L’Espagne déstabilisée par son «ripou» qui enregistrait tout

Des centaines d’heures d’enregistrements de personnes haut placées en Espagne - policiers, magistrats, élus, hommes d’affaires - réalisés par un ancien policier corrompu secouent le pays depuis plusieurs semaines.

 Villarejo travaillait à manipuler la justice, à dissimuler des affaires et s’enrichissait en montant des campagnes de discrédit.
Villarejo travaillait à manipuler la justice, à dissimuler des affaires et s’enrichissait en montant des campagnes de discrédit. Capture d’écran YouTube/LaSexta

    Le gouvernement assure qu'il ne cédera pas face à ce « maître chanteur » : en prison depuis près d'un an, un ancien policier sème le trouble en Espagne grâce à ses enregistrements devenus compromettants jusqu'au sommet de l'État.

    Homme trapu à l'air matois, Jose Manuel Villarejo aimait passer inaperçu et jongler avec les identités. Mais ce commissaire retraité de 67 ans - entré dans la police en 1973, deux ans avant la mort du dictateur Franco - est désormais identifié comme un des acteurs clés de ce que l'Espagne appelle « les égouts de l'État ».

    « Villarejo dirigeait une police parallèle qui travaillait à manipuler la justice, éliminer ou modifier des affaires judiciaires, au service de grandes entreprises et de millionnaires », résume le journaliste d'investigation Carlos Enrique Bayo, ancien directeur du journal Publico qui publia dès 2015 des révélations sur son rôle.

    Des propos homophobes d'une ministre contre un collègue

    Il a beau être en détention provisoire depuis novembre 2017, tous ceux qui l'ont fréquenté peuvent s'en inquiéter. Car pendant des décennies, le policier enregistra secrètement élus, magistrats, hommes d'affaires ou policiers avec qui il partageait bons repas et confidences.

    Comme l'actuelle ministre socialiste de la Justice, Dolores Delgado. Dans une conversation embarrassante de 2009 récemment diffusée, la ministre, qui était alors procureur, traitait de « pédé » un collègue - l'actuel ministre de l'Intérieur - ou accusait des magistrats d'avoir fréquenté des mineures en Colombie…

    Villarejo se vantait aussi devant elle d'avoir utilisé « une agence de mannequins » pour obtenir des « informations vaginales », des confidences faites à des prostituées par des personnalités.

    Au total, les enquêteurs ont « saisi plus de 20 térabits d'informations » archivées par Villarejo, « équivalant à trois mois d'émissions de radio ininterrompues », a révélé la ministre lors de sa contre-attaque mercredi devant une commission parlementaire.

    Des informations frauduleuses contre les indépendants et Podemos

    Accusant la droite d'avoir utilisé, décoré et protégé le commissaire, Mme Delgado a assuré que « selon le parquet anticorruption, le clan policier mafieux de Villarejo essayait d'influencer la politique nationale de sécurité et s'appuyait sur des fonctionnaires, élus, médias et personnes de l'administration judiciaire ».

    Face aux appels à la démission de Mme Delgado, le chef du gouvernement socialiste Pedro Sanchez a martelé que « l'ordre du jour politique ne serait pas déterminé par un corrompu » et un « maître chanteur ».

    Sous le précédent gouvernement du conservateur Mariano Rajoy, Villarejo est soupçonné d'avoir participé à une « opération Catalogne » destiné à « fabriquer des informations frauduleuses contre les partis indépendantistes » mais aussi « contre le groupe d'opposition Podemos » (gauche radicale), selon Mme Delgado.

    Quelques mois avant d'être écroué, Villarejo avait accordé une interview télévisée, où il nommait les hauts dirigeants policiers qui lui auraient donné des ordres. Reconnaissant gérer une douzaine d'entreprises, il soutenait qu'elles lui permettaient d'« agir comme agent infiltré » là « où l'État ne pouvait intervenir ».

    Payé pour mener des campagnes de discrédit

    Selon Carlos Enrique Bayo, Villarejo avait « créé un institut d'études juridiques où des magistrats des plus hautes instances judiciaires touchaient 600 euros de l'heure pour donner des cours », ce qui lui permettait d'« entretenir une relation exceptionnelle » avec eux.

    Il se serait aussi considérablement enrichi en se faisant payer pour monter des campagnes de discrédit, menacer des personnes ou les faire chanter.

    Selon le quotidien El Pais, il est ainsi soupçonné d'avoir reçu des millions d'euros pour monter un dossier contre un ministre de Guinée Équatoriale, fils du président Teodoro Obiang Nguema, en rivalité avec son frère vice-président.

    « Villarejo se croyait intouchable » et pensait que personne n'avait intérêt à ce « qu'il commence à révéler ce qu'il savait sur « cette mafia d'État » », un réseau « créé au début de la Transition (vers la démocratie, en 1975) et qui perdure depuis quarante ans », affirme Carlos Enrique Bayo.

    Un danger pour la gauche et la droite

    En 2017, ce journaliste avait secrètement enregistré Villarejo disant que si les députés l'obligeaient à comparaître devant une commission d'enquête, ils auraient « vraiment des problèmes »…

    « Si Villarejo commence à raconter des choses sur les socialistes, il les coule, mais s'il raconte des choses sur les conservateurs, il les coule » aussi, assure le journaliste.