Débarquement en Normandie : dans les coulisses du jour le plus long

Le 6 juin 1944, le D-Day, les alliés débarquent sur les plages de Normandie. Revivez la préparation puis le déroulement de la plus grande opération aéronavale de tous les temps.

 Le 6 juin, Américains, Canadiens, Anglais et Français débarquent sur les plages de Normandie.
Le 6 juin, Américains, Canadiens, Anglais et Français débarquent sur les plages de Normandie. Le Parisien

    Terre, air, mer… C'est une guerre totale, la plus grande opération aéronavale de tous les temps, qui se prépare dans le plus grand secret dans un manoir victorien au sud de l'Angleterre, près de Portsmouth. À Southwick House, le siège du SHAEF, le commandement suprême des forces expéditionnaires alliées, le général Dwight Eisenhower, surnommé «Ike», règne sur l'état-major anglo-américain, aréopage de fortes têtes étoilées où émerge la fine moustache de Montgomery, le « rat du désert ». Réclamé par Staline qui veut soulager le front de l'Est, attendu depuis un an en France, le Débarquement n'est un secret pour personne, même pas pour les Allemands qui en savent l'imminence. Oui, mais où?

    Depuis des mois, les Alliés tentent de mener Hitler en bateau, en lui faisant croire que le débarquement massif aurait lieu dans le Pas-de-Calais et que tout le reste n'est que diversion. Ce grand bluff, l'histoire le retiendra sous le nom d'opération Fortitude, avec une fausse armée de chars en baudruche et un mélange de messages bidons et vrais pour tromper l'ennemi. Elle est si bien menée que plusieurs semaines après le débarquement, le Führer croira toujours que le D-Day du 6 juin n'était qu'une diversion !

    Nom de code : «Neptune»

    Le général Erwin Rommel, accompagné d’officiers allemand, inspecte les systèmes de défense de la côte./AKG-imageles tuges de rommel
    Le général Erwin Rommel, accompagné d’officiers allemand, inspecte les systèmes de défense de la côte./AKG-imageles tuges de rommel Le Parisien

    « Si vous pensez qu'ils arriveront par beau temps, en empruntant l'itinéraire le plus court, vous vous trompez, assurait en avril 1944 Erwin Rommel, chargé de défendre tout le littoral ouest, des Pays-Bas à la Loire. Les Alliés débarqueront par un temps épouvantable en choisissant l'itinéraire le plus long. Le débarquement aura lieu ici, en Normandie, et ce sera le jour le plus long », imagine le maréchal allemand, un mois et demi avant que sa prophétie ne se réalise.

    Le « mur de l'Atlantique » a été édifié à grand renfort de blockhaus, de mines, de « hérissons tchèques » (tétraèdres en acier) censés arrêter les éventuels assaillants. Dans la nuit du lundi 5 au mardi 6 juin, le plan « Overlord » (suzerain, en français) est lancé. Il commence par l'opération « Neptune » : 23 000 hommes largués du ciel en pleine nuit, suivis à l'aube par l'assaut marin, qui mobilise une véritable armada de navires de toutes sortes (4 126 navires le jour J !) où s'entassent 133 000 soldats : 58 000 Américains sur Utah et Omaha, 54 000 Anglais sur Gold et Sword, 21 000 Canadiens sur Juno.

    Les hommes progressent sur les plages sous le feu des Allemands qui tirent du haut des falaises, tandis que les positions de ces derniers sont pilonnées par les cuirassés alliés. La résistance de la Wehrmacht est hargneuse, particulièrement à « Omaha la sanglante », où les GIs se font faucher par la mitraille ennemie. La mer grise et agitée s'y teinte de rouge, mais l'échec est évité. Au total, l'assaut aura fait un peu plus de 10 000 morts chez les Alliés le 6 juin.

    Les 177 Français de Kieffer

    Créés par la France libre en 1942, les commandos (Philippe) Kieffer sont les seuls Français à avoir participé au Débarquement. (ici les sapeurs de l’US Army et de l’US Navy)./Usis-Dite/Leemage
    Créés par la France libre en 1942, les commandos (Philippe) Kieffer sont les seuls Français à avoir participé au Débarquement. (ici les sapeurs de l’US Army et de l’US Navy)./Usis-Dite/Leemage Le Parisien

    Si le général de Gaulle a été volontairement écarté des préparatifs du débarquement, les Français n'ont pas été totalement absents de l'opération Neptune. Créés par la France libre en 1942, les commandos (Philippe) Kieffer ont suivi un entraînement très poussé en Ecosse.

    Le D-Day, le commandement britannique, dont ils dépendent, leur laisse la politesse : à l'aube, les 177 Français du Bataillon de Fusiliers marins sont les premiers à débarquer sur Sword, la plage la plus au nord de la vague d'assaut. Ils s'emparent du casino et du port de Ouistreham, avant de faire la jonction avec les Britanniques sur Pegasus bridge. Une épopée racontée dans « Le Jour le plus long ».

    Une quarantaine de bérets verts sont blessés ou tués ce matin-là, héros longtemps oubliés : le général de Gaulle, qui leur en voulait d'avoir obéi à un autre commandement que le sien, les a snobés et exclus de la mémoire de la France libre. Le chef de la France libre ne posera le pied en Normandie que le 14 juin. La 2e DB de Leclerc débarquera, elle, le 1er août.

