Procès du «bébé du coffre» : la mère se saborde

Rosa-Maria Da Cruz a nié mercredi les quelques soins prodigués à sa fille qui ont pourtant existé. Ce revirement ajoute à la complexité de cette femme, incapable d’expliquer son geste.

 Tulle (Corrèze). Pour tous, Rosa Maria Da Cruz reste une énigme.
Tulle (Corrèze). Pour tous, Rosa Maria Da Cruz reste une énigme. AFP/GEORGES GOBET

    Sept ans ont passé depuis cet accouchement éclair, à la sauvette, dans le sous-sol de sa maison de Brignac-la-Plaine (Corrèze). Cinq, depuis la découverte stupéfiante de sa fille Serena, âgée de vingt-trois mois, dans le coffre de sa voiture. Mais devant la cour d'assises, à Tulle, où elle est jugée cette semaine pour avoir infligé par ses mauvais traitements des séquelles irréversibles à sa fille désormais lourdement handicapée, Rosa-Maria Da Cruz, 50 ans ce jeudi, reste une énigme. Pour les jurés, confrontés à ce cas difficile et inédit, mais avant tout pour elle-même.

    « Enfant », « être humain », « chose vivante » ou même « jouet en bois »… la cour s'est efforcée tout l'après-midi de suggérer des qualificatifs à l'accusée, appelée à préciser son ressenti face à l'existence de Serena, notamment tout au long de ces deux ans de claustration. « Mon psychiatre m'a fait accepter Serena », « j'ai appris à l'aimer durant ces cinq ans, mais je n'arrive pas à avancer, il faudrait que je la voie… », confesse Rosa Maria Da Cruz, prise dans les rets d'une histoire qui la dépasse toujours.

    «Je n'avais pas conscience qu'il s'agissait d'un bébé»

    Au moment de sa garde à vue, les choses semblent pourtant établies. Elle y décrit calmement, et avec force détails, l'arrivée impromptue de ce « bout de chou » dont elle ne saura que faire, mais qu'elle se refuse toutefois à abandonner et qu'elle va alors choisir de cacher à tous. « C'était ma fille, mon bébé », répètera-t-elle au cours de l'instruction, avant de changer brusquement de terminologie, en 2017. Serena devient une « chose », « expulsée » à l'issue d'un déni de grossesse, dont son avocate Me Chrystèle Chassagne-Delpech - qui entend plaider son acquittement - estime qu'il s'est prolongé en « déni d'enfant ».

    « Dans le déni de grossesse, la sidération est telle qu'il n'y a aucun geste pour soulager l'enfant. Là, vous aviez bien conscience que ce n'était pas une chose! », lui fait remarquer le président Gilles Fonrouge, rappelant les quelques soins malgré tout prodigués à Serena pendant ces deux ans qu'il qualifie « d'hibernation ». « Vous avez dit : Je l'avais pour moi toute seule, on a plutôt l'impression d'une dissimulation d'enfant… ». « Je n'avais pas conscience qu'il s'agissait d'un bébé, j'avais comme un rideau devant les yeux », répète en boucle l'accusée, qui, prise dans les sables mouvants de ses contradictions, finit par se saborder. « Tout ce que j'ai dit est faux : je ne m'en suis jamais occupée, je ne l'ai jamais tenue dans mes bras, je ne lui ai jamais fait de câlins, je ne l'ai nourrie qu'occasionnellement… »

    «Peut-être»

    Un naufrage auquel refuse d'assister la cour, puis l'avocat général, lui rappelant les couches achetées, les draps, les biberons, la nourriture, les vêtements et les jouets retrouvés. « Vous êtes en train de mettre à mal tout ce que vous avez dit sur votre comportement qui, malgré l'horreur de la situation, se voulait bon, même s'il était inadapté. Vous le comprenez, ça ? », tente une magistrate assesseure. En vain. De même que Rosa Maria Da Cruz, incapable d'expliquer son silence pendant ces deux ans, ne blâme ni son compagnon, un homme fruste et volage qui ne voulait pas de ce quatrième enfant, ni le corps médical, après l'accouchement traumatique de son aîné.

    « Pas surprise » par cette nouvelle version - « je ne sais même plus combien elle m'en a livré » - son avocate Me Chrystèle Chassagne-Delpech tente de la ramener vers ce statut de « bonne mère » décrite par son entourage… et les débats, vers le déni de grossesse. Elle en veut pour preuve ce précédent, cet accouchement surprise de A., son deuxième fils, en 2004 en plein repas de famille. « Cette fois-là, c'était différent, j'étais entourée », détaille Rosa-Maria Da Cruz. « Pour Serena, avez-vous mis la main pour l'étouffer, avez-vous eu envie de la mettre dans un sac-poubelle ? », questionne son avocate. Elle secoue la tête. « L'instinct maternel ? ». Sa réponse est un murmure : « Peut-être ».