Midterms aux Etats-Unis : à Atlanta, le choc de deux Amériques

Dans l’Etat de Géorgie, la Démocrate Stacey Abrams, une Afro-Américaine, affronte pour le fauteuil de gouverneur Brian Kemp, le plus trumpiste des Républicains.

 Des supporters de la candidate démocrate Stacey Abrams, à Atlanta (Géorgie).
Des supporters de la candidate démocrate Stacey Abrams, à Atlanta (Géorgie). LP/P.M.

    L'été, cet éternel migrant, a tendance à s'incruster à Atlanta, la capitale à majorité noire de l'Etat de Géorgie. Toujours bon à prendre pour les nombreux homeless afro-américains du downtown (centre-ville) qui devront bientôt affronter les grands froids. A quelques pas du Mémorial de Martin Luther King, Stacey Abrams tient un « rally » (une réunion électorale) avec une centaine de ses partisans.

    Dans la cour intérieure de l'Underground Kenny's Dailley, un vaste bâtiment en briques rouges fatiguées, celle qui pourrait devenir mardi la première femme noire gouverneur de toute l'histoire des Etats-Unis débarque au milieu des « Yes we will win » (Oui nous allons gagner) de ses supporters enthousiastes, dont une majorité de femmes noires américaines.

    Au premier coup d'œil on se doute que la candidate démocrate de 44 ans, qui a grandi dans le Mississippi au sein d'une famille pauvre et nombreuse, n'a pas toujours marché sur des pétales de roses. La chef de file de l'opposition à la chambre des Représentants locale de Géorgie s'est faite toute seule, travaillant pour payer ses études en droit public.

    Soutien de Barack Obama

    Sur l'estrade de son meeting, flanquée du rappeur et acteur Common (ex-petit ami de la joueuse de tennis Serena Williams) et de l'ancien ambassadeur Andrew Young, Stacey Abrams s'applique à nationaliser l'enjeu de cette élection locale : « Si on change la Géorgie, on change le Sud et on change l'Amérique. »

    Le pari est déjà à moitié réussi puisque Barack Obama est venu en personne la soutenir vendredi et que, dans le camp d'en face, Donald Trump doit tenir un meeting ce dimanche pour encourager son poulain républicain.

    Atlanta, vendredi 2 novembre. Barack Obama est venu soutenir personnellement la candidate démocrate Stacey Abrams./AFP/Jessica McGowan
    Atlanta, vendredi 2 novembre. Barack Obama est venu soutenir personnellement la candidate démocrate Stacey Abrams./AFP/Jessica McGowan LP/P.M.

    Dirigée depuis des lustres par les Républicains, la petite Géorgie, qui ne fait habituellement pas de vagues et se passionne très mollement pour les élections (seulement 40 % de participation lors de la présidentielle de 2016), est devenue un des principaux enjeux symboliques de ces élections de mi-mandat.

    Il faut dire que Brian Kemp, le candidat républicain, y a mis aussi du sien. Soutenu par Trump lors des primaires républicaines, ce chef d'entreprise dans l'agroalimentaire qui achève son second mandat de secrétaire d'Etat au sein de l'exécutif de Géorgie, est devenu plus trumpiste que le président.

    Sa vidéo électorale sur YouTube a fait le tour du monde. On le voit manipuler des fusils et crâner : « J'ai des armes que personne ne me retirera. » Il ajoute en faisant tournoyer une tronçonneuse : « Je suis tellement conservateur que je réduis en miettes les dépenses publiques. » Enfin il monte dans son énorme pick-up en lançant : « J'ai un gros camion juste au cas où il faudrait arrêter des criminels illégaux que je ramènerai moi-même chez eux. » C'est du brutal.

    Engagé derrière Kemp depuis la primaire républicaine, John est cadre dans un groupe de placements financiers. Il décrypte posément : « Cette vidéo de campagne est totalement ridicule mais ça permet de mobiliser efficacement et à moindres frais notre électorat. »

    53 000 électeurs noirs rayés des listes

    Croisé au meeting d'Abrams, casquette floquée « Stacey » sur la tête et pancarte au bout du bras, Darryl Trimiew, un prof de fac noir en semi-retraite, ne cache pas son exaspération : « La démagogie des républicains a atteint des sommets durant cette campagne, il est temps de changer ! »

    Difficile de dire qui l'emportera mardi, de la démocrate qui tente de mobiliser son camp sur les droits civiques et sociaux tout en s'en tenant prudemment à un cap centriste (elle refuse de parler de sanctuaire pour les migrants et ne réclame que l'interdiction des fusils d'assaut) ou du républicain brut de fonderie.

    « Les sondages les donnent au coude à coude mais il faut dire qu'ils se sont souvent trompés », rigole Christopher Sanders, 37 ans, un jeune politicien investi à fond dans la campagne du candidat républicain.

    « Kemp aurait dû démissionner de ses fonctions dans l'Etat, qui lui ont permis de faire rayer des listes électorales 53 000 électeurs des quartiers noirs », soupire Nadjaha, une secrétaire juridique américaine d'origine somalienne qui aurait pu voter républicain « si le débat ne s'était pas tant radicalisé ». Elle va voter Abrams sans trop d'illusion : « Ce serait un miracle si elle était élue car la Géorgie ce n'est pas qu'Atlanta, le reste de l'Etat est majoritairement blanc et souvent très conservateur. »

    A trente minutes de highway du centre d'Atlanta - quand il n'y a pas de bouchons - Mike Mannina habite avec sa femme Dylan une belle maison bardée de bois clair dans la commune huppée de Roswell. Cadre supérieur dans une entreprise de négociation agroalimentaire et entrepreneur à son compte dans le commerce international, Mike reconnaît que « Trump a exacerbé les passions mais [qu']il a tenu ses engagements sur l'économie ». C'est surtout cela qui compte pour lui : « On n'a pas besoin que l'Etat fédéral avec ses fonctionnaires paresseux se mêle de tout. » Son épouse, qui a arrêté de travailler pour élever leurs trois jeunes enfants, l'approuve. Elle aussi votera républicain, même si le comportement de Trump à l'égard des femmes la « dégoûte » : « Je voterai en me pinçant le nez. » Et son mari de conclure : « Le pays est coupé en deux comme il ne l'a jamais été. J'espère qu'après les élections les Américains pourront se retrouver unis. »

    LA GÉORGIE

    Population : 9,7 millions (8e rang des Etats-Unis)

    Répartition : 55,9 % Blancs, 30,5 % Noirs, 4 % Latinos Hispaniques (recensement 2010)

    PIB par habitant : 35 900 $

    Gouverneur : Nathan Deal (Républicain)

    Sénateurs : deux Républicains