    «Les sanglots longs des violons…»

    La Résistance jouera un rôle décisif en affaiblissant la défense allemande, grâce notamment aux multiples sabotages de voies ferrées./Photo12
    La Résistance jouera un rôle décisif en affaiblissant la défense allemande, grâce notamment aux multiples sabotages de voies ferrées./Photo12 Le Parisien

    C'est peu dire que le débarquement, longtemps repoussé, était attendu par la Résistance, lorsque deux vers de « Chanson d'automne », le poème de Verlaine, grésillent le 5 juin dans les transistors. Pendant de longs mois, les réseaux locaux ont guetté les messages radio de la BBC et les largages d'armes, et fournissent des renseignements aux Alliés. Le directeur de l'école des Beaux-Arts de Caen, Robert Douin, dessine puis transmet les fortifications allemandes sur les côtes en se faisant passer pour un peintre. Arrêté en mars, il sera fusillé le… 6 juin à Caen.

    Les Forces françaises de l'intérieur joueront surtout un rôle décisif en affaiblissant la défense allemande, grâce aux multiples sabotages de voies ferrées (plan Vert), des routes (plan Tortue) et des lignes téléphoniques nazies (plan Violet). Puis, après le 6 juin, en harcelant les troupes nazies et en freinant l'arrivée des renforts.

    Maudite météo !

    Prévu le 3 juin, le Débarquement sera reporté à cause des conditions météorologiques./AFP/US Army
    Prévu le 3 juin, le Débarquement sera reporté à cause des conditions météorologiques./AFP/US Army Le Parisien

    Il faut s'imaginer une opération militaire, la plus vaste jamais conçue, suspendue aux caprices du ciel ! C'est ce qui se passe en ce début juin 1944. Le général Eisenhower, qui fume quatre paquets de Camel par jour, s'en remet aux prévisions de James Stagg, grand échalas écossais sur les épaules duquel repose donc en grande partie le succès ou le fiasco du débarquement.

    La pression monte à mesure que celle de l'air se dégrade… Il a fait très chaud à la fin du mois de mai, mais le mauvais temps arrive au pire moment. Les vagues compliqueraient l'arrivée des barges, et le plafond trop bas ruinerait la précision des bombardements et des parachutages.

    Le samedi 3 juin, malgré un ciel encore limpide, « Ike » décide de décaler l'assaut de 24 heures sur la foi des interprétations météorologiques. Les convois déjà en mer sont rappelés d'urgence. Le dimanche, l'incertitude est totale. L'état-major décide de se donner 48 heures avant de décaler toute l'opération Overlord de quinze jours, au risque de gâcher l'effet de surprise et de démoraliser les troupes confinées. Dans la soirée, alors que le vent et la pluie cogne sur les fenêtres de Southwick House, le QG où les chefs militaires sont réunis, Stagg, fébrile, annonce une accalmie à partir du lundi après-midi. Pas idéal, mais assez clément pour lancer l'assaut, annonce-t-il.

    « Pour l'amour de Dieu Stagg, ne nous apportez plus de mauvaises nouvelles », l'a supplié « Ike ». À l'aube du 5 juin, après une nouvelle nuit sans sommeil, il confirme ses prévisions. « Ok, let's go ! » lâche alors Eisenhower, dans un calme trompeur.

    Cent jours d'enfer en Normandie

    Les opérations, du Débarquement jusqu’à la Libération, coûteront la vie à 37 000 soldats alliés./AKG-images/Mondadori Portfolio
    Les opérations, du Débarquement jusqu’à la Libération, coûteront la vie à 37 000 soldats alliés./AKG-images/Mondadori Portfolio Le Parisien

    Soixante-quinze ans après, on garde un souvenir trompeur de la bataille de Normandie : une partie de campagne certes féroce, mais beaucoup moins tragique que la réalité. Difficile de concevoir, en traversant aujourd'hui les paysages verdoyants du Calvados, que cette « course » sanglante de haies fut l'une des plus terribles de la Seconde Guerre mondiale. Cent jours d'enfer, pour les soldats alliés qui butèrent longtemps sur la résistance acharnée des troupes allemandes.

    Au lendemain du débarquement, les Anglo-Américains ont un pied solidement posé sur le sol français. Fin juin, Bayeux, Carentan, Isigny puis Cherbourg sont libérées. Plus de 500 000 soldats ont débarqué, mais ils peinent à progresser dans les bocages normands, et leur succession de champs, bosquets, talus et autres chemins creux.

    Pas de visibilité, menace permanente des snipers ennemis… L'état-major s'inquiète de ce piétinement, et c'est finalement l'offensive Cobra, avec la percée d'Avranches par le général américain Patton, qui permet de débloquer la situation, début août. Le chemin vers Paris se dégage enfin, laissant ruines et désolation.

    Chez les Alliés, 37 000 morts et quatre fois plus de blessés. Côté allemand, 80 000 tués, 170 000 blessés et 200 000 prisonniers. Et les Normands ? Après les combats, notamment les bombardements aériens alliés, Caen, Le Havre, Cherbourg, Saint-Lô sont rasées. Des milliers de civils (entre 15 000 et 60 000 selon les estimations, incertaines) ont été tués parmi ceux qui n'avaient pu fuir le déluge de feu. Un drame « collatéral », étouffé par la liesse de la Libération.

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