Procès des agresseurs du barman de l’Assemblée nationale : «C’est un crime de haine»

Entre 12 et 14 ans ont été requis ce lundi par l’avocat général contre les trois agresseurs de Jean-Michel Gaudin, roué de coups en février 2017. Il est aujourd’hui lourdement handicapé.

 Jean-Michel Gaudin a été roué de coups le 3 février 2017, alors qu’il venait en aide à une femme prise à partie par une bande de jeunes.
Jean-Michel Gaudin a été roué de coups le 3 février 2017, alors qu’il venait en aide à une femme prise à partie par une bande de jeunes. DR

    « Ce crime est un vrai débat de société. Quand on se promène et que l'on croise un groupe de jeunes, faut-il avoir peur ? Faut-il changer de trottoir ? Subir des crachats, accepter d'être bousculé en passant son chemin ? » demande l'avocat général. Pour avoir refusé cela, Jean-Michel Gaudin, 54 ans, barman à l'Assemblée nationale, est aujourd'hui lourdement handicapé.

    Deux ans après son agression, pour avoir voulu prendre la défense de deux femmes face aux trois accusés, trois frères jugés par la cour d'assises de Paris cette semaine, l'ex-barman est toujours en centre de rééducation et n'a pu assister au procès. « Il est dépendant à vie de tierces personnes, de sa famille, qui est une victime collatérale », poursuit l'avocat général. À l'époque, les députés lui avaient rendu hommage.

    Des «prédateurs antisociaux»

    Le 3 février 2017 à 16h11, la victime et deux femmes attendent à un passage piéton sur la place de la Bastille (Paris XIe). La scène est filmée par une caméra de vidéosurveillance. Six jeunes arrivent derrière eux, dont les trois frères, âgés de 16, 18 et 21 ans. Le plus jeune crache sur le manteau d'une des femmes. Gratuitement, pour faire rire les autres. L'autre femme intervient, demande des excuses. Elle reçoit un coup de tête d'Ahad, 18 ans. Puis Ahad saisit violemment cette dame. Jean-Michel Gaudin intervient. Il attrape Ahad par le col pour le tirer en arrière. Le mineur lui assène un violent coup de pied à la hanche. À ce moment précis, la caméra pivote.

    Jean-Michel Gaudin chute lourdement à terre. Selon des témoins, il reçoit plusieurs coups de pied au visage de la part des trois frères. Ce que confirme l'expert médical. Plusieurs personnes hurlent de terreur face à ce déchaînement de violence. Puis la bande repart, comme si de rien n'était, alors que leur victime gît à terre. Une femme, qui arrive en face, tente de stopper l'un des agresseurs. Elle est giflée et frappée.

    « Ces individus sont dans la toute-puissance, le tout permis. Le monde est à eux, le trottoir est à eux. Ce n'est pas un fait divers, c'est un crime de haine », s'indigne l'avocat général, qui compare les accusés à des « bombes humaines » et à des « prédateurs antisociaux ».

    «L'avocat me dit de regretter, mais je regrette rien»

    À la barre, le mineur et Obeid, l'aîné, ont reconnu avoir porté des coups, en les minimisant. Ahad a nié en bloc. Mais en prison, ce dernier a beaucoup téléphoné à sa petite amie, présente lors des faits. Les écoutes sont édifiantes : « J'ai frappé le gars. Je l'ai frappé par terre. T'as cru que je me laisserais faire ? C'est bien fait pour sa tête. » Ou encore : « L'avocat me dit de regretter, mais je regrette rien. » Et quand il apprend que Jean-Michel Gaudin est sorti du coma, il s'exclame : « Dès que je sors, je le remets dans le coma ! »

    Pour son avocate, qui plaide la relaxe au bénéfice du doute, son client « joue les gros durs pour impressionner sa copine, son codétenu ». Elle rappelle que dans d'autres écoutes, Ahad « dit aussi qu'il espère que le monsieur va sortir du coma » et qu'il est « innocent ».

    Mais à l'audience, juste après les réquisitions de l'avocat général, qui a demandé que les accusés soient tous condamnés à une peine de 12 à 14 ans de réclusion criminelle, le maximum étant de 15 ans, Ahad n'hésite pas à s'adresser à la famille de la victime.

    « Lors de la suspension, vous avez regardé les parties civiles en disant Arrête de sourire sale pute, vous pouvez nous expliquer ? » lui demande le président du tribunal. « Sale pute, je l'ai pas sorti. J'ai rien d'autre à dire. J'ai demandé d'arrêter de sourire. » Une phrase de trop adressée à une famille dont tout le monde a reconnu à l'audience la très grande dignité.

    Le verdict sera rendu ce mardi. L'avocat a également demandé à la cour de lever l'excuse de minorité pour le plus jeune des frères, aujourd'hui majeur - un mineur n'encourt que la moitié du temps de peine d'un adulte. « Il est l'auteur du crachat qui est le déclencheur de toute l'affaire. Il est également l'auteur de l'acte le plus grave, le coup de pied qui fait chuter M. Gaudin », a argumenté le magistrat. « C'était un gamin de 16 ans, il n'a jamais voulu ça. Cette situation leur a échappé totalement, il était immature », l'a défendu son avocate, en demandant à la cour de rejeter cette demande.