnements, sans pouvoir désigner leur auteur.

    Teddy, 4 ans, a fait deux arrêts cardiaques

    En tout, neuf des patients empoisonnés âgés de 4 à 80 ans sont morts des suites de complications survenues lors d'opérations le plus souvent bénignes : opération de la hanche, de l'épaule ou encore ablation des amygdales comme dans le cas de Teddy, la plus jeune de ces victimes présumées. « Il a fait deux arrêts cardiaques sans explication avant d'être réanimé par le docteur Péchier, appelé en renfort et arrivé au bloc en moins d'une minute », détaille Me Jean-Michel Vernier, avocats des parents du garçonnet.

    Un timing troublant et un modus operandi similaire à toutes ces affaires. « Le docteur Péchier est le dénominateur commun », a souligné hier en conférence de presse Etienne Manteaux, procureur de la République de Besançon, rappelant son « omniprésence » lors des réanimations, lui qui « se trouvait toujours à proximité immédiate » du bloc où survenaient les événements indésirables graves (EIG), selon la terminologie médicale.

    « Il posait des diagnostics précoces alors que rien ne permettait de suspecter le surdosage de certains produits », a ajouté le magistrat. Et pour cause, c'est précisément lui, estime la justice, qui aurait discrètement ajouté ces médicaments dans les poches, juste avant les opérations (lire ci-contre).

    Une faculté quasi magique à sauver les patients

    Et c'est cette faculté quasi magique à interpréter les symptômes et à sauver les patients qui a fini par provoquer la chute du Dr Péchier. Le 11 janvier 2017, Sandra Simard, 37 ans, en parfaite santé, fait plusieurs arrêts cardiaques lors d'une opération du dos. « Comme d'habitude en cas de problème, Frédéric Péchier est arrivé pour seconder sa collègue anesthésiste et a immédiatement décrété qu'elle souffrait d'une hyperkaliémie, raconte Me Frédéric Berna, avocat de la jeune femme. Or tous les experts le disent : rien ne permettait de le savoir en quelques minutes. C'est au CHU où elle a été transférée en réanimation que le diagnostic, confirmé par plusieurs analyses, a fait tiquer un médecin qui a conseillé à la clinique de saisir les poches d'injection ». À l'intérieur, on y retrouvera 100 fois la dose létale de potassium, une cause possible d'hyperkaliémie.

    Le mobile ? Briller face à ses confrères ?

    La clinique Saint-Vincent saisit alors l'Agence régionale de santé (ARS) et la justice, qui va relancer deux enquêtes sur des décès survenus en 2008 et 2016, lesquelles n'avaient pas abouti, et d'autres cas troublants classés en erreur médicale. Avant de se plonger, deux ans durant, dans l'examen de 66 autres EIG survenus à la clinique : au terme de plus de 160 auditions parmi le personnel médical et les victimes, 1300 procès-verbaux, quatre exhumations et force expertises, 17 cas supplémentaires ont été retenus, les autres n'ayant pas pu être étayés ou pouvant s'expliquer par l'état de santé du patient.

    Reste le mobile. Le procureur Manteaux a souligné jeudi que les incidents « survenaient toujours lors de conflits intenses » dans la clinique. Admiré par les uns, détesté par les autres, Frédéric Péchier aurait pu agir pour briller face à ses confrères et construire sa légende personnelle.