Ce que l’on sait des explosions meurtrières qui ont dévasté le port de Beyrouth

Deux déflagrations ont fait trembler le poumon du Liban mardi après-midi. Le bilan humain et matériel s’annonce terrible.

 Le port de Beyrouth ravagé ce mercredi matin, au lendemain des deux explosions. Seul le grand silo du terminal céréalier a à peu près tenu.
Le port de Beyrouth ravagé ce mercredi matin, au lendemain des deux explosions. Seul le grand silo du terminal céréalier a à peu près tenu. AFP/Anwar Amro

    Deux explosions énormes, des dizaines de morts, des immeubles éventrés : le port de Beyrouth, au Liban, a été le théâtre mardi d'une véritable catastrophe. Si le nitrate d'ammonium, déjà en cause dans plusieurs accidents industriels, semble être impliqué, les circonstances de ce désastre sont encore floues ce mercredi.

    LES FAITS. Une déflagration « apocalyptique »

    Mardi 4 août, vers 18 heures, heure locale (19 heures en France), une forte explosion retentit dans le quartier du port, qui se trouve en plein centre-ville, près des souks. Elle provoque un incendie. Suit, à 18h07, une seconde déflagration encore plus puissante, qui dégage un champignon rappelant les images des explosions nucléaires.

    Les témoignages décrivent un souffle puissant suivi d'un second plus terrible encore, apocalyptique, qui semble en un instant balayer tout sur son passage dans le cœur vibrant de la ville de 2 millions d'habitants. Les vitres ont été brisées à des kilomètres à la ronde, notamment dans l'aéroport international de Beyrouth, qui se trouve à 9 km de distance. Le souffle aurait été ressenti jusque sur l'île de Chypre, à plus de 200 km. Dans la soirée, l'institut américain de géophysique (USGS), basé en Virginie, a précisé que ses capteurs avaient enregistré l'explosion comme un séisme de 3,3 sur l'échelle ouverte de Richter.

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    LE BILAN. Les pertes humaines incertaines, les dégâts matériels considérables

    Ce mercredi à l'aube, selon la Croix-Rouge, le bilan s'établit à plus de 100 morts. Plus de 4000 personnes ont été blessées et un nombre encore incertain d'autres sont portées disparues, probablement ensevelies sous des décombres.

    Trois hôpitaux, dont les capacités ont été éreintées par le coronavirus, ont été endommagés par les explosions. Ils doivent déplacer leurs patients, selon Mirna Doumit, présidente de l'Ordre des infirmières, et ne peuvent pas traiter les blessés qui arrivent par ambulance, dans des camionnettes, dans les bras de proches ou de voisins. L'Hôtel-Dieu soigne déjà 400 blessés… Tous se replient vers le « Rizk », l'hôpital américain de Beyrouth, saturé malgré sa taille. Sur Twitter, la Croix-Rouge libanaise appelle désespérément les habitants à venir donner leur sang.

    Parmi les morts, parmi lesquels figures des Libanais, des Philippins ou encore des Australiens, on compte le chef du parti politique Kataeb, Nazar Najarian, qui a été mortellement touché dans son bureau.

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    Côté dommages matériels, les pertes sont immenses. Port de marchandises et de transport de passagers, le port de Beyrouth est un point névralgique au bord de la Méditerranée pour les importations et les exportations de tout le Moyen Orient. Après la guerre civile, les infrastructures ont été modernisées et de nouveaux terminaux construits, pour atteindre la taille de quatre bassins, seize quais, ainsi qu'un gigantesque silo à grains qui peut charger à lui seul deux navires entiers. Il a été éventré. Dès mardi soir, le gouvernement a décidé de réduire la vente de farine aux fours, pour anticiper le risque d'une pénurie à venir.

    Des photos prises ce mercredi matin montrent l'ampleur des dégâts : des bâtiments désarticulés, enchevêtrés, détruits par les explosions puis les incendies qui ont fait rage une partie de la nuit, voies d'accès impossibles à emprunter, gravats… Près de la moitié de la ville a été atteinte, selon le gouverneur de Beyrouth, qui a chiffré à 2,5 Mds€ les dégâts. Le chiffre paraît bien faible au regard des 300 000 personnes qui ont perdu leur logement.

    L'ORIGINE. La piste accidentelle privilégiée

    Elle n'est pas connue avec certitude. Il a d'abord été dit qu'un bateau contenant un chargement de feux d'artifice avait pris feu. Cette théorie provient du fait que dans les eaux du port, un bateau était effectivement en flammes. Des inquiétudes ont aussi été exprimées, sur les réseaux sociaux notamment, d'une intervention d'Israël contre une cache d'armes de Hezbollah. Mais le gouvernement israélien aurait assuré son homologue libanais de son entière innocence.

    Au milieu de la panique, Donald Trump a semé la confusion, en estimant que les explosions « ressemblaient à un terrible attentat » et que des experts militaires lui avaient parlé d'une « bombe ». Dans la nuit, trois responsables du département américain de la Défense ont déclaré à CNN, anonymement, qu'ils ignoraient de quoi le président américain parlait. Pour preuve : les troupes américaines dans la région n'ont pas été mises en alerte.

    Le Premier ministre Hassan Diab a évoqué, lui, 2 750 t de nitrate d'ammonium. Elles auraient été stockées depuis six ans dans un bâtiment du port. L'inflammation de cette substance, qui sert à fabriquer engrais ou explosifs, est à l'origine de l'explosion meurtrière en France de l'usine AZF à Toulouse, qui a coûté la vie à 31 personnes et fait 2 500 blessés. L'explosion est survenue dix jours après les attentats du 11 septembre. Pendant des mois, les autorités françaises avaient fortement envisagé qu'il s'agisse d'un attentat.

    Que faisait ce nitrate d'ammonium en telle quantité ? Le directeur général de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim a indiqué de son côté que les explosions étaient peut-être dues à des matières explosives « confisquées depuis des années ».

    Effrayé, le directeur du bureau des douanes du Liban a affirmé dans la nuit que son agence n'était pas responsable du stockage du nitrate d'ammonium. Dans une interview à Al Jazeera, il met en cause la direction du port. « Ils sont responsables, et je peux vous dire que ce matériel n'aurait pas dû rester là ».

    LA RÉPONSE. La planète au chevet du Liban

    Le président Michel Aoun a immédiatement débloqué 100 milliards de livres libanaises (56,2 millions d'euros) sur le budget 2020 pour répondre aux premières exigences de la catastrophe. Son cabinet doit se réunir ce mercredi pour créer le comité chargé d'enquêter, sous cinq jours, sur l'explosion. Mardi soir, Beyrouth a été déclarée ville sinistrée et un état d'urgence décrété pour deux semaines. Cela implique que l'armée prend les commandes de la ville et de l'aéroport. Un deuil national de trois jours a aussi été décidé.

    De nombreux pays ont proposé leur aide au Liban, après que le Premier ministre a lancé un « appel urgent à tous les pays amis et les pays frères ». La France, l'ancienne puissance mandataire, a été parmi les premières à réagir. Dans la nuit, Emmanuel Macron, qui s'apprête lui-même à rejoindre le pays jeudi, a annoncé l'envoi d'un détachement de la sécurité civile et de « plusieurs tonnes de matériel sanitaire ». L'avion cargo est parti ce matin.

    L'ennemi israélien a proposé une « aide humanitaire et médicale ». Le Koweït a annoncé qu'il enverrait de l'aide médicale d'urgence au Liban, selon l'agence officielle Kuna.

    Les Etats-Unis, par la voix du secrétaire d'Etat Mike Pompeo, ont proposé leur aide, de même que la chancelière Angela Merkel. « Le Royaume-Uni est prêt à apporter son soutien de toutes les manières possibles, y compris aux ressortissants britanniques touchés », a tweeté le Premier ministre Boris Johnson.